La Vigne effectue un tour d'horizon de toutes les levures du marché. Elle répertorie leur utilisation et leurs caractéristiques en pages 44 à 54. Faits marquants cette année, Chr Hansen lance en France les deux premières préparations contenant d'autres levures que des ' Saccharomyces cerevisiae '. Lallemand se prépare à sortir de véritables ' S. bayanus '. Par Miriam Chastaingt
La plupart des levures commercialisées actuellement sont issues d'une sélection dans les chais. Avant d'être sélectionnées, elles étaient des levures indigènes. Les chercheurs les ont isolées et fait fermenter pour connaître leurs propriétés, caractériser leurs points forts et leurs points faibles. Elles font partie de l'espèce Saccharomyces cerevisiae, qui est généralement l'espèce dominante lors des fermentations alcooliques spontanées. C'est la levure oenologique par excellence.
Lors des fermentations spontanées, il n'est pas rare de retrouver d'autres levures, non-Saccharomyces, qui sont rarement capables de finir les sucres. C'est pourquoi elles n'ont pas été retenues par les sélectionneurs jusqu'ici. La société Chr Hansen s'y est intéressée pour répondre à une demande des oenologues du Nouveau Monde : ' Certaines wineries américaines de nos clients préféraient ne pas utiliser de levures sélectionnées, car elles trouvaient leurs vins plus complexes en laissant travailler les souches indigènes ', se souvient Blandine Cauchy-Alvin, oenologue de l'entreprise, à Montpellier (Hérault).
Mais c'est aussi plus risqué. Chr Hansen a donc cherché à mimer la fermentation spontanée, en apportant la sécurité fermentaire qu'offrent les souches sélectionnées. Les sélectionneurs de cette société ont retenu les levures ne produisant pas de métabolites secondaires indésirables, comme le diacétyle ou l'acidité volatile, et ne gênant pas le déroulement de la malo. Puis ils ont testé leur potentiel aromatique, seul ou avec une levure Saccharomyces pour achever la fermentation.
Chr Hansen a retenu deux espèces : Torulaspora delbrueckii et Kluyveromyces thermotolerans. Toutes deux sont naturellement présentes lors des fermentations spontanées. Elles ne sont pas capables de fermenter totalement un moût contenant plus de 170 g/l de sucre (10° potentiels), mais semblent libérer des arômes variétaux complémentaires de ceux que Saccharomyces cerevisiae révèle. ' Dans tous les cas, on augmente le côté fruité des vins, on obtient plus de corps et moins d'amertume ', détaille Blandine Cauchy-Alvin. Chr Hansen leur a associé une Saccharomyces cerevisiae, chargée d'achever les sucres.
Chr Hansen lance donc deux nouvelles préparations, commercialisées aux Etats-Unis lors des vendanges 2004. Symphony.nsac, plutôt réservée aux vins blancs, contient des souches sélectionnées de Kluyveromyces thermotolerans et de Saccharomyces cerevisiae. Harmony.nsac associe les deux levures non-Saccharomyces à une Saccharomyces cerevisiae. ' Nos essais ont montré que cette préparation donnait de très bons résultats sur rouges ', précise Blandine Cauchy-Alvin, peut-être parce que trois levures ne sont pas de trop pour exploiter les précurseurs aromatiques de ces raisins.
En Australie, le laboratoire du professeur Paul Henschke, de l'Awri (Institut australien de recherche sur le vin), s'oriente également vers la sélection d'une autre espèce de levures que les Saccharomyces cerevisiae : les Saccharomyces bayanus. Les vraies bayanus ont des caractéristiques très différentes des levures oenologiques traditionnelles, d'après les travaux de Jeff Eglinton, menés dans le laboratoire de Paul Henschke. Elles fermentent à température plus basse que les levures réputées cryophiles, produisent moins d'acidité volatile et d'alcool, mais plus de glycérol, voire d'acide malique. Elles peuvent également conférer des profils aromatiques différents.
' A 18°C, les bénéfices sont les mêmes que pour les S. cerevisiae, précise Paul Henschke. Mais à basse température, les bayanus donnent des arômes miellés, abricotés, en plus des arômes classiques des cerevisiae. ' Dans les rouges, elles génèrent une couleur plus rouge et plus stable, car elles produisent davantage d'acétaldéhyde. Mais elles fermentent plus lentement et ont des besoins plus élevés en azote.
La sélection reste à peaufiner mais Lallemand devrait prochainement en produire et en proposer sur le marché. Des caves australiennes en ont déjà expérimentées en 2004, avec succès. ' Un sémillon obtenu avec une bayanus est commercialisé 40 dollars australiens ', claironne le professeur Paul Henschke.
Quant aux Saccharomyces cerevisiae, elles restent incontournables. La sélection dans les caves se poursuit et une autre technique, le breeding, revient sur le devant de la scène. Au lieu de multiplier les levures par simple division, il s'agit de réaliser un croisement entre deux levures aux caractères intéressants et de rechercher, parmi leurs descendantes, celles qui associent les deux caractères.
Par exemple, certaines levures révélatrices d'arômes variétaux sont sensibles aux conditions de fermentation et risquent de produire de l'acidité volatile. En les croisant avec une souche moins sensible, on peut obtenir une souche toujours aromatique, mais moins ' fragile '. Cette technique, les chercheurs sud-africains l'ont utilisée dès les années 90. Elle a donné naissance à plusieurs souches de la société Anchor Yeast, commercialisées en France par La Littorale, dont la première fut l'Anchor VIN 13. Au début des années 2000, le laboratoire Sarco, en France, a développé cette technique pour produire les levures Zymaflore X5 et la gamme Excellence chez Lamothe-Abiet. La Levuline C19, d'OEnofrance, a été obtenue selon une technique proche, en croisant la Levuline ALS avec elle-même.
En Afrique du Sud, les recherches se poursuivent également sur des croisements interspécifiques, au sein du genre Saccharomyces, pour exploiter une gamme plus large de possibilités.