L'utilisation de levures ayant de faibles besoins azotés ne compense pas les carences des moûts. Les sels d'ammonium sont aussi efficaces que les activateurs de fermentation, mais il ne faut pas en ajouter plus de 50 g/hl. Lorsque les carences sont trop graves, on ne peut y remédier au chai.
Cette année encore, les techniciens de la station viticole de Cognac annoncent des carences azotées des moûts. Ils craignent des difficultés de fermentation, voire des piqûres lactiques. Avant le début des vendanges, ils ont présenté, aux professionnels de la région, les résultats de leurs travaux sur le sujet. Ils ont testé plusieurs méthodes pour compenser le manque d'azote assimilable naturel. Ils en concluent que l'apport de sels d'ammonium est incontournable, mais doit être raisonné.
A Cognac, le seuil de carence est de 60 mg/l d'azote assimilable, pour des moûts de 8,5 % vol. de taux d'alcool probable (TAP) en moyenne, contre 150 mg/l dans les autres régions. Bien que ce seuil soit particulièrement bas, 27 % des moûts issus du réseau ' maturation ' de la station viticole ne l'atteignent pas, en moyenne, sur six ans. De plus, le seuil dépend du taux d'alcool probable du moût. Pour que la fermentation se déroule en moins de dix jours, il faut au moins 80 mg/l d'azote assimilable pour un TAP de 9,5 % vol. et 100 mg/l pour un TAP de 11 % vol. En-dessous, le risque de piqûre lactique plane.
En outre, quand la levure manque d'azote, elle synthétise beaucoup d'alcools supérieurs, responsables d'arômes lourds. ' Le vinificateur doit viser une teneur d'au moins 100 mg/l pour s'affranchir des fermentations trop lentes ', estime Claudie Roulland.
Depuis 2003, il est possible d'ajouter jusqu'à 1 g/l de sulfate d'ammonium ou de phosphate diammonique, soit 210 mg/l d'azote ammoniacal. L'addition de la dose maximale n'est pourtant pas sans risque. Comme l'ont déjà montré des chercheurs australiens (voir La Vigne n°157, septembre 2004), quand la teneur en azote assimilable augmente, la levure synthétise plus d'esters, notamment des acétates. Dans un premier temps, cette modification est favorable. Aux odeurs lourdes des alcools supérieurs se substituent les arômes floraux ou fruités des acétates. Mais à la dose maximale de 100 g/hl de sel d'ammonium, l'un des esters prend le dessus : l'acétate d'éthyle, à l'odeur de vernis. La station viticole du Bnic recommande donc de ne pas ajouter plus de 50 g/hl de sels d'ammonium en tout.
Pour corriger la teneur en azote, le viticulteur peut choisir le sulfate d'ammonium, pour environ 1,85 euros/kg (*) ou un activateur à base de levures inactivées, pour un minimum de 10 euros/kg (*). D'après les essais de la station viticole, cette différence de prix ne se justifie pas par une différence d'efficacité. Bernard Galy a comparé, pour un même moût, l'apport de 50 g/hl de sels d'ammonium sous deux formes différentes. Pour la première cuve, il a ajouté 25 g/hl de sulfate d'ammonium au levurage, puis 25 g/hl à mi-fermentation (densité de 1 040). Pour la seconde, il a remplacé le deuxième apport par 40 g/hl d'activateur à base de levure inactivée, soit la même quantité d'azote assimilable. Les deux courbes de fermentation sont identiques. Sur deux autres cuves, il a remplacé le deuxième ajout par un extrait de levure seul. ' La fermentation dure 11 jours au lieu de 6. ' L'activateur, cinq fois plus cher, n'accélère pas la fermentation.
L'utilisation de levures ayant de faibles besoins azotés n'est pas non plus un moyen de pallier les carences.
Claudie Roulland a comparé les cinq souches les plus utilisées pour les vins de Cognac : la FC9 (Lalvin FC9, de Laffort oenologie et Lamothe Abiet, dont les besoins azotés sont réputés faibles), la 7013 (Enolevure SL et Fermivin, de la Littorale), la SM102 (Enolevure AR et Fermiblanc Arom, de la Littorale), la B+C (Vitilevure BC, de Martin Vialatte oenologie) et la Fermol Arôme Plus (Spindal). Toutes achèvent les fermentations dans les mêmes délais. Seule la souche SM102 présente un avantage en cas de carence : ' En retardant l'activité des bactéries lactiques, elle minimise les risques de piqûre lactique si la fermentation traîne ', constate-t-il.
Rien ne sert non plus de forcer la dose au levurage : entre 10 et 20 g/hl de levures sèches actives, la fermentation se déroule exactement à la même vitesse. Claudie Roulland n'a observé une différence qu'à 100 g/hl. ' C'est complètement incompatible avec les impératifs économiques ', insiste-t-elle. L'ensemencement par un pied de cuve, qui apporte dix fois plus de levures qu'un levurage traditionnel, ' ne compense pas non plus une carence azotée du moût '.
La seule solution est donc d'ajouter de l'azote ammoniacal. Toutefois, l'efficacité de cette addition chute au-delà d'une certaine proportion. Claudie Roulland a comparé quatre moûts contenant 130 mg/l d'azote assimilable. Le premier est naturellement pourvu, les trois autres ont été supplémentés. Le moût naturellement pourvu et celui contenant 90 mg/l d'azote et additionné de 20 g/hl de sel ammoniacal (soit 40 mg/l d'azote assimilable) fermentent à la même vitesse. Celui contenant naturellement 70 mg/l et additionné de 30 g/hl (60 mg/l d'ammonium) est activé, mais fermente un peu plus lentement. Le moût très carencé (35 mg/l d'azote assimilable), additionné de 50 g/hl de sel d'ammonium, met cinq jours de plus que le témoin à achever sa fermentation. ' L'addition de sel ammoniacal ne suffit pas à compenser les carences sévères ', conclut Claudie Roulland. Il faut alors intervenir à la vigne, en diminuant la surface enherbée et en procédant à une fumure azotée sous le rang.
(*) Source : Le coût des fournitures en viticulture et oenologie 2005, ITV France.