Il y a quinze ans, des investisseurs ont pu louer les vignes appartenant à l'Etat. Ils ont investi massivement pour planter et moderniser les chais. La viticulture marocaine est désormais aussi rationnelle et performante que celle du Nouveau Monde.
A la fin du protectorat français, le Maroc comptait 55 000 ha de raisins de cuve. Pour l'essentiel, ses vins étaient destinés à ' fortifier ' ceux du Midi. Après l'indépendance, les Européens sont partis. Le gouvernement a étatisé les terres. Le débouché captif français a disparu, les vignes et les caves ont vieilli. L'OIV indique toujours 50 000 ha de vignes, mais la majorité en raisins de table. Aujourd'hui, 20 000 à 25 000 ha sont destinés à la vinification.
A la fin des années quatre-vingt, la viticulture renaît sous l'impulsion d'une décision du roi Hassan II. La Sodea, société d'Etat propriétaire des terres et des caves, propose alors à des investisseurs de les louer pour trente-six ans. Une dizaine d'entreprises signent. Chacune cultive plus de 1 000 ha de vignes. Certaines achètent en plus du raisin. Les investisseurs sont français. Des Bordelais renommés sont venus, comme Castel et Bernard Magrez. Leur présence est due aux liens d'amitié entre Hassan II et l'ancien maire de Bordeaux, Jacques Chaban-Delmas. Une seule entreprise est 100 % marocaine, Les Celliers de Meknès. Toutes sont basées autour de cette ville, à 600 m d'altitude, au pied de l'Atlas, qui est situé au centre de la principale zone de raisins de cuve. Certaines mettent d'autres régions en valeur, comme celle de Boulaouane.
Tous les nouveaux venus ont réalisé des investissements colossaux. Castel a planté ou replanté 98 % des 1 000 ha du domaine Les Cépages de Meknès en moins de dix ans. Il a palissé les nouvelles vignes, dont la densité est de 4 000 à 5 000 pieds/ha. Autrefois, elles étaient conduites en gobelet. Les parcelles sont géométriques, immenses. Des rangs mesurent plus de 1 km de long... Castel a planté du cabernet, de la syrah, du merlot, du cinsault, du grenache, du tempranillo pour les rouges, du chardonnay, du sauvignon, de la roussanne pour les quelques blancs.
Les investisseurs ont aussi construit des chais vastes et bien équipés. Leurs cuveries sont en Inox. Maîtrise des températures, tables de tri, pressoirs pneumatiques, filtres : tout est neuf, moderne et opérationnel. Les cuvées haut de gamme, comme la Depardieu, élaborée dans les vignobles de Bernard Magrez, passent en barriques. Mais les fûts sont frappés de 150 % de taxes à l'importation. Ce prélèvement freine l'élevage sous bois.
A Meknès, il pleut environ 300 mm par an, et cette sécheresse s'accentue. En été, le vent brûlant du désert se lève. L'irrigation au goutte-à-goutte est indispensable. Tous les domaines pompent l'eau dans une nappe alimentée, en automne et en hiver, par les pluies qui ruissellent de l'Atlas. Les besoins sont importants. Dès le mois d'avril, il faut 6 l par plant et par semaine. En juillet, il faut jusqu'à 16 l. A terme, l'eau risque de manquer, car la nappe baisse.
En raison de la sécheresse, peu de produits phytosanitaires sont utilisés. Il n'y a pas de pourriture, peu de mildiou. Seul l'oïdium peut être menaçant. Il est traité avec du soufre jusqu'en mai, avant les grosses chaleurs. Ensuite, un ou deux systémiques sont appliqués. Quant au désherbage, il est mécanique et manuel. Les rendements vont de 30 à 80 hl/ha. Les deux tiers des vins sont rouges. Le reste est gris ou rosé. Il n'y a presque pas de blancs, les fortes chaleurs brûlant leurs arômes.
Une main-d'oeuvre nombreuse travaille dans les vignes et dans les chais : 300 personnes pour 1 000 ha, payées entre 7 et 8 euros/j. C'est une condition imposée aux investisseurs. Ils doivent assurer du travail à la population rurale pour limiter l'exode vers les villes. Les vendanges sont donc manuelles. Pour l'occasion, on recrute au sein des familles des salariés. Tous les contremaîtres sont marocains ; seuls les responsables des domaines ou les maîtres de chai sont français. Pour de jeunes oenologues, le Maroc peut offrir rapidement des postes à responsabilité 200 000 hl alimentent le marché intérieur. Jusqu'en 2002, ce marché était le monopole des sociétés nationales, au premier rang desquelles Les Celliers de Meknès. L'entreprise écoule localement 27 des 28 millions de cols qu'elle produit. Ces vins sont consommés dans les hôtels remplis de touristes, mais aussi par des Marocains.
Au départ, les investisseurs avaient l'obligation d'exporter leur production. Même si la réglementation a changé, ce courant reste majoritaire : 90 % pour Castel, plus de 85 % pour Bernard Magrez. Pour rester attractifs, les domaines s'adaptent au goût des consommateurs. Ils s'appuient sur des réseaux de distribution performants. Ces efforts produisent des résultats : le vin de Guerrouane, le Boulaouane et le Sidi Brahim se développent régulièrement. Le premier est une appellation, les deux autres sont des marques. Le Sidi Brahim, autrefois élaboré avec du vin algérien, l'est de plus en plus avec du vin marocain.
Le Maroc se trouve donc avec un secteur vitivinicole industrialisé, rationalisé, comme l'hémisphère Sud. Les entreprises profitent de la disparition de leurs concurrentes algériennes. Mais les conditions naturelles, notamment la rareté de l'eau, limitent leur développement.