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Oenococcus Oeni

La vigne - n°171 - décembre 2005 - page 0

Le vinificateur attend d'une bactérie lactique qu'elle transforme l'acide malique en acide lactique. Ce faisant, elle stabilise le vin, car l'acide malique est une source d'énergie pour d'autres micro-organismes. Elle le désacidifie également. Elle l'assouplit, en remplaçant un diacide à la saveur mordante (l'acide malique) par un monoacide plus doux (l'acide lactique). Oenococcus oeni réussit cette opération mieux que toute autre. C'est celle qui réalise la fermentation malolactique dans la majorité des cas. C'est la bactérie lactique la mieux adaptée au vin : elle tolère de fortes concentrations en éthanol (jusqu'à 15 % vol. selon les souches) et des pH relativement bas (jusqu'à 2,9). Les nutriments azotés libérés par les lies de levures, en fin de fermentation, sont en général suffisants à sa croissance. ' Dans ces conditions difficiles, c'est la plus efficace ', souligne Vincent Gerbaux, de l'ITV de Beaune (Côte-d'Or).
Mais elle est très sensible à une modification de milieu. C'est une enzyme bien spécifique qui transforme directement l'acide L-malique en acide L-lactique : l'enzyme malolactique. Chez O. oeni, elle est inductible : elle est activée en présence d'acide malique, dès lors que sa concentration dépasse 1 g/l, d'après Le Traité d'oenologie, de Ribéreau-Gayon.

L'acide malique stimule ainsi la multiplication des bactéries. De ce fait, plus il y a de malate, plus il y a de bactéries et plus chacune le transforme vite en lactate. La consommation de 4 g/l d'acide malique peut donc être plus rapide que celle de 2 g/l. Cette consommation fournit de l'énergie à O. oeni.
Oenococcus oeni ne se contente pas de dégrader l'acide malique en acide lactique. C'est pourquoi il ne serait pas possible de remplacer la fermentation malolactique par la simple addition d'enzyme malolactique, si toutefois une telle opération produisait de l'effet. De même, la ' levure malolactique ', transformée génétiquement pour dégrader le malate en lactate, ne réalise pas une véritable fermentation malolactique. Ainsi, Oenococcus oeni a d'autres impacts sur le goût du vin qu'une simple désacidification. Elle fait partie des bactéries qui dégradent l'acide citrique. Les vins en contiennent entre 0,2 et 0,5 g/l, d'après Pierre Taillandier ( Le Vin, composition et transformations chimiques ). Cet acide est toujours consommé pendant la malo, mais moins vite que l'acide malique.
Selon les caractéristiques du vin, Oenococcus oeni transforme différemment l'acide citrique. S'il renferme peu de sucre, si le pH est bas et s'il contient des inhibiteurs de croissance, la bactérie forme plutôt des composés acétoïniques, dont le plus important est le diacétyle. Cette molécule à l'arôme beurré contribue positivement au bouquet des vins à des concentrations de 2 à 3 mg/l dans les blancs, et 5 mg/l dans les rouges. Au-delà, elle alourdit les arômes. Certains vins en contiennent jusqu'à 10 mg/l en fonction de l'aptitude des souches de bactéries à le transformer rapidement. Le maintien des lies de levures et de bactéries diminuerait la teneur finale des vins, de même que le SO 2 qui s'y combine.

En revanche, si le pH est élevé, s'il reste des sucres, O. oeni forme de l'acide acétique à partir de l'acide citrique. C'est l'une des origines de la montée en volatile liée à la fermentation malolactique. Cette production d'acide de 0,05 à 0,2 g/l, selon la société Lallemand, soit environ 0,10 gH 2SO4/l d'acidité volatile.
Autre cause de montée en volatile, plus grave : la piqûre lactique. Elle est liée à la consommation du sucre. A partir du glucose et en présence d'air, O. oeni produit de l'acide acétique. Avec le même sucre, mais en l'absence d'oxygène, elle produit de l'éthanol. Dans tous les cas, elle libère aussi de l'acide D-lactique, ce qui trahit l'attaque des sucres. ' Cette consommation poussée des sucres ne se produit que quand l'acide malique a disparu ' , ajoute Vincent Gerbaux. La piqûre est donc à craindre dès lors qu'il n'y a plus d'acide malique, qu'il reste du sucre et une forte population de bactéries. Surveiller les teneurs en malate permet donc de savoir à quel moment intervenir pour le sulfitage de fin de malo.
La consommation des sucres peut être détectée en dosant l'acide D-lactique que les bactéries lactiques produisent à partir du glucose. Rappelons qu'à partir du malate, elles produisent l'acide L-lactique. Dès que la concentration du premier dépasse 0,2 g/l, on peut considérer qu'il y a piqûre. Il faut alors intervenir en sulfitant ou en employant du lysozyme.
Les bactéries lactiques ont d'autres influences sur les caractéristiques organoleptiques des vins. Toutes ne sont pas connues. En particulier, O. oeni transforme la méthionine, un acide aminé soufré, en produits volatils odorants, qui participent au bouquet du vin après la malo. D'après Le Traité d'oenologie, O. oeni produit du méthanethiol, du diméthyl-disulfure, du 3-méthylsulfanyl-propan- 1-ol et de l'acide 3-méthyl-sulfanyl-propionique. Cette dernière molécule donne des arômes de chocolat et de toasté dans l'eau. Selon la même source, O. oeni est aussi très active pour la transformation de la cystéine, un autre acide aminé soufré, en hydrogène sulfuré à l'odeur d'oeuf pourri.
Par ailleurs, les composés acétoïniques, issus de la consommation de l'acide citrique, réagissent avec la cystéine. Ils forment d'autres molécules aromatiques : le thiazole à l'arôme de pop-corn ou de noisette, le thiophène et le furane qui marquent le vin par le café et le caoutchouc brûlé.
La bactérie lactique peut être à l'origine d'amines biogènes dans le vin. Mais toutes les souches ne sont pas pourvues de l'enzyme conduisant à cette transformation. Cela permet aux producteurs de produits oenologiques d'en sélectionner d'inoffensives de ce point de vue, afin d'assurer à leurs clients des fermentations sans production abondante d'amines biogènes allergènes.

( (c) Centre de microscopie électronique, université de Bordeaux I )

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