L'Alsace, la Bourgogne et Sancerre se sont lancées dans les sélections massales à grande échelle. Les critères ne sont plus uniquement visuels. Analyses de raisins et tests de viroses garantissent leur qualité.
La sélection massale consiste à choisir, dans une vigne, les souches sur lesquelles on prélèvera les bois pour faire de nouveaux plants. On les retient d'après l'appréciation visuelle du rendement, de l'état sanitaire et des raisins. Dans un souci d'assainissement des vignobles vis-à-vis des viroses, elle a peu à peu été remplacée par la sélection clonale. Cette dernière consiste à rechercher une souche intéressante, à effectuer tous les tests sanitaires garantissant l'absence de maladies à virus, et à la multiplier par la voie végétative pour obtenir une descendance identique.
Ces dernières années, plusieurs régions se sont remises à la sélection massale afin de préserver la biodiversité au sein des cépages.
C'est le cas de l'Alsace. ' Aujourd'hui, 65 à 70 % de nos ventes sont des sélections massales. Chez nous, ce phénomène a pris de l'importance, car la région a produit peu de clones. Ceux qui sont plantés actuellement ont quarante ans. Procurant des rendements élevés, ils ne sont plus adaptés aux critères de production. Pour le riesling, un seul clone est utilisé à grande échelle. C'est une aberration ', considère Christophe Hebinger, des pépinières du même nom, à Eguisheim (Haut-Rhin), premier fournisseur de plants en Alsace.
Ce dernier s'est remis à faire de la sélection massale à la fin des années 80, car ses clients lui ont expliqué que les vins issus de sélections clonales manquaient de typicité. Au départ, les sélections massales des pépinières Hebinger étaient personnalisées, et principalement basées sur des critères visuels (état sanitaire général, nombre et taille des grappes, maturation...). De fil en aiguille, Christophe Hebinger les a proposées à tous ses clients et les a perfectionnées. Il y a douze ans, il a commencé à utiliser un réfractomètre pour sélectionner les pieds qui donnent les raisins les plus mûrs. Il y a deux ans, il a encore amélioré la technique en reliant le réfractomètre à une webcam et à un tablet PC. Grâce à ce système, il peut noter l'emplacement des pieds, lire et enregistrer les taux de sucre mesurés. Les données sont intégrées dans une base et peuvent être consultées rapidement. Il réalise 20 000 à 30 000 mesures par an.
' Sur chaque parcelle, je fais d'abord entre 50 et 80 mesures pour avoir une moyenne représentative. Ensuite, j'effectue deux mesures par pied. Je retiens ceux dont les taux de sucre sont plus élevés que la moyenne. J'apprécie visuellement le rendement et note de 0 à 20. Je fais également des tests de viroses sur 60 à 100 pieds par parcelle. Dès que je détecte du court-noué, je change de vigne ', explique-t-il.
Grâce à ce dispositif, les pépinières Hebinger proposent des sélections massales fiables et de qualité au même prix que les clonales, mais elles envisagent de les vendre 5 à 10 % plus chères.
Autre région qui propose des massales à grande échelle : la Bourgogne. Depuis 2002, l'ATVB (Association technique viticole de Bourgogne) met à disposition des pépiniéristes et des vignerons trois nouvelles sélections de pinot noir. Les types ' supérieurs ' rassemblent huit clones, d'un niveau de production inférieur à celui des clones couramment utilisés et donnant des vins plus ronds. Les ' fins ' regroupent huit clones. Leur potentiel est de 35 à 45 hl/ha et ils donnent des vins très structurés. Les ' très fins ' comportent cinq clones à faible potentiel de production, inférieur à 35 hl/ha. En fait, ces sélections sont des massales reconstituées. Elles ont d'abord suivi la voie clonale puis, au moment de la commercialisation, les clones ont été mélangés. ' L'objectif était de bien identifier les caractéristiques de chaque individu, pour obtenir une massale homogène au niveau de la maturité et du rendement, tout en jouant sur la complémentarité des clones ', explique Jean-Michel Menant, de l'ATVB. Autre avantage de la méthode : la garantie sanitaire. Mais cela a un coût : 72 euros HT les 1 000 greffons. Cela revient à 0,14 euros si on compte 50 % de reprise. C'est le double du prix des greffons de clones. ' Il faut financer la recherche, le développement et la production des greffons ', justifie Jean-Michel Menant. Les pépinières Guillaume, à Charcenne (Haute-Saône), qui vendent ces nouvelles sélections de l'ATVB, répercutent le surcoût, soit 0,15 euros sur le prix des plants.
Dernier vignoble à s'être lancé dans la sélection massale : Sancerre. Le programme a été initié en 1999 sur le sauvignon. ' La demande est venue des professionnels. Ils constataient que seuls quatre à cinq clones se plantaient dans le vignoble et que beaucoup de vieilles parcelles, issues de sélections massales, s'arrachaient. Il fallait sauvegarder le potentiel génétique ', rapporte François Dal, de la Sicavac.
En 1999-2000, l'organisme a donc demandé aux vignerons s'ils avaient des vignes de plus de 50 ans. Quarante parcelles leur ont été proposées, la Sicavac en a conservées vingt-sept. Dedans, elle a repéré les ceps les plus intéressants au niveau port du pied, aspect et dégustation des raisins, état sanitaire. ' On recherchait des petits raisins dorés . ' En tout, mille individus ont été retenus. De 2001 à 2003, ils ont été suivis de près. Au moment des vendanges, la Sicavac a évalué le rendement, l'état sanitaire et analysé les moûts (degré, acidité, pH, azote assimilable). ' On a éliminé les pieds les plus sensibles au botrytis et ceux de faibles degrés. Puis on a fait des tests Elisa pour détecter le court-noué et les trois enroulements. Au final, on a retenu 265 individus ', rapporte François Dal.
Ces derniers ont été greffés et replantés sur trois parcelles pour observer leur comportement et réaliser une sélection plus fine. Les premiers plants seront disponibles en 2008-2009.