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Les Brettanomyces ne sont pas une fatalité

La vigne - n°173 - février 2006 - page 0

En travaillant rigoureusement, avec des fermen- tations rapides et complètes, des soutirages et des sulfitages réguliers, il est possible de se débarrasser des Brettanomyces. Trois experts nous prodiguent leurs conseils.

En 2005, les Brettanomyces ont à nouveau fait parler d'elles. En cours de vinification, certaines caves du Sud-Ouest ou du Val de Loire ont détecté leurs odeurs caractéristiques d'écurie, liées aux éthylphénols. Après contrôle microbiologique, ' on dénombrait des populations de 10 à 100 millions de cellules par millilitre, en pleine fermentation ', témoigne Jean-Philippe Gervais, de la chambre d'agriculture de Gironde. C'est du jamais vu. ' C'est la première fois que je vois dépasser le million de cellules par millilitre ', assure Eric Pilatte, du laboratoire Microvitis à Dijon. Pourtant, aux densités de 1 050-1 060, ces levures de contamination ne se développent pas en général,car Saccharomyces cerevisiae occupe le terrain. Pour certains experts, cela pouvait être évité. ' Quand il y a défaillance dans un avion ou en vinification, c'est qu'il y a eu une erreur humaine ou un problème technique ', résume Denis Dubourdieu, professeur à la faculté d'oenologie de Bordeaux et consultant.

' Tout commence à la vigne ', affirme-t-il. Il paraît de plus en plus sûr que l'inoculum vient du vignoble. Les développements en cours de fermentation, comme cette année ou en 2003, appuient cette hypothèse. ' On trouve ces micro-organismes à proximité des grosses installations qui stockent leurs marcs dehors , poursuit Denis Dubourdieu. On en trouve surtout sur les raisins cueillis cinquante, voire soixante jours après la véraison. ' Récolter à maturité est nécessaire, mais pas à surmaturité. ' Les Brettanomyces se développent d'autant plus que les raisins sont riches en polyphénols, donc très mûrs ', constate Eric Pilatte.
' Sur les parcelles à risque, où ces levures se sont développées l'année précédente, ou bien celles où le raisin est très mûr, il ne faut pas hésiter à réaliser des comptages sur moûts pour savoir où on en est , complète Christophe Gerland, d'Intelli'OEno dans la Drôme. Dès que l'on a plus de 1 000 cellules par millilitre, on est en phase de multiplication. Il faut agir vite et réorienter le reste de la fermentation. '

Même présentes sur la vendange, ces levures ne se développent pas si le sulfitage est suffisant : ' La contamination de la vendange n'est pas décisive si l'on ajoute au moins 5 g/hl de SO 2, de façon bien homogène ', poursuit le professeur bordelais. Le sulfitage est bien sûr à raisonner en fonction du pH. Eric Pilatte tempère ce propos : ' On a vu des cas, cette année, avec des pH à 3,30 et un bon sulfitage, où les Brett se sont développées. ' Il estime qu'il faudra peut-être passer à 7 ou 8 g/hl, voire utiliser du DMDC, un nouvel antiseptique en cours d'autorisation. Toutefois, ' il ne faut pas que le pH soit supérieur à 3,8. Sinon, ce n'est plus du vin, estime Denis Dubourdieu. Si nécessaire, il ne faut pas hésiter à le corriger. '
Pas question ensuite de laisser traîner la fermentation. Denis Dubourdieu considère que si l'on dépasse trois jours de macération préfermentaire à froid, on s'expose à des développements de Brett. Les moûts doivent être inoculés avec des levures, complétés en nutriments si nécessaire. Ce qui a sûrement changé la donne cette année, c'est que les levures n'ont pas fermenté rapidement, laissant tout loisir aux levures de contamination de prendre le relais. ' Il y a carrément eu cofermentation dans certains cas, relève Eric Pilatte, avec des montées en volatile et, bien sûr, une production d'éthylphénols pendant la fermentation. Il n'y avait pas de piqûre lactique, ni piqûre acétique, mais des volatiles de l'ordre de 0,5 gH 2SO4/l en pleine fermentation ! ' C'est la conséquence d'un mauvais développement des levures de fermentation. ' Les Brettanomyces sont capables de produire beaucoup de volatile à partir du sucre ', affirme le microbiologiste.

Pour éviter cela, le professeur Dubourdieu rappelle trois points clés : la teneur en azote doit être suffisante, une aération doit avoir lieu en début de fermentation, la température ne doit pas dépasser 24°C dans le jus, au moins jusqu'à une densité de 1 020. ' A 28°C, la synthèse des stérols, facteurs de survie des levures, est très mauvaise, qu'il y ait ou non aération ', justifie-t-il. De plus, il conseille de bien sécher les vins : ' Une fermentation rapide et complète doit aboutir à moins de 100 mg/l de glucose et fructose. 300 à 500 mg/l suffisent à Brett pour se développer. '
Après quoi, ' si la fermentation est complète et le vin stocké à 18°C, on peut le laisser longtemps sans sulfitage et sans risque ', ajoute Denis Dubourdieu. Sinon, il faut activer la malo pour sulfiter rapidement. Ensuite, il faut maintenir au moins 18 à 20 mg/l de SO 2 libre. ' Ceci suppose un contrôle au moins mensuel, poursuit l'oenologue bordelais. Il faut prélever les barriques neuves et les usagées séparément, car leur SO 2 n'évolue pas à la même vitesse. De plus, on ne peut pas conserver le vin dans le bois sans soutirage, même si le SO 2 est bon, car les Brettanomyces s'y développent. Tous les trois ou quatre mois, il faut soutirer les vins et désinfecter les fûts en les passant 5 min à l'eau chaude à 80°C, avant de les mécher en faisant brûler 5 à 7 g de soufre. '
Dernière étape, il faut coller les vins pour les préparer à la filtration. Ceci doit retenir les micro-organismes, même si ' normalement, un vin soutiré dans des barriques propres et sans sucre résiduel est pauvre en germes '.
On peut aussi utiliser la flash-pasteurisation au décuvage, suivie d'une bonne désinfection. ' Un viticulteur qui avait eu des problèmes en 2003, a flash-pasteurisé ses vins et désinfecté ses fûts en 2004 et n'a plus eu de soucis en 2005 ', déclare Christophe Gerland.

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