Le tassement des sols est un sujet qui préoccupe de nombreux vignerons. Ils se posent beaucoup de questions sur l'incidence de la mécanisation sur la structure des sols. En Alsace, par exemple, ils peuvent faire jusqu'à quinze à vingt passages par an pour prétailler, broyer, désherber, traiter, palisser, rogner, récolter. .. ou sortir les fils de palissage. Dans les vignobles étroits, ils utilisent des tracteurs-enjambeurs de plus en plus puissants, donc plus lourds.
Or, à ce jour, il existe peu d'études sur l'importance des tassements et leur influence sur la vigne, car cela nécessite des mesures délicates à mettre en oeuvre. On sait seulement que le compactage perturbe la circulation de l'air et la capacité d'infiltration de l'eau. La vie microbienne s'en trouve perturbée. Cela peut ralentir les processus de décomposition de la matière organique et la minéralisation. La fertilité générale du sol est moins bonne, et la vigne peut avoir dû mal à se développer. Son système racinaire risque d'être superficiel. Du coup, la vigne sera beaucoup plus sensible aux aléas climatiques, notamment au stress hydrique en été et aux attaques parasitaires. L'enherbement pourra être remis en cause en raison d'un accroissement de la concurrence, dans une situation où la vigne peine déjà. De même, les besoins en fertilisation risquent d'être plus importants, car les racines ne disposent que d'un volume de sol réduit.
En coteaux, le tassement des sols, associé à la présence d'ornières, favorise le ruissellement et l'érosion. ' Les sols peuvent être tassés, même sous les écorces. En cas de violentes pluies, ces dernières peuvent être entraînées ' , remarque André Perraud, du Comité interprofessionnel du vin de Champagne (CIVC).
De plus, avant la plantation, le compactage peut réduire l'efficacité des désinfections de sols, en gênant la pénétration des gaz dans la terre. Il peut vouer à l'échec des plantations ou complantations.
Le CIVC a mis en évidence l'effet de la compaction sur la maladie du pied noir, un dépérissement qui affecte les jeunes vignes. A la suite d'une recrudescence de ce problème en 1989 et 1990, en Champagne, il a mené une enquête pour identifier les facteurs favorisants. Il en est ressorti que les interventions humaines, lors de la mise en état des parcelles, sont déterminantes, notamment les travaux de terrassement, les apports massifs d'amendements... Des mesures de densité apparente ont confirmé une dégradation de la structure des sols entre 15 et 40 cm de profondeur dans les zones atteintes par le pied noir. Un profil cultural dans une parcelle touchée à plus de 50 % a mis en évidence l'existence d'une zone très tassée.
Au même moment, dans l'Hérault, les professionnels de la filière constataient des baisses de rendements inexpliquées et des mortalités de ceps inhabituelles. Ils ont tout de suite soupçonné des problèmes de compactage des sols. Pour le vérifier, l'Inra de Montpellier a mis en place une étude dont les conclusions ont récemment été rendues publiques. Sur vingt-neuf parcelles d'un bon état général, les chercheurs ont observé que les niveaux moyens de tassement étaient modérés (22 % du volume de l'horizon cultivé), mais avec quelques sites présentant des compactages sévères atteignant près de 50 % du volume de sol. Ils ont également noté que les tassements étaient principalement dus à la circulation des engins lors des travaux d'entretien et aux travaux de préparation du sol avant la plantation. Mais ces derniers sont responsables des tassements les plus sévères, surtout les labours profonds en conditions humides.
Sur cinq parcelles dépérissantes, les chercheurs ont observé que dans trois cas, les niveaux de tassement étaient très élevés et résultaient des conditions culturales avant la plantation. De même, des analyses spatiales par télédétection ont montré que les zones à forte mortalité étaient situées sur des sols colluviaux sur sable miocène, à texture moyenne, régulièrement humides en hiver, donc très sensibles aux tassements. Les chercheurs suspectent donc un lien très fort entre les tassements et les dépérissements, mais ils n'ont pas pu prouver l'effet sur la baisse des rendements.
Pour prévenir les tassements, une préparation du sol soignée avant la plantation est donc primordiale. Il faut impérativement éviter d'opérer en conditions humides. Ensuite, la priorité est de raisonner les passages avec les tracteurs et les enjambeurs. Là encore, il faut préférer travailler en conditions sèches.
Pour les travaux de type broyage et prétaillage, mieux vaut intervenir sur sols gelés. Il est aussi préférable de limiter le nombre de passages en combinant certains travaux, comme le rognage avec le fauchage, et de limiter le poids des engins. Le choix des pneumatiques est aussi important. Il faut préférer des pneus larges. En Champagne, pour les enjambeurs, le CIVC conseille un diamètre de jante élevé et surtout de respecter la pression de gonflage du fabricant.
Au niveau des pratiques culturales, l'enherbement permet de limiter les tassements, mais pas de les éviter. Autre technique intéressante : ' Les semis temporaires à base de seigle, dont les racines ont un pouvoir de pénétration de plus d'un mètre de profondeur, ont une action décompactante ', rapporte Frédéric Schwaerzler, de la chambre d'agriculture du Haut-Rhin.
Dans les cas avérés de tassement, il est possible de réaliser un décompactage. La chambre d'agriculture de Gironde conseille de réaliser cette opération après la vendange et jusqu'au débourrement. Au préalable, elle recommande de creuser une petite fosse, pour repérer les zones compactées et pour voir à quelle profondeur et sur quelle largeur il faut intervenir. Elle suggère aussi de repérer les zones de passage de roues et les éventuelles semelles de labour. Elle demande de choisir les outils de décompactage (sous-soleuse, ripper ou chisel), selon la profondeur des zones compactées, leur localisation et le but visé. Mais elle rappelle que ' le décompactage peut être un excellent remède, mais comme tout remède, il ne faut pas en abuser et en devenir dépendant '.