Un climat idéal, des investisseurs ambitieux et des oenologues inventifs : la vallée chilienne de Colchagua produit des vins reconnus dans le monde entier et attire tous les ans 45 000 touristes.
La revue américaine Wine Enthusiast l'a sacrée région viticole de l'année 2005, prix qu'elle a reçu en janvier dernier. C'est sans difficulté que la vallée de Colchagua l'a emporté sur d'autres régions nominées, dont la Champagne, le Bordelais, ou Santa Barbara (Californie). ' Le développement de la vallée est évident. L'augmentation de la qualité des vins est remarquable ', justifie Michael Schachner, de Wine Enthusiast.
L'évolution est spectaculaire. Il y a encore trente ans, la vallée de Colchagua (mot indigène, qui veut dire ' vallée de petites lagunes ') produisait des vins médiocres, bien que la viticulture y remonte à l'époque de la conquête espagnole et de l'évangélisation par les jésuites. Elle se distinguait surtout par son agriculture et son élevage, qui faisaient d'elle le grenier du Chili.
Mais à partir des années 70, Colchagua, coincée entre la cordillère des Andes et l'océan Pacifique à 130 km de Santiago, commence à se démarquer de sa soeur, la vallée de Cachapoal, avec laquelle elle forme la région de Rapel. Ses 19 528 ha de vignes destinées à la vinification produisent surtout des vins de qualité, ' Vallée de Colchagua ' étant devenue une AOC. 98 % de la production est exportée.
Derrière cette transformation se trouvent des étrangers, dont des Français comme Eric de Rothschild (domaine Los Vascos), ou Alexandra Marnier-Lapostolle (Casa Lapostolle), et bien sûr, des Chiliens, comme Aurelio Montes (Viña Montes), José Miguel Viu (Viu Manent) ou les frères Eduardo et Hernan Gras (Montgras).
Le climat est la première cause d'un tel succès. Les vignobles reçoivent, en alternance, les influences de la cordillère des Andes et de l'océan Pacifique, créant des conditions idéales, avec une pluviométrie de 600 mm par an et, au cours de l'été, une grande amplitude thermique entre le jour et la nuit, qui permet une maturation optimale du raisin.
Les chais les plus imposants côtoient encore des petits domaines familiaux. Cono Sur, par exemple, a une capacité de 85 000 hl, contre 3 000 hl pour la petite cave de Laura Hartwig. De fait, qualité, rendements et prix varient énormément d'un vignoble à l'autre. Une bouteille coûte entre 5 et 80 euros FOB. ' Pour les productions premium, les oenologues ne cherchent pas un rendement supérieur de 5 à 8 t/ha, tandis que d'autres privilégient la quantité et atteignent 15 t/ha ', explique Maximilano Morales, responsable de Andes Wines.
La vallée de Colchagua est, par excellence, celle du vin rouge (90 % de la production), le cabernet-sauvignon en tête (51 %), suivi du merlot. Mais son cépage fétiche est la carménère, ou grande vidure, qui a pratiquement disparu de Bordeaux après les ravages du phylloxera, mal qui n'a jamais atteint les vignobles chiliens. ' Pendant des années, les viticulteurs ont confondu le merlot et le carménère, raconte Pablo Aguilera, de la Corporation chilienne du vin. On ne comprenait pas pourquoi certains pieds mûrissaient deux semaines après les autres. C'est un oenologue français, Claude Valat, qui a suggéré qu'il s'agissait de carménère . ' Aujourd'hui, le Chili voudrait faire de ce cépage, qui produit un vin rond et épicé, son image de marque.
A Colchagua, la petite vallée d'Apalta, entourée de collines, baignée par la rivière Tinguiririca et orientée au sud, est un joyau à part. Alexandra Marnier-Lapostolle y possède 162 ha plantés. Elle vient d'inaugurer une gigantesque bodega de six étages creusée à même la colline, entièrement gravitationnelle, pour 8 M$ (6,6 Meuros). Elle se consacrera à la production de la ligne premium, Clos Apalta, dont le cru 2001 est arrivé à la deuxième place du Top 100 de la revue Wine Spectator , avec 95 points. C'est un assemblage de carménère-merlot et cabernet-sauvignon issus de vignes de 60 ans d'âge. Le vin passe vingt-deux mois en barriques de chêne français. Il n'est pas filtré. C'est aussi d'Apalta que vient le Montes Alpha M. de Viña Montes.
Les Français, à Colchagua, sont présents dans trois exploitations : Casa Lapostolle, Los Vascos et Hacienda Araucano (Jacques et François Lurton). Tous ont misé sur la modernité et l'innovation. Ici, l'oenologue bordelais Michel Rolland, consultant de Casa Lapostolle, s'en donne à coeur joie. Il a créé le borobo, contraction de Bourgogne, Rhône, Bordeaux. C'est un assemblage de pinot noir, merlot, syrah, cabernet-sauvignon et carménère.
Le bio commence à faire son apparition. Vinos Orgánicos Emiliana (VOE) y produit 5 000 hl de vin biologique par an dans une bodega flambant neuve faite en bois, en pierre et en brique crue. Poules, oies et lamas évoluent en toute liberté dans les 292 ha de vignes. De son côté, Cono Sur cultive 60 ha en biologique sur les 360 ha que la société exploite à Colchagua. Elle mise sur le pinot noir. Avec 2 000 t/an, ' c'est le domaine qui produit le plus de pinot noir au mond e ', assure son oenologue, Matias Rios.
Mais si Colchagua a tant de succès, c'est également grâce à l'essor du tourisme viticole. En 1997, elle recevait 450 touristes par an, contre 45 000 aujourd'hui qui se pressent sur la plus célèbre route du vin du Chili : balade romantique entre les vignes dans un train tiré par une locomotive à vapeur, trekking au-dessus de Viña Montes, randonnée équestre dans le domaine de Montgras, visite d'un des principaux musées archéologiques du pays, spectacles de rodéos qui rappellent que nous sommes ici au pays des huasos, cow-boys locaux... Seul problème : le manque d'infrastructure hôtelière !