Contrairement à une idée reçue, l'ajout d'acide ascorbique sur vendanges dès la parcelle ne permet pas de diminuer la dose de SO. L'ICV affirme qu'il protège les arômes des vins blancs. L'ITV n'est pas aussi catégorique et considère cette pratique d'un intérêt discutable.
'Si le fait d'apporter de l'acide ascorbique sur vendanges permet de diminuer la dose de SO 2, il faut qu'on m'explique ! déclare Frédéric Charrier de l'ITV de Nantes. Il faut toujours associer l'acide ascorbique au SO2, sinon on risque de faire plus de dégâts que si on ne faisait rien. ' En effet, sans sulfite, l'acide ascorbique peut mener à la formation d'eau oxygénée, redoutable oxydant. ' On observe alors un brunissement, une oxydation des moûts. ' ' L'ajout complémentaire de SO2 fait partie des précautions à prendre dans le cadre de l'utilisation de l'acide ascorbique , confirme Lucile Blateyron, de l'Institut coopératif du vin (ICV). Ce n'est qu'un antioxydant, il ne joue aucun rôle antiseptique, d'où la nécessité de continuer à utiliser des sulfites. '
L'ITV a mené des essais d'ajout d'acide ascorbique sur vendanges de 1998 à 2001. Les chercheurs ont reproduit les conditions de macération existant lors d'une récolte mécanique. Ils ont ajouté 10 g d'acide ascorbique et 5 g de SO 2 pour 100 kg de vendanges, le témoin recevant uniquement 5 g de SO 2. Les cépages testés sont le sauvignon, le melon, le grenache blanc et le riesling. Les comparaisons d'analyses montrent que pour un même apport, le SO 2 total de la modalité traitée est toujours supérieur de 10 à 15 % à celui du témoin. Même en diminuant légèrement la dose de SO 2, on ne gagnera rien à l'analyse.
L'ICV a expérimenté l'ajout d'acide ascorbique sur vendanges à la suite d'un voyage en Australie, où cette technique est pratiquée depuis longtemps. Sur les récoltes 1994, 1995 et 1996, l'institut a testé une dose de 4 g d'acide ascorbique pour 3 g de SO 2, sur des lots (de 100 kg) de viognier, d'ugni blanc, de chardonnay et de vermentino. ' C'est une idée reçue de vouloir remplacer, en partie, le SO 2 par de l'acide ascorbique ', conclut Lucile Blateyron.
L'ITV a également observé une modification de la couleur. ' Les jus traités sont plus verts. Cela traduit une oxydation moindre, en particulier des acides hydroxycinnamiques ', signale Frédéric Charrier. De plus, en protégeant de l'oxydation de nombreux polyphénols, l'acide ascorbique génère une plus grande instabilité de la couleur des vins. ' Ils ont une teinte jaune plus soutenue que celle du témoin et l'écart augmente au cours du vieillissement. '
D'après la résolution 10/01 de l'OIV, l'objectif de l'ajout d'acide ascorbique à la vendange est de protéger les substances aromatiques. ' Le gain fruité est systématique , fait remarquer Daniel Granès, de l'ICV. Nous avons également testé l'ajout d'acide ascorbique et de SO 2, complémentés avec de l'acide tartrique. En réalisant cette combinaison sur des raisins méditerranéens, on obtient un fruité nettement plus frais, moins sur les notes cuites. On arrive à maintenir ces notes plus longtemps au cours du vieillissement des vins. '
Les chercheurs de l'ICV ont aussi mené des essais sur vendange botrytisée. Ils obtiennent les mêmes résultats. ' Les vins sont plus frais, moins lourds ', explique Lucile Blateyron. L'ICV conclut que l'utilisation d'acide ascorbique sur vendanges en zones méridionales permet de limiter certains risques comme les odeurs soufrées et la dureté gustative. Au contraire, cette technique permet d'exacerber les arômes de fruits exotiques et d'obtenir plus de volume en bouche. Les essais sur vermentino, par exemple, montrent un net gain sur des arômes de fruits blancs et exotiques, et sur la réglisse.
Parallèlement, on observe une baisse significative des notes qualifiées de chimiques et une perte en agressivité. L'Institut coopératif a essayé de substituer l'acide ascorbique par des apports fractionnés de SO 2. ' On s'interrogeait sur les mécanismes d'action de l'acide ascorbique. Agit-il sur des composés différents que le SO 2 ? Par ailleurs, à l'époque de nos expérimentations, l'acide ascorbique était interdit, le SO 2 non, détaille Daniel Granès. Nous sommes arrivés à la conclusion que l'ajout d'acide ascorbique, associé au fractionnement du SO 2, est intéressant. En plus du gain fruité, cela maintient la protection. '
L'ITV n'est pas aussi catégorique sur ces bienfaits sensoriels. Les essais menés en Val de Loire et dans le Midi montrent qu'' il y a une possibilité de préserver certains précurseurs aromatiques, en particulier pour les cépages thiolés comme le sauvignon. Cependant, nous n'avons rien observé de systématique , explique Frédéric Charrier. Les thiols variétaux réagissent avec les quinones formées au cours du brunissement des moûts. En empêchant ce phénomène, l'acide ascorbique peut préserver les notes de fruit exotique. Il est vrai qu'à chaque fois qu'on a observé une différence, elle était en faveur de l'échantillon traité. '
L'emploi d'acide ascorbique sur vendanges reste discutable. L'ICV en a fait un élément de son protocole de vinification expérimentale. De son côté, l'ITV le considère plutôt, au même titre que l'inertage ou le froid, comme un outil au milieu d'un panel de méthodes permettant de lutter contre les oxydations. D'après Frédéric Charrier, ' l'utilisation de l'acide ascorbique est discutable. Il faut raisonner son emploi en termes de méthode de récolte, de process de vinification, de composition des raisins et de risque réel d'oxydation. Il y a des doutes sur l'acide ascorbique concernant les problèmes de couleur et le réel impact sensoriel sur les vins. Il faut souvent préférer les autres méthodes de protection '.