A Tarija (Bolivie), s'étend le plus haut vignoble du monde. Quatre entreprises y produisent des vins et une eau-de-vie particulièrement aromatiques. Elles sont encore inconnues hors de leur pays, mais ont l'ambition d'exporter.
La viticulture en Bolivie débute au début des années 60. A l'époque, seuls quelques visionnaires y croient. L'un d'eux, Don Julio Kohlberg, doit même mentir à sa banque pour obtenir des prêts. Il explique qu'il veut planter des noyers, alors que c'est de la vigne ! Puis il crée la bodega Kohlberg. Aujourd'hui, c'est l'une des quatre entreprises vinicoles du pays, aux côtés de Casa Real, Campos de Solana et Concepción. Toutes achètent du raisin à des petits exploitants, rares à vinifier leur récolte.
En 2002, patatras ! La viticulture subit de plein fouet la dévaluation du peso argentin. Les vins du pays voisins envahissent la Bolivie à des prix insolents. Mais les producteurs locaux ne baissent pas les bras. Principalement situés à Tarija, ils se souviennent d'un rapport rendu par des experts internationaux l'année précédente.
Selon ces experts, leur région ' a tous les atouts pour produire de bons vins. Le climat et les sols de la vallée sont idéals. Ces vins d'altitude pourraient créer la surprise sur les marchés internationaux '.
Tarija est une ville de 200 000 habitants, enclavée dans la cordillère des Andes, à 1 800 m d'altitude. Elle se trouve au sud du pays, à la frontière avec l'Argentine. Dans ses environs poussent 3 000 ha de vignes, entre 1 800 et 2 100 m d'altitude. Quelques-unes culminent à 2 850 m d'altitude. Ici, on affirme que ce sont les plus hautes du monde ! Les missionnaires jésuites ont introduit les premiers plants au XVII e siècle pour produire les vins de messe. Ces vignes ont presque toutes disparu. Les Boliviens les ont remplacées par le muscat d'Alexandrie, qu'ils sont allés chercher à Mendoza (Argentine). Ce cépage couvre 80 % du vignoble. Le reste revient au torrontés et à des variétés importées de France.
Les vignes poussent sur des sols alluviaux très légers. Comme dans le reste du pays, il y a deux saisons : sèche en hiver, pluvieuse en été. Il pleut 400 mm en décembre, janvier et février. Ces précipitations favorisent les attaques de mildiou, de botrytis et d'oïdium. Les producteurs s'en protègent en réalisant, en moyenne, une dizaine de traitements chimiques. Comme les sols n'ont pas de réserve, on irrigue au goutte-à-goutte au printemps et en automne.
Ces conditions seraient presque banales s'il n'y avait l'exceptionnelle amplitude thermique quotidienne. Eté comme hiver, l'écart de température peut atteindre 25, voire 30ºC entre le jour et la nuit. De ce fait, ' les vins de Tarija ont des parfums plus concentrés qu'ailleurs. Les rouges ont une belle couleur intense, et des arômes de fruits rouges et de prunes ', décrit l'oenologue de Concepción, qui cultive et vinifie 130 ha de vigne. Mais si les cuvées haut de gamme valent effectivement le détour, le reste de la production n'est pas exceptionnel.
A 2 800 m d'altitude, les Boliviens récoltent des raisins ' cerise ' encore plus fameux ! On les nomme ainsi parce que les baies sont plus petites qu'en bas dans la vallée. Pour la bodega Kohlberg, leur valeur ne fait aucun doute. Elle en achète toujours quelques caisses pour les inclure dans ses vins rouges. ' Là-haut, les vignes bénéficient d'un microclimat exceptionnel. Il n'y a aucune maladie. On irrigue à l'eau de source, riche en minéraux. Les plants sont vigoureux et les raisins extrêmement riches en goût et sucrés ', raconte Herbert Kohlberg.
Dans la région de Tarija, on élabore également une eau-de-vie à 40ºC, le singani, à partir de muscat d'Alexandrie. Son origine remonte à l'époque coloniale. Elle était préparée dans le village Sinkani pour les travailleurs des mines d'argent de Potosí, exploitées par les Espagnols.
Casa Real en vend un million de bouteilles par an. Elle cultive directement 70 ha et achète l'essentiel de ses raisins aux producteurs locaux. ' Le muscat d'Alexandrie est très bien acclimaté à l'altitude. Il donne des vins très aromatiques que nous distillons ', rapporte Wilmar Villena, responsable de la production de Casa Real. ' Nous voulons produire une eau-de-vie de qualité et augmenter les volumes pour satisfaire le marché national, mais aussi international , poursuit Wilmar Villena. Nous sommes encore loin de pouvoir fournir les volumes qu'exigent la Colombie et le Japon. '
Le marché national est son premier client. En Bolivie, toutes les classes sociales consomment du singani. Une bouteille coûte, en moyenne, 3,50 $US. Le marché national absorbe aussi 95 % des vins de Tarija. Les bouteilles s'y vendent entre 2,50 à 25 $US, ce qui les rend accessibles à tous. Malgré cela, les Boliviens boivent encore peu de vin : 2 l/hab/an.
Désormais, les bodegas souhaitent exporter. Pour cela, elles veulent obtenir l'appellation Vinos de Altura auprès de l'OIV. ' C'est une référence indispensable pour valoriser nos vins sur le plan international ', rapporte Jorge Justiniano, directeur de Concepción. Le dossier est à l'étude depuis déjà plusieurs années, sans cesse retardé par les nombreux changements de gouvernement. ' Il faut à chaque fois tout recommencer à zéro. On perd beaucoup de temps . ' En effet, la viticulture n'est pas la préoccupation première des pouvoirs publics, car Tarija est également la région de production d'hydrocarbures et les élus misent d'abord sur l'énergie.