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Le potentiel aromatique

La vigne - n°179 - septembre 2006 - page 0

Peu de raisins de cuve sont naturellement aromatiques. Seuls les cépages muscatés (muscats, gewurztraminers, certains rieslings) et les cabernets font exception. Ils présentent des arômes libres en quantité significative. Dans les cépages muscatés, il s'agit de monoterpénols (linalol, géraniol. ..), responsables de notes florales. Dans les cabernets, des méthoxypyrazines sont responsables de l'arôme de poivron vert.

Dans les baies de tous les autres cépages, on ne trouve pas les arômes variétaux en tant que tels, mais sous forme de précurseurs non odorants. Ces précurseurs se transforment en composés odorants au cours de la vinification, de l'élevage, puis du vieillissement. Ils constituent le potentiel aromatique. On distingue trois classes de précurseurs d'arômes.
La première classe est celle des précurseurs de thiols variétaux, identifiés par la faculté d'oenologie de Bordeaux. La partie aromatique (3-MH, 4-MMP) est liée à un acide aminé : la cystéine. Elle est libérée lors de la fermentation alcoolique par la levure. Ce potentiel se retrouve dans de nombreux cépages : sauvignon où il a d'abord été découvert, mais aussi dans le colombard, le chenin, le petit et le gros manseng, le riesling... Il est à l'origine des notes de buis, d'agrumes, et contribue à la fraîcheur et au fruité de bon nombre de blancs et rosés.
La deuxième classe est celle des glycosides de composés d'arômes, découverts par l'Inra de Montpellier. Ils se rencontrent dans la plupart des cépages. Ils se composent d'un arôme de la famille des terpènes ou des norisoprénoïdes, lié à un sucre, le plus souvent du glucose.
Certains de ces précurseurs sont libérés rapidement en fin de fermentation.

C'est le cas, par exemple, de la béta-damascénone, à l'origine des odeurs florales et de compote de pomme. D'autres sont libérés plus progressivement au cours du vieillissement. Par exemple, le TDN (triméthyldihydronaphtalène), responsable des notes de pétrole et de kérosène que l'on retrouve dans les rieslings évolués. L'ajout d'enzymes glucosidasiques permet aussi de libérer ces composés. ' Mais leur action n'est vraiment démontrée que sur les cépages muscatés. Pour les autres, on manque encore de recul ', précise Rémi Guérin-Schneider, de l'ITV détaché à l'Inra de Montpellier (Hérault).
Un troisième potentiel a récemment été mis en évidence par l'Inra de Montpellier et Inter-Rhône : celui en sulfure de diméthyle. ' Cette molécule a un rôle complexe. A des teneurs moyennes, elle renforce les notes fruitées. A des teneurs plus élevées, elle est responsable de notes de truffes, de sous-bois, typiques des arômes de vieillissement de la syrah. Mais elle a également été mise en évidence dans le petit et le gros mansengs à des teneurs importantes ', explique Rémi Guérin-Schneider. Le précurseur serait la S-méthylméthionine, un dérivé de l'acide aminé du même nom.

L'appréhension du potentiel aromatique n'est pas chose aisée. Ce facteur n'est lié à aucun paramètre de suivi de la maturité classique (sucre, acidité). En plus, comme il est constitué de molécules inodores, la dégustation des baies ne permet pas de l'évaluer. Un bémol toutefois pour les précurseurs de thiols : la faculté d'oenologie de Bordeaux a montré que la salive les transforme en arômes odorants.
Pour tous les autres précurseurs, une analyse chimique est nécessaire. La méthode classique consiste à extraire les composés, puis à les doser par chromatographie en phase gazeuse, couplée à une spectrométrie de masse. Des analyses longues et coûteuses. ' Il faut compter trois jours et 350 euros pour avoir le potentiel glycosidique, deux jours et 150 à 200 euros pour le potentiel en sulfure de diméthyl, trois jours et 200 euros pour le potentiel en thiols variétaux ', indique Rémi Guérin-Schneider.
Pour estimer le potentiel glycosidique, les Australiens mesurent le glucose libéré lors de l'hydrolyse des précurseurs. Mais cette méthode prend aussi en compte ceux liés aux polyphénols qu'il faut retrancher. En plus, elle ne distingue pas les terpènes des norisoprénoïdes. ' C'est plus rapide, mais imprécis ', précise Rémi Guérin-Schneider.

L'Inra et l'ITV ont donc développé une méthode fondée sur l'IRTF et transféré leur savoir-faire au sein d'une entreprise : Arvinco. Elle proposera la mesure aux caves qui le souhaitent dès ces vendanges dans le Muscadet et, par la suite, en Alsace.
Pour les vignerons, ces mesures ont plusieurs avantages. Elles peuvent donner une indication pour la date des vendanges. Mais le principal intérêt est de sélectionner les parcelles selon leur potentiel, afin de regrouper celles qui sont aptes à faire des vins de garde et celles qui produiront des vins aux arômes fermentaires, à boire rapidement. Ensuite, les vinifications sont adaptées en conséquence.

Par exemple, dans le Muscadet, sur le melon, si le potentiel glycosidique des raisins à la récolte est faible, mieux vaut s'orienter vers un vin de consommation rapide aux arômes fruités. Pour cela, il faut favoriser les arômes fermentaires et préserver les thiols. Cela suppose une extraction rapide des jus, une fermentation à basse température, une bonne protection contre l'oxydation, un élevage sur lies, un conditionnement précoce. A l'inverse, si le potentiel glycosidique est élevé, il faut l'extraire par une macération pelliculaire, une fermentation classique, l'addition éventuelle d'enzymes, un élevage sur lies et un vieillissement en bouteilles. Bref, un véritable outil de pilotage.

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