Des producteurs créent des cuvées avec quelques grammes de sucres résiduels. Ils veulent initier les néophytes à l'univers du vin. Témoignages sur une recette gagnante.
Cet été, le Tarn a découvert un nouveau concept de vin. Les Vignerons de Rabastens ont lancé, à la mi-juin dernier, des vins d'apéritif baptisés Rouge et Rosé Piscine. « Nous avons démarré en région avec 50 000 bouteilles de rosés et 20 000 de rouges, distribuées dans les bars. Tout a été vendu en deux mois. Les grandes surfaces nous ont aussi passé des commandes », se félicite Jacques Tranier, le directeur de la cave. Une campagne d'affichage résolument provocatrice a accompagné le lancement. Un verre à whisky, des glaçons, une paille et un message fort : « A boire obligatoirement avec des glaçons. »
L'élaboration de ces vins de pays des Côtes du Tarn a été soigneusement réfléchie. « Les glaçons ont trois effets. Ils baissent la teneur en alcool par dilution. En trois minutes, on perd 3°. Les vins baissent aussi en intensité aromatique. Ils doivent donc être très aromatiques au départ. Les glaçons diminuent le volume en bouche, d'où la nécessité d'augmenter la teneur en sucres, jusqu'à 11 g/l de sucres résiduels , explique Jacques Tranier. Ces vins répondent à une véritable demande. La génération Coca-Cola est séduite. Ce concept constitue une porte d'entrée dans le monde du vin. »
Forts de leur succès, les Vignerons de Rabastens prévoient de tripler les volumes de Rosé Piscine, soit 150 000 bouteilles pour 2007, et de vendre la gamme à l'échelle nationale.
En 2005 déjà, la cave de Rabastens lançait la cuvée Tarani, vin de pays du Comté Tolosan avec 8 g/l de sucres, et destinée exclusivement à la restauration traditionnelle. Là encore, le succès fut au rendez-vous. « En cumul annuel mobile arrêté au 31 août 2006, nous avons vendu 165 000 bouteilles de rouge, contre 55 000 l'année précédente. Nous voulons vendre 500 000 bouteilles », confie Jacques Tranier.
La cuvée Tarani se décline dans les trois couleurs. Cette année, la teneur en sucres résiduels a été abaissée à 5 g/l. Si les vins avec une pointe de douceur conquièrent de nouveaux consommateurs, ils peuvent également relancer les ventes.
Voici l'exemple concluant des Maîtres Vignerons nantais, dans le Muscadet. Un domaine appartenant à l'un des vignerons de la coopérative, le Château La Bigotière, souffrait d'un cruel problème de commercialisation de son muscadet-sèvre-et-maine sur lies. Ce vin était décrit comme structuré, droit et fermé. Sur un potentiel d'environ 100 000 bouteilles, moins de 5 000 cols s'étaient vendus en 2002. Le reste avait été déclassé en muscadet générique.
En 2002, Alliance Loire se crée et la petite coopérative des Maîtres Vignerons nantais s'y rallie. Le groupe veut adapter ses vins aux goûts de ses consommateurs. Il met en place des tests d'analyse sensorielle. Onze vins sont dégustés. Les consommateurs les distinguent en fonction de leur sucrosité, de leur teneur en gaz carbonique, et non de leur terroir d'origine. En dépit d'une certaine déception, certains en tirent les leçons. Le Château La Bigotière change sa méthode de vinification en laissant plus de 2 g/l de sucres, au lieu de 0,8 g/l habituellement. Les résultats ne se font pas attendre et les ventes sont multipliées par huit entre 2004 et 2003. Elles atteignent presque 77 000 bouteilles. Le nouveau Château La Bigotière conquiert un marché en Belgique.
Au niveau collectif, les Maîtres Vignerons nantais appliquent une stratégie similaire. Ils augmentent la teneur en sucres de la cuvée prestige de leur gamme sélection. « Notre production est destinée surtout à la grande distribution. Nos vins se faisaient doubler par des muscadets plus légers et fruités lors des présélections des foires aux vins. Cette année, nous étions en concurrence avec vingt-trois producteurs. Nous avons été les premiers sélectionnés », confie Rémi Bonnet, président de la cave. « Laisser des sucres permet d'arrondir la finale du muscadet, en gommant l'amertume et l'acidité de la fin de bouche. Les acheteurs apprécient », complète le technicien de la cave. La cuvée contient 3,5 g/l de sucres.
Le négoce a également intégré ce type de démarche. La société Marcel Sautejeau est le premier acteur du Pays nantais avec 32 millions de bouteilles. Le directeur général Pascal Guibal explique sa stratégie : « Lorsque je suis arrivé en 2000, j'ai mis en place des études de marchés. Elles ont mis en évidence qu'il manquait à notre gamme, un muscadet destiné à une consommation en dehors des repas. Nous avons décidé de créer des marques avec 4 g/l de sucres résiduels. Ainsi sont nées, en 2003, Pen Duyck et S de Sautejeau, dédiées au circuit traditionnel. Pour la grande distribution, nous avons créé la marque B de Beauquin. » La société a vendu 1 M de bouteilles en 2006 et prévoit d'en vendre 300 000 de plus l'année prochaine.