Le koshu est l'âme du Japon viticole. Ce cépage a des troncs gros comme des arbres fruitiers et des baies de la taille de balles de ping-pong. Les wineries poussent à la plantation de cépages français.
«Chez nous, le cépage koshu, l'âme séculaire du Japon viticole, est traditionnellement cultivé comme un arbre fruitier », confie Chihiro Takeï. Comme plusieurs autres responsables techniques nippons, il a fait ses études à la faculté d'oenologie de Bordeaux, mandaté par ses dirigeants. Chihiro Takeï est responsable technique de Mann's Wine, l'une des plus grosses wineries de l'archipel, propriété d'un groupe agroalimentaire de plus de 4 000 salariés, spécialisé dans la soupe de soja. Il est vrai que dans ce pays, le paysage viticole a de quoi surprendre le voyageur européen.
Traditionnellement, les Japonais conduisent le koshu en pergola haute, à une densité de 300 à 600 pieds par hectare, la même que pour les arbres fruitiers. D'ailleurs, bien des souches ont des troncs aussi gros que des arbres fruitiers. La pergola, c'est la réponse des cultivateurs au climat très pluvieux qui règne sur l'archipel. Il pleut 1 200 à 2 500 mm par an. Il faut donc un système qui permette une bonne aération des grappes pour diminuer la pression parasitaire. Mais la pergola ne suffit pas. Les étés sont si humides que les vignerons protègent chaque grappe d'un petit sachet parapluie.
Pratiquement partout dans l'archipel, on cultive quelques vignes, sauf dans le nord, trop proche de la Sibérie. Les exploitations agricoles sont fières d'afficher leurs treilles, à la fois décoratives et productrices de fruits. Mais c'est à une centaine de kilomètres de Tokyo, au pied du mont Fuji Yama, que se concentre la viticulture. Là, à 500 m d'altitude, se côtoient cépages locaux, conduits en pergola séculaire, et cépages français, menés en palissages verticaux.
Avec 600 ha de vignes, dont 170 de koshu, et une trentaine de wineries, Katsunuma est considérée comme la capitale viticole du Japon. 300 familles y sont exclusivement viticultrices. 300 autres cultivent à la fois vignes et arbres fruitiers pour une superficie moyenne en vigne de 60 ares par famille. Au total, 1 000 familles sur 10 000 habitants vivent directement ou indirectement de la vigne.
Le koshu est omniprésent dans cette petite ville, véritable havre de paix. Il couvre les collines alentours, et les toits des parkings et des supermarchés. On en voit devant chaque maison. De vieux ceps sont même mis en valeur comme des monuments historiques. Les rues abondent de vieilles maisons classées, de temples bouddhistes et shintoïstes. Katsunuma est une destination touristique appréciée des citadins, particulièrement à l'époque des vendanges.
Les touristes viennent savourer de belles grappes pesant 400 à 1 000 g, car le koshu est avant tout consommé en raisin de table. Ce cépage à la peau rosée produit des baies grosses comme des balles de ping-pong, dont les Nippons sont très friands. Vinifié, il produit des blancs ou des rosés aux arômes délicats, qui se marient très bien avec la cuisine japonaise. Ces vins sont vendus autour de 15 euros la bouteille, un prix en rapport avec le pouvoir d'achat des Japonais et le coût de revient.
Les premières vinifications datent de 130 ans. Au départ, elles offraient un débouché aux grappes abîmées, invendables comme fruits. Aujourd'hui, les wineries veulent faire des vins dignes de ce nom. Elles ne peuvent plus se contenter du second choix. Elles paient jusqu'à 4 euros/kg de raisin de table pour obtenir de la qualité.
Dans la plupart des préfectures, les wineries ont interdiction d'acquérir des terres, en vertu d'une loi datant de la Seconde Guerre mondiale. Elles n'ont d'autre choix que d'acheter du raisin à des centaines de petits propriétaires. Aussi, pour assurer leurs approvisionnements, elles leur proposent des contrats d'achat pluriannuels avec un soutien technique, et même des financements pour passer au palissage.
Les wineries déploient des trésors d'imagination. Elles encouragent le palissage vertical, couvert d'une petite serre en plastique pour abriter les vignes des pluies abondantes. Elles poussent à la plantation de cépages français, avec plus ou moins de bonheur. Le chardonnay et le merlot semblent bien s'adapter, alors que le cabernet-sauvignon a plus de difficultés à mûrir. Le riesling, l'aligoté et le pinot noir devraient également trouver leur place dans la région.
Souvent, la production locale ne sert qu'à « nationaliser » les moûts et les vins importés en grande quantité en vrac. Il suffit en effet que 5 % d'un vin soit issu du Japon pour qu'il soit estampillé « made in Japan ». Grâce à cette réglementation particulièrement souple, l'archipel « produit » 1,3 Mhl de vin en moyenne par an. Ceci le place au 23 e rang mondial.
Malgré cette facilité et la forte concurrence des vins importés, les wineries jouent la carte de l'extension du vignoble. Un riche entrepreneur américain, appuyé par Denis Dubourdieu, le célèbre oenologue français, annonce vouloir faire de la région de Katsunuma, « la Napa Valley de l'Asie ». D'autres se positionnent sur Nagano ou sur Komoro car, à Katsunuma, les bonnes terres sont devenues rares et chères. Ces deux vallées au pied des Alpes japonaises et du mont Fuji ne connaissaient pas la vigne il y a 100 ans. Mais leurs terroirs semblent être les meilleurs de l'archipel. Elles devraient être les futures grandes régions viticoles.