En 1729, Nicolas Ruinart, marchand d'étoffes et de draps de Reims (Marne), crée une activité de négoce en vins. Trente-cinq ans plus tard, il fonde la Maison Ruinart, la plus ancienne de la Champagne.
«Au nom de Dieu et de la Sainte Vierge, soit commencé le présent livre . » Le 1er septembre 1729, Nicolas Ruinart, marchand d'étoffes et de draps de la ville de Reims, ouvre un nouveau livre de comptes. A 32 ans, il y recense ses premiers envois de vins, destinés à ses clients acheteurs d'étoffes.
Né à Reims en 1697 dans une famille bourgeoise, Nicolas Ruinart n'est autre que le neveu du moine bénédictin dom Thierry Ruinart. Ce dernier « est depuis toujours considéré comme l'inspirateur de la Maison Ruinart », écrit l'historien Patrick de Gmeline, dans son livre sur la maison champenoise.
Contemporain de dom Pérignon, dom Thierry Ruinart séjourne dans son abbaye de Hautvillers (Marne) en 1696 et y meurt en 1709. Lors de ses voyages en Europe, il aurait remarqué « l'enthousiasme que suscite le vin de Champagne » auprès des cours royales. Avant sa mort, il aurait suggéré à son frère, le père de Nicolas, de s'y intéresser.
Presque vingt ans plus tard, le 25 mai 1728, un arrêt royal change les conditions du commerce de vins. Il autorise les marchands à les transporter en paniers de 50 à 100 bouteilles, alors qu'auparavant, ils ne pouvaient le faire qu'en fûts afin d'éviter les fraudes. C'est dans ce contexte que Nicolas Ruinart opère sa diversification.
En 1730, son livre de comptes ne recense que 130 bouteilles vendues. Un an plus tard, elles sont multipliées par vingt. « Très rapidement, Nicolas perçoit que le marché du vin sera pour lui bien plus fructueux que celui des serges et des estamines », relève Patrick de Gmeline.
Six ans plus tard, l'entreprise n'a plus pour activité que la vente de vins de Champagne. « Si son portrait nous montre un honnête et sérieux bourgeois, tout de noir habillé comme il sied à un bon catholique ami du travail, le visage dénonce en lui l'homme de réflexion qui sait aussi être un décisionnaire , poursuit Patrick de Gmeline. Il négocie des emprunts pour investir en fûts, en instruments et en outils nécessaires à la pratique du métier. Entre 1733 et 1739, il emprunte 12 800 livres en sept opérations. »
Nicolas Ruinart s'approvisionne dans trois régions différentes : dans la proximité immédiate de la ville de Reims, il achète la moitié des vins dont il a besoin. Ensuite, il se fournit dans la zone de la montagne de Reims (Chamery, Ecueil, Ville-Dommange, Verzenay) et dans la vallée de la Marne (Avenay-Val-d'Or, Hautvillers, Cumières).
Selon Patrick de Gmeline, dans la première moitié du XVIII e siècle, Nicolas Ruinart achète le vin de Verzenay 185 livres la queue (400 l, ndlr) et le revend 260 livres. Dans son livre de comptes, il distingue « le vin ordinaire, vendu 120 livres la queue, du vin nouveau vendu 175 livres et du vin vieux, le plus apprécié, vendu 195 livres. Le vieillissement ne semble toutefois pas excéder deux années puisqu'en 1738, il vend du vin vieux de... 1736 », consigne-t-il.
De 3 000 bouteilles vendues en 1731, la maison passe à 36 000 cols en 1761. L'année suivante, elle compte 360 clients dûment identifiés. Nicolas Ruinart vend principalement dans le sud de la Belgique et le nord de la France. Peu à peu, il expédie ses vins vers des destinations plus lointaines par les ports de Dunkerque et de Rouen et par les voies fluviales que sont le Main, le Rhin et le Danube. Patrick de Gmeline relève « la place à part de Lille », où Nicolas Ruinart a engagé « un commis chargé de gérer des stocks de vins entreposés dans des caves ».
En mars 1764, Nicolas et son fils Claude, né en 1731, « passent devant notaire un acte qui crée la Maison Ruinart père et fils ». Après la mort de Nicolas Ruinart, le 20 avril 1769, Claude reprend le flambeau. Presque deux siècles plus tard, en 1963, Moët & Chandon, aujourd'hui société du groupe LVMH, rachète la maison.