La taille mini male

Ici, rien ne ressemble aux paysages traditionnels. Les vignes émettent une végétation foisonnante et débridée. Leurs sarments sont courts et minces. Elles portent beaucoup de petites grappes, très lâches, avec des baies elles aussi petites. Autre élément inhabituel : la présence de bois mort au sein de la végétation.
En plein coeur du vignoble de La Clape, non loin de Narbonne (Aude), l'Inra de Pech Rouge expérimente depuis trois ans un nouveau mode de conduite : la taille minimale. Ces essais complètent ceux lancés dès 1997 au Domaine de Lavalette, par l'Inra de Montpellier.

La technique porte bien mal son nom puisqu'il vaudrait mieux parler de non-taille. Le principe : réduire les interventions manuelles au minimum pour faire chuter les coûts de production. La vigne est donc laissée à elle-même. Elle ne subit ni taille, ni prétaille, ni intervention en vert. Seul un rognage latéral peut être pratiqué pour le passage des machines.
Ce mode de conduite ne peut être mis en oeuvre que sur une jeune plantation spécialement formée ou sur des vignes recépées. En tout premier lieu, il faut former un cordon à 1,40 m de hauteur pour permettre un port retombant sans que les sarments ne touchent le sol. Dans les nouvelles plantations, la formation de ce cordon exige souvent quatre ans, contre trois ans en conduite palissée et taillée. Sur des vignes recépées, elle peut être obtenue en une année. Dès lors que le cordon est formé, il n'y a plus aucune intervention sur la vigne.
Il n'est pas envisageable de passer une vigne déjà formée en taille minimale, car le cordon est trop bas. Il se formerait alors une voûte de sarments retombants au sol avec une mauvaise aération du raisin. De plus, l'arrêt de la taille sur des cordons âgés entraîne une forte hétérogénéité les premières années, avec des trous de végétation et des alternances de sarments vigoureux et grêles.
Le succès de la taille minimale réside dans les conditions de culture de la vigne. Sur des terres trop fertiles, l'excès de vigueur génère une végétation abondante et des entassements de feuillages, qui posent des problèmes de maturité et d'ordre sanitaire. Sur des sols pauvres ou sensibles à la sécheresse, la taille minimale accentue le risque de stress hydrique, car elle se caractérise par une densité de feuillage plus élevée. Pour maîtriser ces deux risques, l'idéal est donc d'enherber pour limiter la vigueur, et d'irriguer pour éviter les stress hydriques.

Pendant les deux à quatre premières années qui suivent l'arrêt de la taille, on observe une forte surproduction. De plus, les raisins mûrissent mal et sont souvent impropres à la vinification. Pour remédier à ces excès de production, il est possible de pratiquer une taille mécanique, avec ou sans finition manuelle, afin de limiter la charge. Ensuite, la vigne se régule, mais les rendements, à densité de plantation égale, restent supérieurs de 20 % à ceux d'une vigne conduite en cordon de Royat.
Les vins obtenus sont différents. « Ce mode de conduite n'est pas adapté à la production de grands vins, mais convient parfaitement pour des vins souples et légers », reconnaît Hernan Hojeda, chercheur chargé du programme à l'Inra.
« La taille minimale donne des vins d'un style régulier d'une année sur l'autre , ajoute Jacques Rousseau, de l'ICV de Montpellier qui, depuis 2004, vinifie les essais. Nous avons fait déguster nos merlots conduits en taille minimale à des responsables commerciaux de caves coopératives. Ils les ont jugés plus adaptés aux segments d'entrée et de coeur de gamme des vins de cépage, que les témoins issus de vignes traditionnelles. »
Reste encore à affiner l'appréciation de la maturité des raisins. En effet, il semblerait qu'avec la taille minimale, l'écart entre la maturité physiologique et phénolique soit réduit. Mais la maturité serait plus tardive, avec un décalage d'une quinzaine de jours par rapport à un cordon de Royat.

L'essentiel du gain provient d'une économie sur le temps de travail par rapport à un mode de conduite classique en cordon palissé. L'Inra a fait ses calculs dans les vignes plantées à 3 600 pieds/ha (2,50 × 1,20 m). La quasi-disparition des interventions manuelles permet une réduction de 47 h/ha/an. On passe de 80 h pour un cordon palissé à 33 h en taille minimale, soit 59 % de moins.
La diminution de la charge de travail survient durant les périodes saturées (taille, travaux en vert). De ce fait, la taille minimale permet une augmentation de la capacité de production par UTH (unité de travail humain) : une personne seule peut, sur la base de 168 h de travail mensuel, exploiter 30 ha de vignes (35 ha hors vendanges), contre 14 ha en cordon de Royat palissé.
Ce gain en temps engendre une baisse de 29 % des frais annuels d'entretien, selon l'Inra et l'ICV. En revanche, les frais de plantation sont supérieurs de 13 % du fait du léger surcoût de palissage (piquets plus nombreux, fils plus gros) et surtout de l'année supplémentaire requise pour la formation du cordon. Au final, la taille minimale permet une réduction de 18 % du coût de production global à l'hectare (entretien + amortissement). En intégrant l'augmentation des rendements, cette technique engendre une réduction de 31 % du prix de revient d'une tonne de raisin.
Reste à savoir quelle est la pérennité d'une vigne ainsi conduite. En France, les références manquent puisque les premiers essais ne datent que de 1997. En Australie, les parcelles les plus anciennes ont trente ans environ et produisent 12 à 13 t/ha. « Mais il s'agit de sols profonds, irrigués et enherbés , précise Jacques Rousseau. Chez nous, mieux vaut tabler sur une durée de vie d'une vingtaine d'années. »