Le Domaine de Saint Jean le vieux réalise 90 % de son chiffre d'affaires au caveau, avec une clientèle surtout de petit vrac et de fontaines à vin. Il se prépare à monter en gamme et veut profiter de la manne touristique.
Pour les frères Boyer, le constat est clair et net : « Nos vins de pays du Var se vendent très bien. Beaucoup mieux que les AOC. Sur les six dernières années, nous n'avons revendiqué que 20 ha, en moyenne, en AOC Coteau varois sur les 52 ha classés en Provence, témoigne Claude Boyer. Personne ne connaît cette appellation. Elle ne se vend pas. »
En prise directe avec les consommateurs, Pierre et Claude Boyer ont réalisé depuis longtemps que ceux-ci ne comprennent rien au système des appellations françaises. « Si je leur demande : souhaitez-vous un vin de pays ou une AOC, certains me répondent : 'Ah, non ! Pas un vin de pays, on veut un vin du coin' », témoigne Claude. En outre, leur clientèle achète beaucoup en petit vrac. Elle est très attentive aux prix. A choisir, elle préfère payer 9 euros pour une fontaine de 5 l de vin de pays, plutôt que 11 euros pour la même quantité d'AOC. Alors, comme « le client est roi » chez les Boyer, ils ont adapté leur offre.
Avant tout, ils ont amélioré la qualité de leurs vins. Leur propriété compte aujourd'hui 62 ha de vignes. Elle est située à Saint-Maximin-la-Sainte-Baume (Var). Paul Boyer, le grand-père, l'a créée avec ses deux fils Henri et Louis. En 1977, ils quittent la cave coopérative et démarrent sur 42 ha le Domaine de Saint Jean le vieux. Ils vinifient les premiers vins avec du matériel de fortune.
A partir de 1979, « une clientèle locale vient remplir ses cubitainers au domaine ». En 1983, les Boyer arrachent 6 ha d'hybrides et d'aramon, puis replantent (merlot, cabernet, syrah, chardonnay, grenache, cinsault). Leur programme de rénovation s'achèvera en 2000. En tout, ils ont réencépagé 29 ha.
En 1984, ils achètent leur premier pressoir pneumatique. En 1990, ils refont toute la réception de la vendange. Ils remplacent les camions de 8 t par des bennes à double fond de 60 hl. Ils ont toujours vendangé à la machine, mais « à la fraîche ». Ils refroidissent les cuves par ruissellement d'eau jusqu'en 1998, date à laquelle ils investissent dans leur premier groupe de froid.
En 1993, les deux frères construisent un caveau digne de ce nom, une salle de réception et une autre de stockage. L'accueil des clients est mis en valeur : c'est une étape importante de la vie du domaine. A cette époque, les Boyer vendent déjà les deux tiers de leur production (2 000 hl) au caveau. Pour se faire connaître, ils participent à toutes les manifestations locales. L'été, Pierre fait le tour des campings familiaux. Dans chacun d'eux, il organise une dégustation gratuite et livre aux habitués, devenus des fidèles, leur commande annuelle.
En 1996, ils « se mettent au manucube », un caisson en plastique rigide qui abrite une poche en plastique souple de 15 l. A l'époque, ce système est pressenti pour remplacer le cubitainer. « Mais les caisses en plastique étaient consignées. Cela entraînait un travail d'enfer . » Deux ans plus tard, ils adoptent les fontaines à vin et achètent une machine pour les conditionner. Aujourd'hui, ils en commercialisent 10 000 et misent sur ce conditionnement, car « la bouteille, c'est du travail ».
Entre 1995 et 2002, les frères vendent tout en direct. En 2003, ils achètent 15 ha supplémentaires qui produisent 1 200 hl, vendus au négoce. C'est là que le bât blesse.
Les prix de l'AOC sont en chute libre. Il y a dix-huit mois, le coteau-varois rosé se négociait 1,10 euros/l en vrac. En juin 2006, il ne valait plus que 0,60 euros/l. Sans compter les enlèvements qui n'en finissent pas d'être reportés.
En revanche, le vin de pays 2005 a été vendu, retiré et payé avant la fin du premier semestre, à un prix presque identique : 0,55 euros/l. Avec des rendements de 50 hl/ha pour l'AOC et de 85 hl/ha pour le VDP, le calcul est vite fait.
Heureusement, les ventes au caveau, soit 90 % du chiffre d'affaires, se maintiennent et le rosé a le vent en poupe. Là encore, les deux frères se sont adaptés. Au départ, les rosés représentaient 30 % de leur production, contre 75 % aujourd'hui. Ils vinifient des vins « fruités, frais et surtout pâles, car les rosés foncés ne se vendent plus . Le rosé ne connaît pas la crise . Et si nous pouvions mettre en avant les noms de Provence ou French Riviera qui font rêver le monde entier, notre potentiel de ventes serait bien plus grand. Seulement voilà, nous n'avons pas droit à l'AOC et la profession n'est pas capable de se fédérer sous une seule AOC ».
Claude et Pierre Boyer entendent développer davantage la production de rosés et de VDP haut de gamme (environ 150 hl actuellement). Ils travaillent sur la construction d'une image de marque avec l'aide d'une agence spécialisée. Leur objectif est de donner une identité à leur domaine, de créer un logo, de relooker leurs étiquettes et de rendre les fontaines à vin plus attrayantes. « Au début, elles étaient en carton-kraft basique. Nous avons pensé que le client ne devait pas avoir honte de les sortir de sa voiture », témoigne Claude.
De même, ils vont revoir la signalétique pour accéder à la propriété, idéalement située au coeur de la Provence, entre les massifs de la Sainte-Baume et de la Sainte-Victoire. Ils veulent profiter de la manne touristique. « L'idée est de faire venir le client, car une fois qu'il est ici, nous lui vendons ce que nous voulons », reconnaît Claude.