Tout à l'ouest de la Roumanie, le vignoble des Minis, célèbre pour son cépage cadarca, n'a pas fini de solder les errements de l'époque communiste.
«La Roumanie possède une tradition viticole très ancienne. La culture de la vigne et du vin fait partie de son patrimoine », explique Mihai Duma, directeur du Centre de recherche et de production de Cuvin. Situé au coeur du vignoble des Minis, ce centre étatique a été créé en 1957, à l'emplacement d'une école de viticulture.
S'étendant sur une bande d'environ 50 km, le vignoble des Minis est loin d'égaler Mulfatar ou Panciu, les régions viticoles les plus réputées du pays. Mais il se distingue par son encépagement. Il est renommé à travers toute la Roumanie pour ses vins rouges. Dans un pays dont la production est constituée à 70 % de vins blancs, les Minis font exception.
La région est encépagée en cabernet-sauvignon, merlot, pinot noir et pinot gris, mais on la connaît surtout pour son cépage local qu'on ne trouve nulle part ailleurs en Roumanie : le fameux cadarca. Ce dernier intervient dans la composition du vin caractéristique de la région, le rosu-de-minis, un assemblage de cabernet-sauvignon, de merlot et de cadarca. Fort en bouche et particulièrement tannique, le cadarca est un cépage de maturité tardive qui ressemble à son cousin hongrois, le kardarca.
Le cadarca contribue au patrimoine et à la renommée de cette microrégion bien plus qu'au vignoble lui-même. Mihai Duma explique : « Sur nos 130 ha, 60 % sont plantés en cépages rouges et le cadarca ne représente que 5 ha. Il constitue cependant la marque de fabrique du vin de cette région. »
Ce n'est donc pas un hasard si l'un des trois musées nationaux de la vigne et du vin a été établi au coeur de cette région, au sein même du centre de recherche. « Puisque nous étions établis sur une ancienne école de viticulture, il nous paraissait important de poursuivre cette mission pédagogique à travers le musée. Afin de garder des témoignages de la culture viticole roumaine, nous avons créé une cave regroupant les plus anciennes bouteilles du pays. Nous possédons une bouteille datant de 1744 et l'une des premières produites sur le secteur des Minis », poursuit Mihai Duma avec fierté.
Le centre semble aujourd'hui vivre ses derniers jours. En parcourant le vignoble, la nostalgie s'empare de l'ingénieur en charge de l'environnement, qui regrette les sommes allouées à la recherche de cette époque.
Par ailleurs, comme d'autres organismes d'Etat, le centre doit restituer des terres nationalisées à son profit au milieu des années soixante, lors de l'arrivée du dictateur Nicolae Ceausescu, à la tête du pays. Depuis 1990, le processus de restitution des terres aux anciens propriétaires a beaucoup morcelé le vignoble roumain. « Nous redonnons progressivement des terres aux viticulteurs locaux. Nous ne savons pas encore comment va évoluer notre statut ou si nous allons tout simplement disparaître », précise avec une pointe d'inquiétude Mihai Duma.
Il a fallu attendre près de dix ans pour constater des signes de restructuration avec l'émergence de nouveaux acteurs économiques. Sur tout le territoire national, on compte 300 000 exploitations de moins de 1 ha, cultivant 23 % de la surface du vignoble, 10 000 entre 1 et 10 ha, 50 à 100 exploitations entre 11 et 2 000 ha.
Georg Balla fait partie de ces nouveaux acteurs dans la région des Minis. Cet ancien ingénieur du domaine étatique Ias Baratca a racheté, en 1999, 60 ha de vignobles et lancé sa propre société Wine Princess. Malgré ses accents anglo-saxons, c'est une structure familiale entièrement roumaine. Wine Princess produit 2 500 hl, dont près 300 000 bouteilles par an à 80 % de vin rouge.
Dans la boutique située au coeur de la ville d'Arad, les bouteilles sont exposées comme des objets de luxe. Seuls les meilleurs cépages sont vieillis en fûts et sont mis en bouteilles.
Mais l'essentiel de la production est vendue en vrac et le vin est livré dans des bouteilles en plastique. La boutique de Wine Princess ne désemplit pas. Si le cadarca 2000 réserve peut atteindre 30 lei/col (8,50 euros), le vin en cuve vaut 6 lei/l (1,75 euros). Un prix nettement plus abordable pour les Roumains dont le Smic avoisine les 90 euros/mois.
Visite de cave, dégustation de groupe, site internet en trois langues, et packaging sophistiqué sont les outils lancés par Georg Balla pour tenter de séduire une nouvelle clientèle avec un pouvoir d'achat plus élevé. Tandis que le centre semble compter ses dernières heures, Wine Princess rêve de racheter des nouvelles terres et, pourquoi pas, de conquérir de nouveaux marchés. L'entrée dans l'Europe en janvier 2007 peut accélérer les changements aux Minis et dans toute la Roumanie.