Les responsables des réseaux Dephy sont satisfaits. « Dans les dix exploitations viticoles que j'encadre, l'indice moyen de fréquence de traitement (IFT) a baissé de 30 à 40 % depuis 2012. Il est aujourd'hui de 11 alors que nous avons connu des années, comme 2013, où la forte pression du mildiou et les conditions climatiques ne rendaient pas les choses faciles », indique Jean-Baptiste Meyrignac, ingénieur réseau Dephy pour l'ouest de la Gironde au sein de la chambre d'agriculture girondine.
En Champagne, malgré une pression d'oïdium en progression, « l'IFT moyen du réseau Dephy (13 vignerons), qui est de 14, a chuté de 40 % au cours de ces quatre dernières années comparé à l'IFT de référence régional qui est de 23,8 », annonce Yohan Kouzmina, responsable Dephy à la chambre d'agriculture de la Marne. En Alsace, en 2014, l'IFT a été réduit de 30 % par rapport au niveau de référence qui est de 13.
L'indice de fréquence de traitement est le nombre de doses homologuées par hectare appliquées durant une campagne. Cette donnée est au centre du travail effectué par les exploitations qui se sont portées volontaires, en 2010-2011, pour intégrer les réseaux Dephy (démonstration, expérimentation et production de références sur les systèmes économes en phytosanitaires). Créés dans le cadre du plan Ecophyto, ces réseaux visent à prouver que l'on peut traiter moins, tout en préservant la récolte.
Les résultats des vignerons Dephy montrent que cela est possible. Mais la baisse est plus ou moins marquée selon les régions et les années. « Dans le Vaucluse, l'IFT des vignerons Dephy n'a baissé que de 10 % par rapport à 2009 où l'IFT moyen était de 9,8. En 2013, en raison de l'oïdium, et en 2015, à cause du black-rot et de la flavescence dorée, la pression a été élevée », constate Marie-Véronique Arrigoni, conseillère à la chambre d'agriculture du Vaucluse et ingénieur réseau du groupe. Dans le Loir-et-Cher, en 2015, l'IFT du groupe était de 11,5, soit un peu inférieur à l'IFT de référence, qui est de 12. Mais, en 2014, il a été plus élevé - 15,6 - en raison d'un mildiou virulent.
Pour autant, même cette année-là, les vignerons Dephy du Loir-et-Cher ont appliqué des doses réduites de produits phyto. « Nous utilisons Optidose, qui calcule la dose de produit à apporter en fonction du volume foliaire, de la pression et du stade phénologique. Pour les trois premiers traitements antimildiou, les vignerons appliquent 30 à 60 % de la dose homologuée si le risque est faible, ou 50 % à 80 % si le risque est fort. Les résultats sont satisfaisants », explique Alice Durand, en charge du réseau dans le département.
En Alsace, l'outil est également concluant (lire encadré). D'autres vignerons Dephy réduisent leurs doses de produits sans Optidose. « Ils démarrent les traitements antimildiou avec du cuivre à demi-dose ou à un tiers de dose, puis ils appliquent des produits de synthèse à dose réduite en cas de pression modérée, puis à pleine dose à la floraison. Si le risque de maladie est limité, ils reviennent ensuite au cuivre », détaille Yohan Kouzmina, responsable du réseau Dephy vigne dans la Marne. Cette réduction des doses est indissociable d'une bonne qualité de pulvérisation pour assurer une protection efficace.
Des vignerons Dephy en viticulture conventionnelle utilisent également plus de soufre. La raison ? « Cette matière active est efficace contre l'oïdium. Elle est aussi comptabilisée à part dans l'IFT, dans la catégorie Nodu Vert », explique Jean-Baptiste Meyrignac. Ils ont également recours aux diffuseurs de phéromones contre les tordeuses et à l'argile kaolinite contre les cicadelles vertes.
Autre moyen de baisser le nombre de traitements : le raisonnement des interventions. « Nos témoins non traités montrent aux vignerons qu'il n'est pas nécessaire d'intervenir systématiquement, et qu'il est possible de découpler les traitements antimildiou et anti-oïdium si la pression d'une de ces deux maladies retombe », constate Jean-Baptiste Meyrignac. Et il ne faut pas négliger la prophylaxie. « Un effeuillage précoce remplace un antibotrytis avec une efficacité similaire », souligne Rohan Kouzmina, de la chambre d'agriculture de la Marne.
Quant aux herbicides, pour les réduire, voire les supprimer, certains vignerons se lancent dans l'enherbement total, ou enherbent l'inter-rang, et désherbent mécaniquement le cavaillon. D'autres sèment des engrais verts. Au final, selon les responsables des réseaux, toutes ces actions n'ont pas eu d'impact sur le rendement.
Optidose se démocratise
« Optidose a fait ses preuves, même lors des années difficiles 2012 et 2013. Les vignerons Dephy ont pris confiance dans cet outil. Ils en parlent lors des réunions Bouts de vignes avec les autres viticulteurs, indique Céline Abidon, de la chambre d'agriculture d'Alsace. Mais Optidose ne peut fonctionner qu'avec une très bonne qualité de pulvérisation, c'est une limite à sa démocratisation. Il nécessite également un minimum d'accompagnement technique. » « Optidose est utilisé par les deux tiers des vignerons de mon groupe. Ils reçoivent les préconisations de réduction de doses toutes les semaines en saison, mais ils doivent aussi observer l'état de leur vignoble », explique Alice Durand, de la chambre d'agriculture du Loir-et-Cher. « C'est un outil que je trouve très logique et très facile à utiliser », confie Florence Veilex, vigneronne Dephy dans ce département.
Plan Ecophyto 2 Une révision des objectifs
Le premier plan Ecophyto avait pour objectif de réduire de 50 % l'usage de produits phytosanitaires d'ici 2018. Or, leur consommation a progressé de 5 % entre 2009 et 2013. Fin octobre 2015, le gouvernement a donc présenté une nouvelle version de ce plan, après en avoir soumis le projet à une consultation publique qui a reçu plus de 4 700 contributions. Ecophyto 2 maintient l'objectif de diminution de moitié de l'usage des produits phyto, avec toutefois une révision des échéances : - 25 % d'ici à 2020, grâce à l'optimisation des systèmes de production, et - 50 % à l'horizon 2025 grâce à des mutations plus profondes. Pour cela, le plan prévoit notamment de renforcer la recherche sur le biocontrôle, d'augmenter le nombre de fermes Dephy et d'expérimenter des certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques pour les distributeurs. Cette dernière initiative est critiquée par l'Union des industries de la protection des plantes (UIPP) et le négoce agricole.
Le Point de vue de
« Mon IFT a été de 7 en 2015, alors qu'il était de 13 en 2010, lorsque j'ai intégré le groupe Dephy. Malgré cette baisse, je n'ai pas eu de perte de rendement, sauf en 2012 en raison d'une forte pression de mildiou et d'un oïdium très présent en fin de campagne.
Pour arriver à ce résultat, j'utilise au maximum le soufre et le cuivre, à des doses modulées selon le stade de la vigne et la pression. Mais en cas de coup de feu, je ne m'interdis pas d'avoir recours à des produits de synthèse. En 2014, contre le mildiou, j'ai ainsi appliqué à la floraison Firmament (mancozèbe, fosétyl-Al, iprovalicarbe) et Mildicut (disodium phosphonate et cyazofamid). En 2015, sur une parcelle très attaquée par l'oïdium, j'ai dû appliquer du Karathane 3 D (meptyldinocap).
Pour moi, la baisse de l'IFT en fongicides n'est possible que si on revient à l'agronomie. Mes vignes sont enherbées et je travaille le cavaillon avec un intercep. Grâce au binage, mes vignes se portent bien, elles réagissent moins face à un excès d'eau ou à une sécheresse. Au final, nous avons fortement réduit le coût de notre protection phytosanitaire, mais l'objectif est avant tout de préserver notre santé et l'environnement. En effet, notre exploitation est proche d'un captage d'eau potable. »