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GUIDE PHYTOS - RAVAGEURS

Tordeuses Adaptez la stratégie au risque

La vigne - n°201602 - février 2016 - page 48

La protection contre les tordeuses de la grappe est à raisonner selon le niveau des populations. Soyez particulièrement vigilants en deuxième et troisième générations.
LA COCHYLIS perce les baies, ce qui peut entraîner des attaques de pourriture grise. © C. WATIER

LA COCHYLIS perce les baies, ce qui peut entraîner des attaques de pourriture grise. © C. WATIER

À LA FLORAISON, les chenilles mangent les boutons floraux et les agglomèrent en glomérules. © M. FAGGIANO

À LA FLORAISON, les chenilles mangent les boutons floraux et les agglomèrent en glomérules. © M. FAGGIANO

Quelles espèces peut-on rencontrer ?

L'eudémis et la cochylis. Leurs larves attaquent les baies. Dans certaines régions, les deux espèces sont présentes de façon égale, comme dans le Val de Loire ou en Gironde. Dans d'autres, une espèce prédomine. C'est le cas de l'eudémis dans les côtes du Rhône et dans le Tarn.

Quelles conditions leur sont favorables ?

« L'eudémis préfère un temps chaud et sec et est perturbé par le vent. La cochylis apprécie, elle, la fraîcheur et l'humidité », explique Sylvie Bouchard, conseillère technique vigne à la coopérative Natura Pro. Mais, en 2015, les températures élevées et le temps très sec ont particulièrement affaibli les deux espèces. « Les fortes chaleurs ont fait avorter les oeufs », constate Sylvie Bouchard. « La pression a été très limitée l'année dernière, confirme Patrick Bergougnoux, responsable technique national vigne et arboriculture chez DuPont. Les températures optimales pour les vers de la grappe se situent entre 18 et 25 °C. Les journées à plus de 30-35 °C et les nuits chaudes ont contrarié leur développement. »

Faut-il intervenir sur la première génération (G1) ?

Généralement non. Durant la floraison, les chenilles de première génération mangent les boutons floraux et les agglomèrent en glomérules. « Ces dégâts ont peu d'incidence sur la récolte, excepté dans les productions à faible rendement », indiquent Lionel Delbac et Denis Thiéry, de l'Inra de Bordeaux. « Sur la grande majorité des parcelles, le traitement en G1 ne se justifie pas », note la chambre d'agriculture du Maine-et-Loire. Il existe toutefois des seuils d'intervention, variables selon les vignobles : 50 à 60 glomérules pour 100 inflorescences en Bourgogne, 50 à 80 glomérules pour 100 inflorescences dans le Tarn, à moduler en fonction du potentiel de récolte. « La première génération est rarement traitée chez nous », constate Thierry Massol, conseiller viticole à la chambre d'agriculture du Tarn.

Dans le Maine-et-Loire, la chambre d'agriculture conseille de raisonner à la parcelle. Dans celles très chargées, le traitement n'est pas nécessaire. « Dans les parcelles normalement chargées, le seuil de traitement est de plus de 70 glomérules occupés pour 100 grappes. En dessous, la vigne compense en faisant des baies plus grosses. » Les produits que l'on peut utiliser sont ceux qui se montrent efficaces sur les jeunes larves, à savoir des pyréthrinoïdes ou du chlorpyriphos-méthyl, selon la chambre d'agriculture du Tarn.

Quelle stratégie en deuxième génération (G2) ?

Il faut intervenir en préventif car, pendant l'été, les tordeuses perforent les baies, ce qui favorise les attaques de pourriture grise. Pour connaître la pression, lisez le Bulletin de santé du végétal (BSV), observez les vols des papillons et les pontes. Ces dernières ressemblent à des gouttes d'eau aplaties sur la surface de la baie. Elles résistent au contact du doigt. En Gironde, le BSV conseille de gérer la deuxième génération en fonction du nombre de glomérules pour 100 inflorescences observées en G1, de l'historique de la parcelle, de la pression et des conditions climatiques. Ainsi, entre 0 et 5 glomérules pour 100 inflorescences, il recommande de ne pas intervenir. Au-delà de ce seuil, il faut envisager un traitement préventif.

Dans le Maine-et-Loire, la chambre d'agriculture préconise de positionner le traitement en fonction du piégeage des papillons : si au moins 10 papillons par jour sont piégés pendant 4 jours consécutifs, il faut traiter 10 jours après ; ou en fonction de l'observation des pontes : s'il y a plus de trois pontes pour 100 grappes, il faut alors intervenir.

Quels produits utiliser en G2 ?

Dans les côtes du Rhône, Sylvie Bouchard recommande de traiter « avec de l'emamectine benzoate (Affirm) ou de l'indoxacarbe (Steward), du 15 juin à début juillet, soit du début des pontes jusqu'au stade tête noire (deux jours avant l'éclosion) ». Dans le Tarn, Thierry Massol préconise « d'utiliser, du début des pontes jusqu'aux premières éclosions, du thiamétoxam associé à du chlorantraniliprole (Luzindo). Cet insecticide est homologué contre les tordeuses mais aussi contre la cicadelle de la flavescence dorée. Il est donc intéressant dans les périmètres de lutte obligatoire ». De son côté, Patrick Bergougnoux suggère « du chlorantraniliprole (Coragen) ou de l'indoxacarbe (Steward) à appliquer au début des pontes, pour une meilleure efficacité, même s'ils agissent aussi sur les larves. Si le vigneron doit aussi traiter les cicadelles vertes, l'indoxacarbe lui permet de faire un traitement bivalent ».

Dans tous les cas, la pulvérisation doit se faire dans la mesure du possible en face par face et viser les grappes.

Faut-il renouveler les interventions ?

Oui, si vous observez des pontes fraîches (5 à 10 pontes pour 100 grappes) avant la fin de la persistance d'action du produit appliqué. « Les ovicides ont en général une rémanence de 3 semaines. En cas de poursuite des vols au-delà de cette durée, il faut traiter à nouveau », précise Philippe Raucoules, de BASF.

Que faire en G3 ?

L'eudémis peut développer une troisième génération (G3), voire une quatrième. Il arrive aussi que la cochylis réalise un début de troisième génération. « La G3 n'est pas systématiquement traitée en côtes du Rhône, indique Sylvie Bouchard. La décision d'intervenir est conditionnée aux résultats des piégeages et au nombre de foyers observés en G2. Si un traitement est nécessaire, il faut prendre en compte le délai avant récolte (DAR). Nous préconisons de l'emamectine (Affirm), du début des pontes au stade tête noire, ou du spinosad (Success 4) au stade tête noire. Tous deux ont un DAR court (7 et 14 jours) ».

Dans le Tarn, Thierry Massol recommande lui aussi « du spinosad ou du Bacillus thuringiensis (XenTari) dont le DAR est de trois jours ». Patrick Bergougnoux préconise, lui, d'employer « de l'indoxacarbe ou du chlorantraniliprole. Mais tout dépend du produit que l'on a appliqué en G2, car celui appliqué en G3 doit être différent ».

Comment préserver les auxiliaires ?

En privilégiant certains produits. « Nous préconisions auparavant du chlorpyriphos-méthyl (Exaq), mais nous lui préférons dorénavant l'émamectine (Affirm) au profil plus doux envers les auxiliaires », confie Sylvie Bouchard. « L'indoxacarbe (Steward) est une référence en matière de sélectivité envers les typhlodromes, les punaises prédatrices, les coccinelles et les chrysopes, souligne Patrick Bergougnoux. Le chlorantriniprole (Coragen) est aussi une des molécules ayant le moins d'impact sur les auxiliaires. »

Comment protéger les abeilles ?

En restant vigilant lors de la floraison ou lors de la production d'exsudats. Durant cette période, vous ne pouvez intervenir qu'en dehors du butinage, c'est-à-dire tard le soir ou tôt le matin, et uniquement si le produit porte une mention « abeilles », laquelle indique que l'« emploi est autorisé durant la floraison, en dehors de la présence d'abeilles ». Or, ce n'est pas le cas des produits à base d'indoxacarbe, d'émamectine, de chlorantraniliprole et de spinosad. Vous pouvez les utiliser en dehors de la floraison de la vigne. Dans ce cas, fauchez les interrangs fleuris avant de traiter.

QUOI DE NEUF ? TROIS PYRÉTHRINOÏDES

La famille des pyréthrinoïdes comprend désormais trois nouveaux produits homologués en viticulture contre les vers de la grappe.

- Cheminova a lancé Decline 1.5 EW, à base de deltaméthrine, qui agit de façon rapide. Ce produit peut être utilisé trois fois dans la saison.

- Belchim a obtenu une extension d'usage sur la vigne pour Fury 10 EW à base de zéta-cyperméthrine. Ce produit vise les cicadelles de la flavescence dorée et les tordeuses. Il agit par contact et ingestion. Il ne peut être appliqué qu'une seule fois au cours de la saison.

- Certis a eu l'homologation de Trebon 30 EC, à base d'étofenprox. Cet insecticide permet de lutter contre les tordeuses, la cicadelle verte et celle de la flavescence dorée, et Metcalfa pruinosa. Il agit par contact et ingestion avec un effet de choc. « Trebon 30 EC a un impact faible à modéré sur la faune auxiliaire », indique la société.

ET EN BIO ? BT ET SPINOSAD

- Plusieurs produits à base de Bacillus thuringiensis (Bt) sont homologués contre les vers de la grappe et utilisables en bio. Neutres pour la faune auxiliaire, ils tuent la larve par ingestion dans les 48 heures, en libérant une toxine. « Nous préconisons d'appliquer du Bt en G2, au stade tête noire. L'efficacité est généralement satisfaisante. Mais il faut veiller aux conditions météorologiques lors du traitement car ce produit est lessivable », indique Agnès Boisson, conseillère viticole au Sedarb, en Bourgogne. « Si la pression est modérée en G2 ou G3, un traitement au Bt suffit, appliqué un peu plus tôt que le stade tête noire », explique Nicolas Constant, ingénieur-conseil à SudVinbio. La persistance d'action du Bt est d'une dizaine de jours. Ce produit est sensible aux rayons ultra-violets.

- Un autre produit de biocontrôle est utilisable par les vignerons bio : le spinosad (Success 4, Musdo 4). Nicolas Constant le recommande « face à une forte pression en G2 ou en G3, appliqué avant le début des éclosions, suivi d'un traitement au Bt de dix à quatorze jours plus tard ». « Il n'est pas lessivable. Nous le conseillons si des pluies sont annoncées dans les huit jours qui suivent le traitement », poursuit Agnès Boisson. Le spinosad persiste jusqu'à 14 jours. Il agit sur les larves à la fois par contact et par ingestion. « Son efficacité est proche des insecticides de synthèse, mais il est toxique envers certains auxiliaires, comme les trichogrammes et les mirides, des punaises qui se nourrissent de pucerons et de cicadelles », prévient Alice Durand, conseillère viticole à la chambre d'agriculture du Loir-et-Cher.

La confusion sexuelle se développe

POSE DE RAKS en Champagne. © GUTNER

POSE DE RAKS en Champagne. © GUTNER

En France, en 2015, la confusion sexuelle contre les vers de la grappe a été mise en place sur près de 40 000 ha. La majeure partie de cette surface est couverte par les diffuseurs Rak de BASF « qui ont été posés sur 35 000 ha l'année dernière », indique Philippe Raucoules, responsable agronomique vigne chez BASF. Le numéro 1 du secteur en France partage le marché avec une autre firme, CBC Biogard, qui s'est associée fin 2014 avec Terra Fructi. Cette société, créée par deux vignerons, avait introduit en 2012 l'Isonet LE, un diffuseur composé de deux tubes soudés par leurs extrémités. Les Isonet, tout comme les Rak, ont été développés par la société japonaise Shin-Etsu.

Aujourd'hui, BASF commercialise également des Isonet 1+2 (contre eudémis et cochylis) et Isonet 2 (contre eudémis) « afin d'offrir une gamme de diffuseurs à nos clients, qui peuvent avoir une préférence pour l'un ou l'autre système, Isonet ou Rak », précise Philippe Raucoules. La firme a aussi lancé un nouveau Rak, le Rak 2 New, contre l'eudémis, qui remplace le Rak 2 3G. Il contient une nouvelle formulation optimisée : un mélange de deux phéromones, une charge augmentée et un stabilisateur. « Il assure une meilleure régularité de la diffusion sur une durée permettant une couverture complète des vols. » La durée de protection promise est d'environ 180 jours.

De son côté, CBC Biogard a sorti deux nouveaux diffuseurs. Isonet L (contre eudémis) et Isonet L Plus (contre eudémis et cochylis). Ce dernier assure, selon CBC Biogard, « une persistance d'action de 140 à 160 jours, en fonction des températures moyennes et de la vitesse du vent sur la zone traitée ».

« Les diffuseurs Isonet se sont fortement développés dans notre vignoble. Ils sont plus simples à poser sur les vignes en gobelet et en cordon, mais l'installation des Rak est plus rapide dans les vignes palissées », témoigne Thierry Massol, conseiller viticole à la chambre d'agriculture du Tarn. Dans les côtes du Rhône septentrionales, la confusion sexuelle a aussi gagné du terrain. « En Côte Rôtie, Condrieu, Cornas, Hermitage, cette pratique concerne environ 150 ha aujourd'hui, constate Sylvie Bouchard, conseillère technique vigne chez Natura Pro. Les vignerons utilisent les Rak de BASF avec de bons résultats, même si, les premières années, des traitements d'appoint ont parfois été nécessaires. »

La confusion sexuelle ne dispense pas de recourir à un traitement insecticide, lors de la mise en place de la méthode - qui va restreindre les populations de papillons d'année en année -, ou face à une forte pression. « Si lors de la précédente vendange, 10 % des grappes environ ont été attaquées par les tordeuses, il faut traiter la G1 pendant l'apparition des tout premiers glomérules, conseille Philippe Raucoules, de BASF. L'intervention en G2 (avec un produit ovicide ou ovicide-larvicide) se justifie si plus de 30 % des grappes présentent des glomérules en fin de G1. Enfin, on doit intervenir en G3 si plus de 10 % des grappes sont attaquées en fin de G2. »

« La confusion sexuelle possède une efficacité indépendante du mode d'application, une persistance sur les trois générations, une absence de classement écotoxicologique et respecte la faune auxiliaire », rappelle Alice Durand, de la chambre d'agriculture du Loir-et-Cher.

Mais la technique reste chère. Selon BASF, les Rak 2 New coûtent 160 €/ha, les Rak 1+2 Mix, 190 €/ha (contre eudémis et cochylis), et les Isonet 1+2, 175 €/ha. Selon la chambre d'agriculture du Tarn, en 2013, la confusion sexuelle représentait un surcoût de 117,50 €/ha par rapport à deux traitements insecticides. « Ces différences ne tiennent pas compte du coût des comptages pour surveiller les populations », ajoute Thierry Massol, de la chambre d'agriculture du Tarn. Dans certains vignobles, des collectivités locales subventionnent en partie l'achat des diffuseurs.

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