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Claude Domenget, gérant du cabinet Optimes, spécialisé dans le conseil des entreprises agricoles « La procédure de sauvegarde est trop méconnue »

Propos recueillis par Aude Lutun - La vigne - n°215 - décembre 2009 - page 70

 © J.-C. GRELIER

© J.-C. GRELIER

LA VIGNE : Qu'est-ce que la procédure de sauvegarde ?

Claude Domenget : C'est une des procédures de traitement des difficultés des entreprises. C'est un outil qui offre un bol d'air à une entreprise en proie à des problèmes financiers. Elle ne peut être ouverte qu'à la demande de l'exploitant, et non à celle des créanciers.

A quoi sert-elle ?

C. D. : Cette procédure a pour but de faciliter la réorganisation de l'entreprise pour permettre la poursuite de l'activité économique, le maintien de l'emploi et l'apurement du passif. Elle permet d'étaler les dépenses fixes et donc de diminuer le coût de revient et d'améliorer la marge. L'entreprise peut ainsi redevenir compétitive. Dans le plan de sauvegarde d'une entreprise de production agricole, l'apurement des dettes peut s'étaler sur une durée maximale de quinze ans. Par ailleurs, l'entreprise qui sollicite la sauvegarde ne doit pas être en cessation de paiement et être viable économiquement.

La réforme de 2008 a renforcé son intérêt…

C. D. : Oui, car avant l'ordonnance du 18 décembre 2008, l'entrepreneur devait justifier de difficultés de nature à conduire à la cessation des paiements. Ce critère était peu pertinent. De ce fait, la procédure de sauvegarde a eu peu de succès de 2006 à 2008. Désormais, un exploitant peut demander l'ouverture de cette procédure si « sans être en cessation de paiements, [il] justifie de difficultés qu'il n'est pas en mesure de surmonter ». La réforme comprend aussi une nouvelle définition de la cessation de paiement en intégrant les réserves de crédit dans l'actif disponible. Cette réforme est très importante pour les viticulteurs qui peuvent améliorer leurs réserves de crédit par des cessions de créances dans le cadre de conventions Dailly sur la base des échéanciers de paiement des caves coopératives.

Qu'y a-t-il au-delà ?

C. D. : Le redressement judiciaire qui s'impose aux entreprises en état de cessation des paiements.

Concrètement, quelle est la marche à suivre ?

C. D. : Le viticulteur doit remettre au juge du tribunal de grande instance (TGI) dont il dépend l'état de son passif et de son actif, ainsi qu'une étude prévisionnelle de sa trésorerie tenant compte de l'effet de la sauvegarde qui gèle les dettes au jour du jugement d'ouverture de la sauvegarde. Si le juge estime que l'entreprise sera en mesure de payer ses créanciers avec cette procédure, il prononce l'ouverture de la sauvegarde qui débute par une période d'observation d'une durée maximale de six mois renouvelable et prorogeable jusqu'au bout de l'année culturale. Ainsi, une procédure ouverte en juin 2009 peut être prorogée jusqu'aux vendanges 2010.

Des inconvénients ?

C. D. : Avec la procédure de sauvegarde, on étale sa situation financière devant une juridiction, certes amicale et vouée à vous sortir de ce mauvais pas. Ce n'est pas toujours facile humainement. Je précise que c'est en chambre du conseil, non publique, que se déroule la procédure et que tout le monde est tenu au secret professionnel. De même, une publicité de la procédure est obligatoire. Enfin, cette procédure coûte au moins 5 000 euros HT. Ce n'est pas négligeable, mais l'effet levier du plan de sauvegarde est bien plus important.

Y a-t-il un risque pour l'exploitant ?

C. D. : Dans les vignobles réputés et recherchés, oui. Dès l'ouverture de la procédure de sauvegarde, le tribunal peut recevoir des offres de reprise et il est tenu de les examiner. Si une offre maintient les emplois, permet de rembourser le passif mais qu'elle a pour seul défaut d'écarter le dirigeant, elle a de grandes chances d'être acceptée, même si les magistrats sont conscients de la spécificité du patrimoine des entreprises agricoles.

Que se passe-t-il une fois la procédure ouverte ?

C. D. : Premier point très important, l'ouverture de la procédure interrompt toute poursuite de la part des créanciers. Elle interdit également tout paiement d'une dette antérieure à ce jugement. Pendant cette période, le vigneron ne paie que les dépenses courantes, ce qui lui permet de reconstituer son fond de roulement. Au terme de la période d'observation, un plan d'apurement des dettes est arrêté par le tribunal qui peut s'étendre sur une durée maximale de quinze ans. Dans les faits, on prévoit souvent des plans sur douze ans, afin de pouvoir les modifier en cas de nouvelles difficultés.

Signalons aussi qu'une entreprise en état de cessation des paiements pendant l'exécution du plan peut demander à bénéficier d'une procédure de redressement judiciaire et présenter un nouveau plan de redressement. Avant décembre 2008, l'entreprise qui échouait dans son plan de sauvegarde était condamnée à la liquidation judiciaire.

A noter que la procédure de sauvegarde présente un énorme avantage pour ceux qui se sont portés caution pour l'exploitant : ils sont protégés pendant toute la durée du plan.

Cette prodécure ne doit pas plaire aux créanciers ni aux banques…

C. D. : Les fournisseurs redoutent souvent la sauvegarde par ignorance. En réalité, elle les protège puisqu'ils sont tous soumis à la procédure. De leur côté, les banques paraissent avoir compris que la procédure de sauvegarde prévient l'état de cessation des paiements. C'est la meilleure façon pour elles de perdre le moins d'argent.

Mais attention, il y a des créanciers avec lesquels on n'a pas le droit d'être négligent. C'est le réparateur du coin ou le petit fournisseur qui risque d'être en difficulté si vous ne le payez pas rapidement, avant la procédure. En plus du côté amoral, on se met hors jeu pour la suite en se comportant mal.

Pourquoi cette procédure est-elle si peu connue ?

C. D. : Parce que les partenaires des entreprises agricoles (syndicats, MSA, chambres d'agriculture) n'en parlent jamais ! A la différence d'une procédure Agridiff, où ils peuvent intervenir en commission départementale d'orientation agricole (CDOA), ils ne sont pas sollicités dans la procédure de sauvegarde. Or, les syndicats, quels qu'ils soient, n'apprécient pas que des outils de gestion leur échappent… Et puis, culturellement, l'état d'esprit d'un agriculteur est de faire face, d'assumer seul les difficultés, même s'il ne peut plus payer. L'Association des producteurs de lait indépendants (Apli) a une approche totalement différente et nous a sollicités pour informer ses adhérents.

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PARCOURS

Ingénieur en agriculture titulaire d'une maîtrise de droit des affaires.

De 1979 à 1988, il travaille au Crédit agricole et en centre de gestion.

En 1989, il crée Optimes, cabinet de conseil indépendant des entreprises agricoles, basé près de Toulouse.

Une exploitation sauvée de la déroute

Une exploitation viticole produit et vend 120 000 bouteilles par an.

Elle rembourse 55 000 € par an de capital d'emprunts, sur six ans.

Elle dépense 160 000 € par an en frais d'exploitation et frais financiers, hors rémunération de l'associé exploitant.

Soit un coût global de revient de 1,792 € par bouteille.

Son prix moyen de vente étant de 1,850 € le col, sa marge nette s'élève à 7 000 €, solde disponible pour l'exploitant.

L'exploitant négocie avec sa banque un étalement sur dix ans de ses remboursements d'emprunt. Il ne rembourse plus que 33 000 € par an de capital.

Ses autres dépenses restent inchangées à 160 000 €. Son coût global de revient tombe à 1,608 € la bouteille (soit -10 %).

Son prix moyen de vente reste inchangé à 1,850 € le col, d'où une marge « nette » qui monte à 29 000 €, nouveau solde disponible pour l'exploitant.

L'essentiel de l'offre

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