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Magazine - Histoire

Dupré de Saint-Maur : Moderne avant l'heure

Florence Bal - La vigne - n°215 - décembre 2009 - page 91

L'avant-dernier intendant de Guyenne a tenté de créer un conservatoire des cépages du royaume. Le premier classement des vins de Bordeaux voit le jour en 1776, sous son administration.
Nicolas Dupré de Saint-Maur apprécie la bonne chère et se laisse tenter par les meilleures crus, en témoigne l'inventaire de sa cave où figurent des crus de Bordeaux, de Bourgogne, d'Hermitage. © MAIRIE DE BORDEAUX. L. JOUBERT

Nicolas Dupré de Saint-Maur apprécie la bonne chère et se laisse tenter par les meilleures crus, en témoigne l'inventaire de sa cave où figurent des crus de Bordeaux, de Bourgogne, d'Hermitage. © MAIRIE DE BORDEAUX. L. JOUBERT

Nicolas Dupré de Saint- Maur est né à Paris en 1732, d'une famille de moyenne noblesse. Sa mère est la fille d'un riche banquier. Son père fut trésorier de France, statisticien et académicien.

A l'âge de 23 ans, il entre au Conseil d'Etat. En 1764, il rejoint le Berry où il deviendra intendant. Très attaché à la région, il achète le château d'Argent-sur-Sauldre en 1765, où il continuera à se rendre régulièrement toute sa vie. C'est en juin 1776 qu'il est nommé, contre son souhait, intendant de Guyenne. Dès son arrivée, il s'intéresse à la viticulture. C'est également cette même année, qu'un courtier, sur ordre de son prédécesseur mais sous son administration, établit une liste des domaines de Guyenne qui produisaient des vins dits alors de Bordeaux, et de leurs prix.

Imprégné de l'esprit des Lumières

Cet inventaire par paroisse et par prix, à finalité fiscale, distingue des crus de première qualité (Château Haut-Brion, Château Latour, Château Lafite, Château Margaux) puis des crus de deuxième et de troisième qualité. Il inspirera directement le classement établi par Thomas Jefferson, le troisième président des Etats-unis, lors de son voyage dans le Bordelais en 1787 et plus tard celui des grands crus de 1855.

Nicolas Dupré de Saint-Maur est imprégné par l'esprit du siècle des Lumières : il admire Jean-Jacques Rousseau, Voltaire, mais aussi « L'Encyclopédie » de Diderot à laquelle il a contribué. En 1783, « nourri de l'encyclopédisme de son temps », il fait réaliser une enquête sur les cépages cultivés en Aquitaine avec leur dénomination et leur description. Il veut mettre de l'ordre dans la diversité des noms servant à désigner un même cépage. Parallèlement, il entreprend un projet bien plus ambitieux. Il entend créer une sorte de conservatoire des cépages en « rassemblant les ceps les plus divers en provenance de tout le royaume », relate le professeur d'histoire Julien Vasquez dans son ouvrage sur l'intendant. Il ambitionne même « d'établir une correspondance entre les espèces qui permette leur identification ».

Pour ce faire, « l'intendant décide d'aménager un terrain vague, entre la porte d'Aquitaine et celle des Capucins » à Bordeaux. « Il fait relever consciencieusement les noms de toutes les variétés qu'on lui envoie », avec un bref descriptif. La tentative est un échec, notamment dû au manque de rigueur des correspondants. Il en restera toutefois « un inventaire énumératif d'espèces locales ».

C'est aussi l'époque où la statistique se développe. Nicolas Dupré de Saint-Maur fait ainsi réaliser des sortes d'audits, de recensements, en faisant quantifier et évaluer les ressources des territoires du royaume. « Protecteur des arts » Nicolas Dupré de Saint-Maur fonde le musée de Bordeaux, un cercle d'érudits, concurrent de l'Académie bordelaise. Il promeut les sciences pratiques (physique, géométrie, agronomie...). Très vite, il se heurte au parlement et à la Jurade de Bordeaux, « les vrais pouvoirs politiques de la ville », qui finiront par le mettre en échec.

D'autant plus que dépensier, libertin « aux mœurs dissolues » affirment certains, il est souvent absent de la région qu'il administre. Ainsi, dans une lettre à un ami, le 3 janvier 1785, il déclare sans ambages : « Quant à moi, je presse et je presserai qu'on me débarrasse de l'intendance de Bordeaux. » Son successeur est nommé au printemps 1785.

Il se laisse tenter par les meilleurs crus

Homme de pouvoir, « Nicolas Dupré de Saint-Maur est aussi un bon vivant, il apprécie la bonne chère et se laisse à l'évidence tenter par les meilleurs crus (...) », relate Julien Vasquez. En témoigne l'inventaire extrêmement précis de sa cave où figurent des crus de Bordeaux, de Bourgogne, d'Hermitage mais aussi des vins de Lunel, Frontignan, de Jurançon rouge, de Xéres, de Malaga, de Rancio…

« Son intérêt pour la vigne et le vin n'est pas feint, continue Julien Vasquez. L'intendant ira jusqu'à faire construire sur sa propriété berrichonne “un édifice étonnant” qu'il baptisera “temple de Bacchus”. »

Le mystère règne sur sa disparition. Sa déclaration de décès date toutefois du 22 décembre 1791.

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SOURCES

« Nicolas Dupré de Saint-Maur, ou le dernier grand intendant de Guyenne » de Julien Vasquez. Fédération historique du Sud-Ouest.

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