LA WACHAU est la partie de la vallée du Danube située entre les villes de Melk et Krems, à 80 km à l'ouest de Vienne. Classée au patrimoine mondial de l'humanité par l'Unesco pour la beauté de ses paysages, elle abrite le vignoble le plus réputé d'Autriche. © PHOTOS C. REIBEL
LA COOPÉRATIVE DOMÄNE WACHAU vend la production de 600 apporteurs. Le fil bleu sur le sol de sa boutique représente le Danube.
FRANZ HIRTZBERGER (ci-dessus) préside les destinées de Vinea Wachau, l'association de producteurs qui a adopté une charte imposant la mise d'origine et interdisant l'enrichissement. En poste depuis 1988, il a prévu de céder sa place en 2010.
Une centaine de kilomètres avant de traverser Vienne, le Danube entre dans la vallée de la Wachau. Il y taille son cours dans d'épaisses couches de sédiments et dans le socle de roche dure sur lequel il repose.
Dans cette vallée étroite, les vignes sont le plus souvent obligées de s'accrocher à des terrasses. Elles donnent les blancs les plus réputés d'Autriche. Le grüner veltliner et le riesling sont les deux principaux cépages. Ils occupent respectivement 55 et 20 % de ce vignoble de 1 450 ha travaillé par 160 vignerons indépendants et quelque 600 coopérateurs au prix d'une importante débauche d'énergie.
La main de l'homme reste l'outil principal. Paul Stierschneider exploite 5,5 ha avec son épouse Helga et l'aide de ses parents. Des terrasses de quatre rangs au plus constituent le tiers de cette surface. « C'est la limite de ce que nous pouvons cultiver, raconte-t-il. Il me faut dix heures réparties sur deux matinées pour traiter 1,8 ha. »
Il y a trente ans, des terrasses étaient abandonnées
Ces terroirs exposés au Sud, soutenus par des murs de pierres sèches chauffés à blanc en été par un soleil continental, sont irrigués. Car il ne tombe que 400 à 450 mm de pluie par an. L'installation de Paul Stierschneider est collective. Elle couvre 50 ha. L'eau est pompée dans le Danube et distribuée au goutte-à-goutte. « L'irrigation est une nécessité, explique Paul Stierschneider. Il y a trente ans, beaucoup de terrasses ont été abandonnées en raison du manque d'eau. En août, les ceps n'avaient plus de feuilles. »
Les viticulteurs de la Wachau justifient leurs tarifs élevés par leur dur labeur. La cote des crus récoltés dans les pentes raides s'envole jusqu'à 30, voire 35 euros quand les bouteilles issues du pied des coteaux valent autour de 5 euros.
En contrepartie, les acheteurs reçoivent des assurances. En 1983, vingt-quatre viticulteurs créent Vinea Wachau. Les membres de l'association s'engagent à respecter les six points d'une charte : réaliser la mise en bouteille dans la région de production, récolter exclusivement à la main des raisins bien mûrs, s'interdire la chaptalisation et toute technique de concentration, de fractionnement et d'aromatisation.
Trois niveaux de qualité
Ces règles figurent dans un petit fascicule rouge largement diffusé. Le même document explique les trois niveaux de qualité qui hiérarchisent l'appellation : Steinfeder, Federspiel et Smaragd. Cette classification correspond respectivement à des vins de 11° d'alcool maximum, entre 11,5 et 12,5°, et au-delà de 12,5°. Le rendement n'excède pas 65 hl/ha pour le niveau Steinfeder. Il oscille entre 35 et 50 hl pour le Smaragd.
Pour les récoltes qui revendiquent la mention Smaragd, un contrôleur du ministère de l'Agriculture vérifie, avant pressurage, que les raisins proviennent bien des parcel les déclarées. Il s'appuie ensuite sur un rendement théorique de pressurage pour déterminer le nombre de bouteilles pouvant être produites.
« Nos règles sont les plus strictes de tous les vignobles autrichiens. Aucune triche n'est possible », signale Franz Hirtzberger, président de l'association depuis 1988. Aujourd'hui, Vinea Wachau compte deux cents membres et couvre 95 % du vignoble.
La coopérative Domaine Wachau adhère à Vinea Wachau. Vinifiant les raisins de 400 ha, elle est un pilier du vignoble. De nouveaux dirigeants ont dynamisé ses affaires et remotivé ses nombreux apporteurs, dont la plupart sont doubles-actifs. Ils s'occupent de leur hectare ou demi-hectare en fin de semaine.
Bistrots temporaires
« La coopérative fait vivre beaucoup de monde. Elle doit payer de bons prix pour que la relève suive. Les exploitations à temps complet ne peuvent pas reprendre beaucoup de surfaces, car elles sont déjà au maximum question main-d'œuvre. Si les vignes des doubles-actifs étaient abandonnées, le paysage et l'image de marque du vignoble en pâtiraient », explique Paul Stierschneider.
Une exploitation est considérée comme viable à partir de 3,5 à 4 ha. Le moyen le plus fréquent pour les exploitations de cette taille de faire leur promotion est d'ouvrir leur « heuriger », un bistrot temporaire. Ce droit remonte au XVIIIe siècle et à l'impératrice Marie-Thérèse. Il autorise les viticulteurs à ouvrir, un certain nombre de jours dans l'année, une auberge pour servir leurs propres vins accompagnés de petits plats froids.
Certains se contentent d'ouvrir quelques jours au printemps et en automne. Rupert Gritsch, viticulteur sur 5 ha ouvre soixante-cinq jours par an entre avril et octobre. « Ce n'est pas pour réaliser du chiffre mais surtout pour assurer ma promotion et séduire de nouveaux clients. Je préfère ça à la participation aux salons », lance-t-il dans son local qui a tout d'un restaurant.
L'adresse est répertoriée dans un petit calendrier vert où chaque viticulteur publie ses jours d'ouverture. La fréquentation « dépend beaucoup du nombre d'heurigers ouverts en même temps », précise Rupert Gritsch. Mais il ne se plaint pas. Sa clientèle augmente doucement. Elle est essentiellement autrichienne. « Mes compatriotes essayent de temps à autre des vins étrangers, mais ils continuent d'acheter principalement des vins autrichiens », complète Paul Stierschneider.
Une soixantaine de vignerons de la Wachau sont présents à l'international. Ils ont analysé le défi que leur pose la mondialisation. Franz Hirtzberger détaille : « Il y a de plus en plus de vins bon marché qui plaisent au consommateur. Ils viennent de vignobles qui mécanisent pour comprimer les coûts. Dans la Wachau, nos charges vont encore grimper parce que le coût de la main-d'œuvre ne cesse d'augmenter. C'est pourquoi nous devons préserver notre authenticité et produire des vins de qualité inégalée et irremplaçable. »