Pas plus qu'elle n'effraie le pèlerin, la pluie glacée d'un petit matin de janvier ne saurait détourner de leur mission presque sacrée les membres de la confrérie des Echevins du Cheverny. Depuis 1987, ils conduisent, entre la mairie de Cour-Cheverny et l'église de Cheverny, le cortège transportant la statue de saint Vincent, patron des vignerons.
Derrière un tracteur vigneron hors d'âge, retapé par un passionné, la statue de bois est juchée sur une remorque. Deux confrères y servent le vin chaud aux passants qui regardent avancer ce curieux attelage suivi des membres de la confrérie et d'une fanfare qui réchauffe l'atmosphère de ses airs dansants.
Eglise bondée
« Depuis 1987, le cérémonial n'a pas changé », explique Dominique Boisgard, un sommelier restaurateur du cru, grand chancelier de la confrérie, qui organise depuis vingt-quatre ans cette fête de la Saint-Vincent.
Face au château qui reçoit 400 000 visiteurs par an et partage volontiers sa réputation avec les vins d'AOC, le porche de l'église est déjà bondé. Peu de vignerons, mais beaucoup d'anciens travailleurs de la vigne et de locaux qui ne veulent pas manquer la traditionnelle messe de la Saint-Vincent. Et quelques curieux, y compris des étrangers, qui semblent regarder comme un improbable morceau de folklore cette messe qui doit sanctifier le travail des vignerons. Dans la seule appellation viticole située en Sologne, on ne saurait oublier les trompes de chasse. Un équipage est là, formant à l'entrée de la petite église une haie d'honneur qui sonnera l'entrée du saint patron des vignerons. Chants en l'honneur de saint Vincent et chant traditionnel des vignerons de Cheverny, la célébration rappelle clairement qu'il s'agit d'honorer ce vin dont on n'oublie pas ici qu'il est le « fruit du travail des hommes ».
Les vignerons se sont investis de nouveau dans la fête
La plupart des vignerons sont en face, dans la nouvelle Maison des vins de Cheverny créée il y a deux ans à l'entrée du château. « C'est vrai qu'on a la messe un peu distraite », plaisante l'un d'eux qui, avec ses collègues, déguste les premiers 2009. Après avoir laissé l'organisation de la Saint-Vincent aux membres de la confrérie, les vignerons ont décidé de s'y réinvestir, profitant de la proximité entre l'église et la Maison des vins pour proposer une dégustation du nouveau millésime.
A la sortie de l'office, une centaine de personnes traverseront la route pour goûter les cour-cheverny et cheverny rouge, blanc et rosé présentés par une quinzaine de producteurs, soit la moitié de l'appellation. « Nous avions créé cette fête de la Saint-Vincent pour faire connaître l'appellation. C'est bien que les vignerons s'associent un peu plus à l'événement », se félicite Dominique Boisgard.
La tradition ne serait pas entièrement respectée si, après avoir béni la statue du saint patron, on oubliait de festoyer. C'est dans l'orangerie du château que cent soixante convives prennent place autour des tables. Avec la même volonté affichée de s'impliquer dans cette fête, le syndicat des vins a invité quelques restaurateurs locaux.
Le menu ressemble à celui des banquets de mariage de nos grands-parents et gardera les convives à table jusqu'à la fin de l'après-midi. « Vous mangez toujours comme ça en France ? » demande une étudiante américaine en stage au lycée hôtelier de Blois. Il a fallu lui avouer que ces agapes sont presque devenues le privilège des régions viticoles.
A la fin du banquet, le grand chancelier et ses confrères intronisent quatre convives qui jurent fidélité aux vins de Cheverny. Ils deviendront à leur tour les gardiens d'une tradition un peu surannée mais jalousement conservée.