CHENILLARD. Sans grande marge de manœuvre financière, Pierre Jacquet a privilégié le matériel d'occasion. En 2006, il a acheté ce chenillard pour travailler le sol sans tassement. © Photos P. PARROT
POUDREUSE À DOS. Pierre Jacquet conserve ce matériel pour pouvoir traiter en localisé avec du soufre en poudre en cas de forte pression d'oïdium. Il permet en outre de traiter dans les conditions venteuses, habituelles dans la région. Le temps de travail est en revanche important.
POUDREUSE. En année normale, Pierre Jacquet fait deux applications de soufre en poudre et trois de soufre mouillable. Les années de fortes pression d'oïdium, il faut trois poudrages dans les parcelles sensibles.
Début 2005, Pierre Jacquet quitte l'activité de régisseur qu'il avait exercée jusque-là dans différents domaines du Languedoc, en agriculture conventionnelle. Il peut alors se consacrer aux vignes qu'il a plantées depuis 2001 à Faugères, dans l'Hérault, avec son associé franco-suisse Olivier Binet. Cette même année, les deux hommes démarrent avec 2,5 ha, en syrah, en grenache et en carignan. Puis, en 2006, ils achètent 2 ha supplémentaires de carignan. Enfin, en 2007, ils plantent à nouveau 5,5 ha de terres au repos depuis 1999.
« Dans ma façon de conduire nos vignes et dans la préparation des terres, je raisonnais selon les principes bio. Mais ça ne fait pas longtemps que le côté bio est mis en valeur sur le marché. Nous ne nous sommes décidés qu'en 2008 en faveur de la certification AB. »
Dans un premier temps, Pierre Jacquet lance la conversion sur les 4,5 ha de vignes les plus âgées, dont la production pourra être labellisée AB dès la récolte 2010. « Sur les 5,5 ha de plantiers de 2007, j'ai préféré rester en conventionnel pour ne pas trop les exposer en cas de forte pression. Mais ces vignes entrent à présent en première année de conversion. »
Aides régionales
Pierre Jacquet a choisi Qualité France comme organisme certificateur parce qu'il est satisfait de la prestation et des tarifs proposés, « mais aussi parce qu'Ecocert occupe une position dominante, et en tant que bio, je préfère favoriser la diversité… ». Le coût pour ces 4,5 ha : 436 €/an. « C'est convenable, d'autant que la région Languedoc-Roussillon en prend la moitié à sa charge pour encourager la conversion en agriculture biologique. »
Pierre Jacquet souligne aussi l'importance de l'investissement dans le matériel nécessaire à la bonne conduite du vignoble en bio. « Depuis 2006, nous avons dépensé environ 20 000 euros. En trois ans, nous avons acheté un chenillard plus puissant, d'occasion, un intercep unilatéral accolé au cadre de labour, un quad équipé d'un régulateur de vitesse et un pulvérisateur par aéroconvection. Le travail du sol, la cadence et l'efficacité des traitements sont primordiaux en bio. »
Justement, qu'est-ce qui diffère du mode de conduite que Pierre Jacquet pratiquait par le passé ? « La pénibilité du travail. En conventionnel, le travail est plus confortable : il faut bien positionner son traitement, faire une bonne application et la rémanence des produits fait le reste. »
Pierre Jacquet souligne les contraintes techniques du quotidien. « Avec le cuivre, il faut être attentif au cumul des doses. C'est un produit lessivable qui n'a qu'une action préventive. J'utilise donc des adjuvants à base de résine de pin pour mieux le fixer. Mais en cas de forte pression de mildiou, comme en 2008, c'est très serré. Je suis passé systématiquement après chaque pluie au pulvérisateur à dos pour bien couvrir. Certains producteurs, qui n'ont pas pu rentrer tout de suite dans les parcelles, ont pu perdre jusqu'à 80 % de récolte. »
Par conséquent, Pierre Jacquet consacre beaucoup de temps à la surveillance et à l'anticipation. En plus des quatre passages d'une heure chaque semaine dans toutes ses parcelles, il lit attentivement les avertissements « performance vignes bio » émis par l'AIVB et la chambre d'agriculture de l'Hérault. De plus, il s'est équipé d'un smartphone pour connaître les alertes météo en temps réel. L'appareil lui permet également de consulter à tout moment, et n'importe où, son calendrier des traitements réalisés et le cumul des produits utilisés, grâce à un logiciel mis au point par la chambre d'agriculture.
Une journée de travail administratif par an
En revanche, la partie administrative inhérente à la certification ne demande pas beaucoup de temps. « Il faut conserver les factures et fiches techniques des produits utilisés, et je tiens à jour mon calendrier de traitement. Sur l'année, cela représente une journée de travail. Il y a ensuite les visites, planifiées ou inopinées, des contrôleurs de Qualité France. »
Avec des rendements autour de 25 hl/ha, Pierre Jacquet est plus bas que les standards de l'appellation, mais il veut éviter une vigueur excessive pour bien gérer le risque botrytis, « ça passe à 90 % par la taille, pour laisser une bonne aération. De plus, nous n'utilisons pas d'engrais chimique et nous avons délibérément choisi des porte-greffes 3309C, peu vigoureux ». Dans ses perspectives, Pierre Jacquet pense déjà à l'étape suivante « une fois certifiés en bio, nous comptons postuler pour la certification Demeter, propre à la biodynamie. Il faut être certifié AB pour pouvoir y prétendre. »
Le Point de vue de
Nicolas Constant, technicien conseil bio à l'AIVB-LR
« Maîtriser le travail du sol »
«Plusieurs obstacles se présentent lors d'une conversion vers le bio. La maîtrise de l'enherbement et le travail du sol constituent la difficulté majeure, mais sur ce point, tout dépend d'où le vigneron démarre. Aujourd'hui, beaucoup de producteurs en conventionnel sont déjà revenus au travail du sol sur l'interrang, pour diminuer l'emploi des herbicides.
Le travail sur le rang, indispensable en bio, est en revanche plus technique, nécessitant l'acquisition d'un intercep efficace.
Le labour peut entraîner le besoin d'un tracteur plus puissant. Il est aussi primordial de bien organiser le travail du sol en laissant, au besoin, quelques rangs enherbés qui maintiennent suffisamment de portance pour rentrer dans les vignes à tout moment. Autre point délicat, il faut apprendre à bien fractionner ses interventions fongicides sans diminuer trop rapidement les doses de traitement. Car une prise de risques à ce niveau peut être très difficile à rattraper en cas de forte pression. La présence au vignoble et l'information sur l'état de la pression parasitaire sont indispensables. Aujourd'hui, beaucoup de producteurs en conversion arrivent à la certification au bout des trois ans. Cependant, le maintien sur le long terme peut être difficile: les rendements baissent et la rentabilité n'est pas nécessairement au rendez-vous. »