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VIN

Ce que révèlent les audits d'oxygène

Cécile Vuchot - La vigne - n°218 - mars 2010 - page 54

Les « audits d'oxygène » se multiplient dans les caves. Ces enquêtes confirment que la mise en bouteilles est un moment critique. Elles révèlent qu'il faut savoir prendre son temps lorsqu'on manipule les vins, afin de les respecter.
NICOLAS GUICHARD, du centre œnologique de Grézillac, en Gironde, réalise un audit d'oxygène dans une cave. Ici, il mesure l'oxygène dissous dans un vin en sortie de filtration. Cet œnologue observe que la dissolution d'oxygène lors du pompage des vins est extrêmement variable selon les pompes utilisées et les précautions prises par les cavistes. © P. ROY

NICOLAS GUICHARD, du centre œnologique de Grézillac, en Gironde, réalise un audit d'oxygène dans une cave. Ici, il mesure l'oxygène dissous dans un vin en sortie de filtration. Cet œnologue observe que la dissolution d'oxygène lors du pompage des vins est extrêmement variable selon les pompes utilisées et les précautions prises par les cavistes. © P. ROY

« Quelle est la quantité d'oxygène enfermée dans mes bouteilles ? » Obtenir la réponse à cette question est la première motivation de la plupart des vignerons qui commandent un audit d'oxygène. « Les gens s'en préoccupent surtout pour les blancs et rosés, mais le risque existe aussi pour les rouges, constate Jérôme Sciacchitano, de Nomacorc. Si la mise apporte 4 ou 5 mg d'oxygène par litre de vin (mg/l), elle détruit tout le travail réalisé en élevage pour fixer la couleur et améliorer la trame tannique. L'oxygène dissous dans le vin consomme du S02 libre. Et cela peut avoir un impact sur la vitesse d'oxydation et surtout favoriser des développements microbiens. »

Jusqu'à 12 mg d'oxygène dissous par litre de vin lors de la mise

Jérôme Sciacchitano a déjà procédé à quatre-vingt-dix audits dans des caves. Sur les chantiers de mise qu'il a suivis, il a mesuré entre 2 et 12 mg d'oxygène dissous par litre de vin dans les bouteilles une fois bouchées. « Certains ont du mal à imaginer que la mise en bouteille peut apporter des quantités aussi massives d'oxygène », constate-t-il.

Selon Vivélys, les choses seraient un peu moins graves. Cette société pratique également des audits d'oxygène. Elle observe qu'il s'en dissout entre 0,25 et 5 mg/l, selon les chantiers. Quoi qu'il en soit, tout le monde s'accorde à dire qu'une fois les bouteilles bouchées, il n'y a plus rien à faire. « Même le plus étanche des obturateurs aura du mal à empêcher les oxydations si les conditions de mises sont mauvaises », insiste Jérôme Sciacchitano.

Les audits montrent que la dissolution d'oxygène est importante en début de tirage, lors du remplissage du circuit ou lors d'une reprise après un arrêt accidentel ou après une pause. Elle se produit lorsque le vin est en contact avec l'air, avant que le circuit soit en charge.

Pour y remédier, il faut inerter le circuit. « On peut aussi renvoyer le vin d'avinage en cave et l'assembler avec un autre lot ou le renvoyer dans la cuve de tirage, propose Adrien Debaud, de l'ICV, dont l'équipe de huit œnologues-conseils a réalisé depuis 2007 une trentaine de diagnostics d'oxygène. Mais on n'élimine pas l'enrichissement, on ne fait que le répartir. »

Sur certains chantiers, on observe une dissolution d'oxygène tout au long du tirage d'un lot. « En général, l'oxygène pénètre alors à l'entrée de la tireuse, surtout avec celles dites annulaires, et ce d'autant plus qu'elles ne sont pas inertées, explique Adrien Debaud. Mais on remarque aussi des entrées d'oxygène à l'aspiration avant la cuve tampon et au remplissage du tampon. »

Gare aux filtres surdimensionnés

Plus rarement, les becs peuvent être des points d'entrée d'air. Il faut alors rétablir leur étanchéité. « On constate aussi un apport entre 0 et 3 mg/l d'oxygène selon les manipulations réalisées juste avant la mise : assemblage avec agitation pour dégazer ou filtration sur terre », souligne Adrien Debaud.

Voilà pour l'embouteillage. La filtration sur terre est aussi un point critique révélé par les audits. « Les problèmes que nous observons sont surtout liés au décalage entre les volumes travaillés et la dimension du filtre. J'ai mesuré 6 mg/l d'oxygène dissous dans un petit volume de vin qui était passé sur un filtre à terre surdimensionné, relate Adrien Debaud. Pour éviter cela, on peut s'organiser pour filtrer tous ses volumes avec le même gâteau de terre. »

Nicolas Guichard, œnologue de la chambre d'agriculture de Gironde, à Grézillac, souligne un autre problème : celui de pompes inadaptées. « La quantité d'oxygène dissous lors d'un pompage va de moins de 0,5 mg/l à 8 mg/l. Cela dépend de la température du vin et du matériel. Les pompes centrifuges ou à rotor créent des vortex entraînant des turbulences qui facilitent la dissolution de l'oxygène, s'il y en a dans les tuyaux. Il faut particulièrement surveiller les raccords et rotors où l'air peut pénétrer. »

« Le cœur du problème, ce sont les cadences de travail trop rapides, estime Adrien Debaud. Elles provoquent d'importantes dissolutions d'oxygène, surtout en début et en fin de pompage, voire pendant toute la durée de celui-ci si le matériel est de mauvaise qualité. » Il conseille donc de pomper à un débit lent, adapté à la taille de la pompe, de remplir les cuves par le bas et de réduire la longueur des manches.

Le diamètre des tuyaux doit être adapté au débit de pompage

« Lorsqu'on rencontre de tels problèmes, il faut surtout repenser l'organisation du travail et la configuration de la cave, prévient Adrien Debaud. Il faut songer à remplacer le matériel de transfert défectueux. Et ne se préoccuper de l'inertage des circuits et des contenants qu'en second lieu, sinon c'est du temps et de l'argent perdus. Enfin, la désoxygénation est pratique à mettre en place, toujours bénéfique et peu coûteuse. »

« Lors d'un transfert de vin, plus on recherche un débit élevé, plus il faut des diamètres de tuyaux importants », ajoute encore Nicolas Guichard.

Dans la plupart des caves, un audit suivi d'une application stricte des nouvelles consignes suffit à régler les problèmes. Mais dans les situations complexes, il faut s'équiper d'un oxymètre. Un investissement assez modeste selon les fournisseurs, car son coût équivaut à trente à quarante bouteilles de CO2 ou d'azote alors qu'il permet de contrôler l'efficacité des inertages et des désoxygénations et, ainsi, de réaliser des économies de gaz ou de glace carbonique. Dans ce cas, se faire accompagner par son œnologue-conseil toute l'année sur cette problématique est important. « Nous aidons le vigneron à bien positionner les mesures d'oxygène et à les interpréter, témoigne Marie Clidière, du laboratoire Immélé, car les sources d'erreur sont nombreuses. »

De plus en plus d'audits et d'auditeurs

Les diagnostics d'oxygène sont « tendance »… parce qu'ils permettent bien souvent une réduction du sulfitage et une meilleure préservation des arômes fruités, ce que le marché demande. L'apparition de nouveaux matériels pour mesurer l'oxygène dissous dans le vin et la quantité d'oxygène présente dans la bulle de gaz enfermée dans les bouteilles (le ciel gazeux ou l'espace de tête) a rendu ces diagnostics possibles.

Les œnologues de la chambre d'agriculture de Gironde réalisent un audit d'oxygène à la mise en bouteilles pour un coût de 660 euros. En vallée du Rhône, Inter-Rhône procède aux mesures d'oxygénation à la mise ou à une autre étape et fournit un bilan pour 1 000 euros minimum.

L'Institut coopératif du vin audite pour un coût entre 450 et 2 500 euros les caves de la façade méditerranéenne. En Alsace, le laboratoire Immélé s'est lancé dans ces audits depuis un an. Enfin, le consultant Vivélys et le bouchonnier Nomacorc opèrent dans toutes les régions (prix non communiqués).

Des enquêtes qui se réalisent en trois étapes

Un audit d'oxygène se déroule généralement en trois temps.

La première étape consiste à identifier les attentes du client et à visiter la cave afin d'identifier le matériel et les adaptations nécessaires à la réalisation des mesures.

Parfois, il faut installer des piquages sur des circuits ou des équipements par exemple. L'auditeur peut ensuite planifier les opérations que le client souhaite mesurer.

Le deuxième temps est celui des mesures. « Nous travaillons souvent en binôme. L'un se consacre aux mesures. Il choisit le matériel le plus adapté à la situation et réalise une vingtaine, voire une trentaine, de mesures pour une mise en bouteilles depuis la cuve initiale jusque dans les bouteilles. Pendant ce temps, l'autre observe la façon de faire des opérateurs. Ces deux types d'information sont indispensables. Plus tard, elles seront mises en parallèle afin d'établir un diagnostic », explique Sophie Vialis, d'Inter-Rhône, qui propose des audits d'oxygène depuis deux ans.

Enfin, l'auditeur traite les données, les interprète et émet des préconisations dans un compte rendu écrit. Puis il retourne dans l'entreprise, présenter les résultats. « La séance de restitution des informations permet de sensibiliser le personnel en cave. On réexplique les fondamentaux et on travaille sur des cas concrets », précise Nicolas Constantin, d'Inter-Rhône.

Le Point de vue de

Laurent Agostini, responsable technique du domaine de Pellehaut, dont les mises en bouteille sont passées de 180 000 à 850 000 cols en cinq ans, dans le Gers.

« Nous avons réduit la teneur en SO2 total de nos rouges de 30 à 40 mg/l »

Laurent Agostini, responsable technique du domaine de Pellehaut, dont les mises en bouteille sont passées de 180 000 à 850 000 cols en cinq ans, dans le Gers.

Laurent Agostini, responsable technique du domaine de Pellehaut, dont les mises en bouteille sont passées de 180 000 à 850 000 cols en cinq ans, dans le Gers.

« Nous produisons 80 % de blancs à base de colombard, dont les arômes thiolés sont fragiles. En parallèle, nous cherchons à réduire le plus possible le sulfitage. Nous avons demandé à Vivélys de dresser un diagnostic de nos pratiques au chai et à la mise. Une journée a été consacrée aux mesures lors du travail au chai et au stockage des vins et une seconde journée a été nécessaire pour les mesures à l'embouteillage. Le compte rendu a mis en valeur des points critiques. Tout d'abord, au chargement des citernes, il est apparu une forte prise d'oxygène en début de remplissage, puis une oxygénation basse et régulière. Nous avons décidé d'inerter les compartiments par de la neige carbonique avant tout remplissage et d'abandonner l'injection de gaz carbonique en continu, pratique conseillée par un fournisseur de gaz mais qui s'avère inutile. Dans ce but, nous projetons d'investir dans un générateur de neige carbonique. Mais les marges de manœuvre les plus importantes se situent au chai. Autre point, après stabilisation par le froid puis filtration, les vins accumulent 2 à 3 mg/l d'oxygène dissous. Un balayage à l'azote s'impose donc avant de les laisser se réchauffer pour l'embouteillage. Nous faisions déjà couramment des balayages à l'azote, pour dégazer les vins en CO2, mais nous n'avions pas conscience de l'intérêt de cette pratique pour désoxygéner. Aujourd'hui, les changements que nous avons introduits lors du chargement des vins et du travail en cave nous ont permis de réduire de 30 à 40 mg/l le SO2 total de nos rouges et de 15 à 20 mg/l celui de nos blancs, si bien qu'ils en contiennent moitié moins que ne le permet le décret. Par ailleurs, les mesures d'oxygène dissous lors de la mise nous ont confirmé la qualité de notre prestataire de service, avec 0,6 mg/l en moyenne d'oxygène apporté. »

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