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VIN

Vicente Ferreira, professeur au laboratoire d'analyse des flaveurs et d'œnologie de l'université de Saragosse (Espagne) « Tous les vins ont une base aromatique commune »

Propos recueillis par Olivier Bazalge - La vigne - n°218 - mars 2010 - page 56

Pour bien des spécialistes français des arômes des vins, Vicente Ferreira est une référence sur le sujet. Il répond à nos questions.
 (© Xxxxxx xxxxxx)

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« ON PEUT UTILISER LE SEUIL DE PERCEPTION comme une première indication de l'importance d'une molécule. D'un point de vue pratique, on pourrait définir des seuils par molécule pour chaque type de vin. »

« ON PEUT UTILISER LE SEUIL DE PERCEPTION comme une première indication de l'importance d'une molécule. D'un point de vue pratique, on pourrait définir des seuils par molécule pour chaque type de vin. »

LA VIGNE : Quelles sont les principales avancées concernant la compréhension de l'arôme des vins ?

Vicente Ferreira : Nous avons compris que le vin possède une structure qui ne facilite pas la surexpression de molécules susceptibles d'apporter leur note aromatique propre. En fait, seules quelques molécules peuvent atteindre une concentration suffisante pour transmettre leur note particulière aux vins. Les notes aromatiques de la majeure partie des vins sont déterminées par un grand nombre de molécules qui agissent de manière complémentaire sur notre perception. C'est le cas, par exemple, des notes fruitées de vins rouges, un des sujets les plus abordés. C'est très clair : la note fruitée est due à plus de quinze molécules aromatiques appartenant à différentes familles chimiques (esters linéaires, esters ramifiés, acétates, ß-damascenone).

Vous dites que l'arôme des vins se construit autour d'une base vineuse...

V. F. : Oui. En plus de l'éthanol, vingt-sept composés aromatiques d'origine fermentaire se retrouvent systématiquement, dans des proportions bien définies. Dans presque tous les vins, ils sont présents à des concentrations bien supérieures à leur seuil individuel de perception. Ils forment un mélange complexe qui constitue la base aromatique usuellement qualifiée de « vineuse » : légèrement douce et relevée, alcooleuse et un peu fruitée. Nous ajoutons à ces vingt-sept composés la ß-damascenone, qui n'est pas formée par les levures pendant la fermentation alcoolique mais qui est aussi présente dans quasiment tous les vins à des niveaux supérieurs à son seuil de perception (0,1 ng/l).γ

Comment cette base vineuse agit-elle ?

V. F. : Elle se comporte comme un tampon aromatique. Dans la très grande majorité des cas, si l'on retire une des vingt-sept molécules de ce mélange, cela n'entraîne qu'un effet minime voire aucun effet sur la perception aromatique. A l'inverse, l'addition de grandes quantités de composés aromatiques au mélange n'a, elle aussi, qu'un très faible effet sur la perception globale, d'où la notion d'effet tampon.

Les vins ont pourtant des profils aromatiques variés. L'effet tampon peut donc être surpassé ?

V. F. : Bien évidemment. Il y a plusieurs façons de dépasser cet effet tampon. Le cas le plus simple : une molécule transmet au vin son arôme spécifique, car elle est présente dans le milieu à une concentration suffisamment importante. C'est le cas de l'acétate d'isoamyle dans les vins qui sentent la banane. On dit alors que ce composé est impactant, car il a à lui seul le pouvoir de modifier le profil aromatique. En retirant ce composé, la perception du vin change du tout au tout. Seuls seize composés ont ce pouvoir impactant. L'effet tampon peut aussi être surpassé par des groupes de molécules similaires produites par la même voie biochimique. C'est le cas des γ-lactones aliphatiques qui procurent une note de pêche aux vins rouges.

Vous parlez d'interactions entre molécules aromatiques...

V. F. : Précisons tout d'abord que ce sont des interactions au niveau de notre perception et non pas au niveau physico-chimique dans les vins. Nous avons pu établir que des molécules tendent à « jouer en équipe », alors que d'autres sont plus « individualistes ». Un exemple : le 2 méthyl butirate d'éthyle sent la fraise et l'hexanoate d'éthyle sent la pomme. Ces molécules tendent à interagir pour donner des arômes fruités qui ne sont ni la fraise ni la pomme. Un autre exemple : les notes florales de certains vins blancs qui résultent d'une combinaison de linalol, γ-lactones, vanilline, cinnamates d'éthyle et norisoprenoïdes. Et ce, même si les concentrations de ces composés sont faibles.

A l'inverse, les molécules à tendance individualiste sont en général dépositaires d'un arôme relativement unique et distinct des autres. C'est le cas du linalol, difficilement séparable des arômes de muscat, de la 4-méthyl-4-mercaptopentanone (4-MMP) aux notes de buis/pipi de chat, ou encore de l'acétate de 3-mercaptohexyle (3-MH) typique du fruit de la passion. Dans bien des cas, ces molécules marquent à elles seules les vins. En revanche, lorsqu'elles sont en concentration insuffisante, elles ne transmettent pas leur arôme spécifique, mais elles y contribuent tout de même. Les mercaptans (4-MMP et 3-MH) apportent de la fraîcheur. Le linalol contribue à la douceur et à l'arôme floral.

Et vous observez des interactions particulières...

V. F. : Oui, certaines molécules peuvent se comporter comme des exhausteurs aromatiques. C'est le cas du geraniol, qui est un composé aromatique puissant, à l'odeur de rose. Pourtant, dans de multiples exemples, le dégustateur ne perçoit pas sa note spécifique, mais plutôt celle d'une autre molécule, chimiquement proche. Ainsi, en ajoutant du géraniol à un vin contenant du linalol, c'est la note propre au linalol qui est relevée par le dégustateur.

A l'inverse, des molécules ont un pouvoir dépresseur sur l'arôme des vins, comme les éthyls phénols à faible dose, par exemple.

Vous relativisez la notion de seuil de perception. Selon vous, elle n'est pas aussi simple qu'il y paraît...

V. F. : Effectivement. Prenons l'exemple du 4-éthylphénol, responsable des caractères sueur et cuir dans de nombreux vins. A 700 µg/l, il peut s'intégrer à la complexité de vins aromatiquement riches sans leur transmettre cette note néfaste. Mais dans des vins pauvres aromatiquement, son effet néfaste peut être perçu dès 70 µg/l. Il y a beaucoup d'autres exemples. Ainsi, l'acétate d'isoamyle sent la banane lorsqu'il est en concentration supérieure à 1,5-2 mg/l dans les vins simples. Mais dans les vins complexes, il peut être présent à la concentration de 2,5 mg/l sans transmettre cette note de banane, mais en participant à la note fruitée d'ensemble, la rendant plus intéressante.

Mais ils semble que pour les contaminants étrangers au vin, comme les TCA par exemple, les seuils varient moins, car ils sont moins dépendants du type de vin.

N'est-ce pas un peu compliqué ? Dans la pratique, comment faire ?

V. F. : On peut utiliser le seuil de perception comme une première indication de l'importance d'une molécule. D'un point de vue pratique, on pourrait définir des seuils par molécule pour chaque type de vin.

Par exemple, le seuil du 4-éthylphénol sera différent entre un vin neutre (vin rouge simple de la Mancha par exemple) et un vin beaucoup plus fruité, comme le beaujolais.

Qu'est-ce qui explique les variations d'odeur d'une même molécule aromatique ?

V. F. : A cause de la concentration : une même molécule aromatique peut impacter plusieurs récepteurs situés dans le nez. A très basses concentrations, seul un type de récepteur est activé, correspondant à un arôme. Mais en augmentant la concentration, un deuxième voire un troisième récepteur s'active et, par conséquent, des notes différentes apparaissent.

Le seuil de perception des arômes est-il différent d'un dégustateur à l'autre ?

V. F. : Exactement. Si nous prenons mille personnes « normales » et que nous enlevons les vingt-cinq plus sensibles et les vingt-cinq moins sensibles, nous verrons que les plus sensibles des 950 personnes restantes perçoivent un arôme à une concentration dix fois plus basse que les moins sensibles. Cela est valable pour les molécules normales. Pour les molécules spéciales, comme la plupart de celles qui causent des défauts, les différences de sensibilité sont encore plus grandes : de 1 à 1000.

Cela vaut pour les molécules individuelles, car il faut prendre en compte que dans l'olfaction d'un vin, nous percevons beaucoup de molécules en même temps.

Peut-on envisager la mise au point d'itinéraires de vinification pour obtenir des typicités aromatiques précises ?

V. F. : Tout à fait. Si l'on connaît ce qui fait qu'un vin se distingue des autres, on peut faire des efforts pour choisir toutes les stratégies de vinification qui feront que cette différence soit encore plus exprimée.

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PARCOURS

1987. Master, diplôme de fin d'études à l'université de Saragosse, Espagne.

1992. Doctorat en chimie. Intitulé de la thèse : « Nouvelles contributions à la chimie analytique de l'arôme du vin. »

1996. Maître de conférences en chimie analytique à l'université de Saragosse.

2007. Professeur des universités en chimie analytique à l'université de Saragosse.

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