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VENDRE - Observatoire des marchés

En voyage d'étude à Londres, avec treize viticultrices

Clara de Nadaillac - La vigne - n°218 - mars 2010 - page 72

Treize viticultrices bordelaises se sont rendues à Londres fin janvier, pour étudier le marché. Nous les avons suivies deux jours. Embarquement immédiat.
Dawn Mannis (à droite), gérante du caviste indépendant The Sampler, présente son concept aux treize viticultrices bordelaises. © Photos C. DE NADAILLAC

Dawn Mannis (à droite), gérante du caviste indépendant The Sampler, présente son concept aux treize viticultrices bordelaises. © Photos C. DE NADAILLAC

Les vins biologiques et les demi-bouteilles, en provenance du monde entier, sont mis en avant dans la vitrine du caviste The Sampler.

Les vins biologiques et les demi-bouteilles, en provenance du monde entier, sont mis en avant dans la vitrine du caviste The Sampler.

Chez Dawn Mannis, des vins sont présentés dans des vitrines inertées pour la dégustation. Les clients achètent une carte qu'ils créditent. Ils peuvent ensuite goûter les vins qu'ils souhaitent.

Chez Dawn Mannis, des vins sont présentés dans des vitrines inertées pour la dégustation. Les clients achètent une carte qu'ils créditent. Ils peuvent ensuite goûter les vins qu'ils souhaitent.

Les importations de vins français s'érodent

Les importations de vins français s'érodent

Chez Nash and Gardner's Budgens dans le quartier d'Islington, les vins blancs occupent un plus grand rayonnage que les rouges. Et surtout, ils sont disposés dans des rayons réfrigérés...

Chez Nash and Gardner's Budgens dans le quartier d'Islington, les vins blancs occupent un plus grand rayonnage que les rouges. Et surtout, ils sont disposés dans des rayons réfrigérés...

Le marché britannique est notre principal débouché export. Mais nos parts de marché y fondent comme neige au soleil. Pour quelles raisons ? C'est ce qu'ont voulu savoir treize viticultrices bordelaises, emmenées par l'organisme de formation Speechmark. Elles ont passé cinq jours à Londres et ont rencontré des représentants de tous les circuits de distribution. Nous les avons suivies deux jours. « Welcome to England ! »

Une fois n'est pas coutume. En cette matinée du 26 janvier, l'Eurostar arrive à la gare Saint Pancras sous un ciel… bleu ! Le voyage d'études outre-Manche démarre sous les meilleurs auspices. A peine arrivée, je pars vers Islington, un quartier de l'est londonien. Je dois retrouver Brinda Bourhis, l'organisatrice du voyage, et les treize exploitantes en bordeaux supérieur, médoc et saint-émilion. Au menu du jour : le marché offtrade (supermarchés et cavistes).

Les vins français sont peu représentés

En avance, je m'arrête dans une supérette locale : Nash and Gardner's Budgens. Et là, surprise : le rayonnage dédié aux vins blancs est plus long que celui des rouges. Qui plus est, les vins blancs sont exposés dans des vitrines… réfrigérées ! Les vins français sont peu représentés. Et moins mis en valeurs que ceux du nouveau monde, notamment ceux de Gallo, en tête de gondole, et en promotion à moitié prix. Pas de doute, nous avons des marges de progrès.

L'heure tourne. Il est temps de rejoindre le groupe de Bordelaises. Nous avons rendez-vous chez un caviste indépendant, The Sampler (l'échantillonneur). Dans la vitrine, demi-bouteilles et vins bios des pays viticoles traditionnels et du Nouveau Monde se partagent la vedette.

A l'intérieur, pas de classement par pays ou par région, et encore moins par appellation. Tous les vins sont rangés par cépage. Dawn Mannis, la directrice du lieu depuis trois ans, explique son concept, d'un chantant accent irlandais. « Nous ne pouvons pas lutter avec les supermarchés, car nous serons toujours plus chers qu'eux, constate-t-elle. Nous devons donc nous démarquer. L'une des manières est de proposer une offre large. Nous avons 1 300 références. Une autre est de faire goûter les vins. Nous avons dix vitrines réfrigérées et inertées où nous mettons des vins en dégustation. Les clients achètent une carte. Ils la créditent et peuvent déguster tous ces vins. »

Le vin naturel se vend moins après dégustation

Dawn Mannis est satisfaite de son concept. Les vins mis à la dégustation partent sept fois mieux que les autres. A l'exception du vin naturel ! Une fois que les clients l'ont goûté, ils ne l'achètent guère : il n'est pas filtré et son goût est particulier. Par ailleurs, le fait de goûter les vins pousse les consommateurs à acheter des bouteilles qu'ils n'auraient pas osé acquérir. Ils achètent plus chers et des vins plus vieux que chez les autres cavistes. En moyenne, ses clients dépensent 22 livres (environ 25 euros) par bouteille, contre 17 livres (19-20 euros) chez ses confrères.

Les vins qui partent le mieux sont les rieslings australiens, les sancerres blancs et les pinots noirs de Nouvelle-Zélande, d'Oregon ou encore de Bourgogne. « Pour tous les jours, les gens veulent des vins légers, frais et fruités, analyse-t-elle. Ils ne mangent pas en même temps, il faut donc qu'ils soient faciles à boire. » Dernier constat, les demi-bouteilles se vendent bien, car les clients en ouvrent pour le dîner.

Dawn Mannis va ouvrir un second magasin sous peu. Pour une partie de ses vins, elle s'approvisionne directement chez les viticulteurs, par demi-palettes.

Un bus, un métro et un train plus tard, nous voici à Cheshunt, au « head office » de Tesco, la plus grande chaîne de supermarchés britanniques. Nous y rencontrons l'un des trois acheteurs vins, Graham Nash. Il nous présente rapidement son offre riche de 850 références, dont 300 sous sa marque de distributeur (MDD). Environ 45 % de ses rayonnages sont dédiés aux blancs, entre 43 et 45 % aux rouges ; les 10 à 12 % restants étant pour les rosés. Sur les 850 vins, environ 130 proviennent de France. « C'est le pays qui compte le plus de références, constate-t-il. En revanche, l'Australie occupe la plus grande surface de linéaires. »

En moyenne, le consommateur débourse 5 livres (près de 6 euros) par bouteille. Les « best sellers » de la chaîne sont les pinot gris italiens et les grosses marques telles que Hardy, Gallo, Jacob's Creek, « qui rassurent les consommateurs ».

En ce qui concerne l'offre française, Graham Nash explique qu'elle se vend mieux sous la MDD de Tesco que sous les marques des opérateurs français, car les consommateurs connaissent la MDD. Le terme « Château » rassure lui aussi. Petite anecdote, Graham Nash prévient que l'utilisation de bouteilles de couleur feuille morte induit les Britanniques à penser que le vin est boisé.

Au final, le constat est sans appel : le géant anglais n'achète que par le biais de « wine agents ». Impossible de lui vendre en direct. De plus, il achète des quantités très importantes. Tesco n'est donc pas un débouché pour les petits viticulteurs. Nos Bordelaises repartent dépitées.

« Les vins doivent avoir des tanins ronds »

Direction l'hôtel pour se changer. Ce soir, nos productrices ont rendez-vous avec vingt-trois femmes de l'association « Women of wine UK », pour faire déguster leurs vins. Certaines de ces femmes du vin sont acheteuses, d'autres sont journalistes. Toutes ont en commun leur passion du vin. Elles viennent pour rencontrer les viticultrices et leur parler. L'une d'elles, Louise du Brosky, travaille chez McKinley Vintners, un importateur.

Elle m'explique que « La plupart des consommateurs boivent un verre de vin à l'apéritif, avant d'avoir dîné. Et ce verre étant l'équivalent d'un tiers de bouteille, les tanins doivent être très très ronds. » Un conseil avisé. Mercredi 27 janvier. Sous un crachin typiquement londonien, nous partons retrouver Oscar Majurin, gérant de Vinifera Boutique. Ce jeune Finlandais a ouvert ce site de vente de vin par internet depuis trois mois seulement. Il nous expose les spécificités du marché en ligne. Mais il ne nous apprend rien de très concret.

Notre deuxième et dernier rendez-vous de la journée n'a lieu qu'en milieu d'après-midi. Nous nous dispersons donc en petits groupes, pour aller déjeuner. J'emboîte le pas à deux exploitantes en bordeaux supérieur. Nous choisissons un pub « typique », situé près de Piccadilly Circus, où nous nous ruons sur la carte des vins. Comme dans le supermarché de la veille, les blancs ont plus de place que les rouges. Huit blancs sont proposés, dont quatre français. Les sauvignons sont majoritaires. Sept rouges sont à la carte, dont trois français. Il y a également un rosé (français lui aussi !) et quatre vins effervescents dont trois champagnes. Les vins français sont bien représentés. De quoi mettre du baume au cœur de nos viticultrices. L'occasion aussi de se souvenir que les vins français restent leaders incontestés dans la restauration, même si l'Afrique du Sud nous dispute la troisième place pour les ventes en grande surface.

Direction Green Park, où nous attend Coz Kampanaos, directeur de l'association anglaise des sommeliers. Il nous donne un aperçu du marché on-trade (restaurants, pubs, bars, bistrots, etc.), qui représente 20 % des ventes de vin outre-Manche. « Il est impossible d'avoir une seule et même stratégie pour viser le on-trade, prévient-il. Un bar n'achète pas comme un restaurant. Ce sont des marchés bien distincts. De même, un restaurant ne voudra pas avoir un vin que l'on trouve ailleurs. » Il faut donc proposer des cuvées spéciales.

Autre constat : au restaurant, les consommateurs dépensent en moyenne entre 20 et 30 livres (23 à 34 euros) par bouteille. Et bonne nouvelle : « Avec la récession, les clients sont davantage prêts à sortir des sentiers battus et à essayer de nouveaux vins, note Coz Kampanaos. Les petits viticulteurs ont une bonne chance de percer maintenant. » C'est sur ces bonnes paroles que mon séjour londonien s'achève, avant que l'Eurostar ne me ramène sous… la bruine parisienne !

Un séjour financé

Mis à part les frais de restauration et d'hôtel, ce séjour a été financé par des organismes de formation. Pour les viticultrices ayant un statut de salariées, c'est le Fafsea qui l'a pris en charge. Pour les chefs d'exploitation, le Vivea a couvert les frais. Pensez donc à y avoir recours !

Pour plus d'infos : www.vivea.fr ou www.fafsea.com

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