Retour

imprimer l'article Imprimer

DOSSIER - Raisonné-bio : Le match

Environnement : un partout

La vigne - n°220 - mai 2010 - page 28

Dans l'esprit du grand public et dans celui des défenseurs de la viticulture biologique, celle-ci protège mieux l'environnement. A y regarder de près, c'est loin d'être évident.
Viticulture raisonnée à gauche et viticulture bio à droite © J.-C. GRELIER /GFA

Viticulture raisonnée à gauche et viticulture bio à droite © J.-C. GRELIER /GFA

Qui applique le moins de phytos ?

Contrairement à ce que pense le grand public, les viticulteurs bios appliquent des produits phytosanitaires, cuivre et soufre en premier lieu. La seule différence avec les viticulteurs en raisonné : les bios ont uniquement recours à des produits minéraux. Mais au final, appliquent-ils moins de produits que les autres ?

Pour le savoir, le CIVC (l'interprofession champenoise) a mené une enquête auprès de quatorze viticulteurs en bio et autant en raisonné (durable). Résultat : « Les bios appliquent autant de phytos que les viticulteurs en conduite traditionnelle alors que les vignerons en conduite durable en utilisent 20 % de moins, rapporte Arnaud Descôtes, le responsable environnement de l'interprofession. En viticulture durable, les viticulteurs emploient nettement moins de produits de synthèse que la moyenne en Champagne, car ils raisonnent mieux les traitements. En revanche, ils appliquent autant de produits minéraux. »

En Bourgogne, la chambre d'agriculture de Saône-et-Loire, l'Inra et l'université de Rennes I ont lancé une comparaison des deux modes de production en 2005 sur une parcelle expérimentale. Entre 2007 et 2009, ils ont appliqué 78 kg (ou l) par an et par hectare de spécialités commerciales dans la parcelle en bio, contre 22 kg (ou l) sur la parcelle en viticulture raisonnée, dont 5,3 de désherbants pour l'entretien des sols. « Pour la viticulture bio, la quantité supérieure de spécialités commerciales s'explique par l'utilisation de spécialités homologuées à plus forte dose que des fongicides de synthèse et/ou par des concentrations en matières actives moindres », commentent les auteurs de la comparaison.

RÉSULTAT : Avantage à la viticulture raisonnée.

Où l'IFT est-il le plus bas ?

C'est l'indicateur à la mode. C'est lui que le gouvernement demande de prendre en compte pour apprécier la pression de traitements sur une parcelle. L'IFT ou Indice de fréquence de traitement est défini par le nombre de doses homologuées appliquées par hectare. Pour un traitement à pleine dose, l'IFT est de 1. Si on applique une demi-dose, l'IFT est de 0,5.

C'est en bio que cet indice est le plus bas. Dans la parcelle bio en Bourgogne, il est de 8,56 par an en moyenne, contre 13,3 par an dans la partie raisonnée, soit 35 % de moins. En Beaujolais où la Sicarex mène une comparaison similaire, les observations vont dans ce sens. En 2008, l'IFT était de 5,36 en bio contre 12,2 en raisonnée. Cela tient au fait qu'en bio, on traite à des doses inférieures aux doses homologuées.

RÉSULTAT : Avantage au bio.

Qui fait le moins de passages ?

Sur ce point, toutes les études vont dans le même sens : en bio, les viticulteurs font plus de passages. Mais la différence n'est pas si importante qu'on l'imagine. Selon le CIVC, tous travaux confondus (traitements, travaux en vert, fertilisation, entretien des sols…), les bios font en moyenne vingt-deux passages. C'est un de plus qu'en viticulture raisonnée et deux de plus que la moyenne en Champagne. « Certes, les bios font plus d'interventions pour les traitements et l'entretien des sols. Mais ils économisent sur les postes écimage, rognage, et effeuillage, car leurs vignes sont moins vigoureuses », explique Arnaud Descôtes.

En Bourgogne, en moyenne sur les trois années de suivis, le nombre de passages pour l'entretien des sols et la protection phytosanitaire s'élève à 14,6 en bio, contre 12 en viticulture raisonnée. Mais comme le rappellent les auteurs de l'étude : il ne faut pas oublier que les bios utilisent des produits à plus faible rémanence que les viticulteurs en conduite raisonnée. Pour lutter contre le mildiou, ils ne disposent que du cuivre, produit uniquement préventif et lessivable. En cas de forte pression de la maladie, ils doivent renouveler les traitements très souvent.

L'Inra de Bordeaux s'est également intéressé au sujet, réalisant une comparaison entre 2001 et 2004 sur son domaine expérimental de Couhins. Il a comptabilisé vingt-trois passages en bio, toutes interventions confondues (traitements, entretien des sols, rognage et broyage des sarments), contre dix-huit dans la parcelle en production intégrée et vingt sur le reste du domaine expérimental. « En production intégrée, nous avons testé la règle de décision Mildium pour lutter contre le mildiou et l'oïdium. Mes collègues ont fait des observations très poussées pour réduire au maximum le nombre de traitements. Cela ne reflète pas les pratiques de terrain. Mieux vaut comparer le nombre de passage en bio avec ce que nous réalisons sur le reste du domaine. Là on voit que la différence n'est pas si importante », prévient Dominique Forget, de l'Inra de Bordeaux.

Mêmes observations à la station de recherche Agroscope Changins-Wädenswil ACW en Suisse, où la parcelle en bio a nécessité en moyenne deux interventions supplémentaires par année par rapport à la protection raisonnée.

RÉSULTAT : Avantage à la viticulture raisonnée

Qui préserve le mieux la vie du sol ?

C'est le CIVC qui a le plus de recul sur ce paramètre. Depuis 1998, il suit une parcelle dans l'Aube. Le dernier bilan date de 2005. Un nouvel état des lieux est programmé en 2010. Les résultats montrent qu'on améliore la vie du sol que l'on passe en viticulture biologique ou en viticulture raisonnée. « L'abondance et la biomasse des lombrics augmentent dans les deux systèmes. Mais la progression est plus forte en viticulture durable. Cette différence s'explique par l'accumulation du cuivre, plus élevée en bio ; le cuivre est toxique pour les vers de terre, lorsqu'il est présent en excès. La biomasse microbienne est également améliorée avec les deux systèmes, sans qu'il soit possible de les distinguer », annonce Arnaud Descôtes.

Les résultats tendent à aller dans ce sens dans le Beaujolais. En 2003, la Sicarex a introduit le bio et le raisonné sur une parcelle conduite traditionnellement. Depuis, la biomasse microbienne a augmenté dans la partie en bio et dans celle en raisonnée alors qu'elle a diminué dans les rangs qui sont restés en conventionnel. « Mais les différences ne sont pas significatives », précise Bertrand Chatelet, de la Sicarex du Beaujolais. Quant aux lombrics, leur nombre a augmenté de 40 % en bio et de 50 % en raisonné. Et ils sont plus petits en bio. « Le travail du sol a sans doute une influence », pense Bertrand Chatelet.

En Bourgogne, les premiers suivis ne mettent pas en évidence d'effet marqué des modes de production. Les expérimenteurs notent que pour les lombrics, « les pratiques d'entretien du sol semblent beaucoup plus discriminantes que l'application de pesticides ». Dans la partie en bio, les vers de terre sont un peu moins nombreux. Ils souffrent du désherbage mécanique. Dans la partie conduite en raisonné, l'interrang est enherbé, ce qui accroît le stress hydrique en année sèche. Un phénomène dont les vers de terre souffrent aussi.

RÉSULTAT : Avantage à la viticulture raisonnée.

Qui protège le mieux les auxiliaires ?

Là encore, la viticulture bio remporte tous les suffrages du grand public. Mais en Suisse, les chercheurs de la station de Changins-Wädenswil ont montré que les typhlodromes sont moins nombreux en bio qu'en viticulture intégrée.

De 1998 à 2004, ils ont réalisé quarante contrôles visuels dans une parcelle conduite sur une partie en bio et sur l'autre en intégrée. Dans 54 % de ces observations, les typhlodromes étaient plus nombreux dans la variante intégrée. Dans 37 % des notations, les populations étaient aussi nombreuses dans les deux parties. Dans 9 % des cas, elles étaient plus importantes en bio. Les applications répétées de soufre en bio sont responsables de ces écarts, ce produit ayant des propriétés acaricides.

Mais comme le souligne Christian Linder, à l'origine de l'étude, les typhlodromes ont toujours été assez nombreux pour assurer la lutte biologique dans les deux modes de production.

En revanche, dans le Beaujolais « pour ce qui est de la faune utile, nous n'avons pas mis en évidence de différences entre la viticulture traditionnelle, la viticulture raisonnée et la viticulture biologique. Pour les typhlodromes, nous notons une variation annuelle, mais elle est identique pour les trois modes de production », indique Bertrand Chatelet.

RÉSULTAT : Avantage à la viticulture raisonnée.

Engendrent-elles une modification de la flore adventice ?

« Après trois années de modes d'entretien des sols différents, nous observons des modifications notables de la flore adventice aussi bien en début qu'en fin de campagne, indiquent les auteurs de la comparaison menée en Bourgogne. Toutefois, nous savons que c'est souvent à partir de trois à quatre ans que certaines adventices apparaissent au détriment d'autres. »

Dans le Beaujolais, les expérimentateurs ont aussi commencé à faire des inventaires de flore. « Pour l'instant, nous ne pouvons rien en conclure », précise Bertrand Chatelet.

Il est donc trop tôt pour trancher sur la base de ces études, mais on sait que le travail du sol favorise le liseron et que les herbicides présentent eux aussi des failles.

RÉSULTAT : Il est trop tôt pour le dire.

Laquelle est la plus économe en eau et en énergie ?

L'enquête du CIVC montre que les viticulteurs bios consomment 20 % d'eau en moins que la moyenne des Champenois alors que les viticulteurs en raisonné ne font que 12 % d'économies.

« Toutefois, lorsque l'on regarde les chiffres de près, on constate que les bios consomment plus d'eau que les viticulteurs en viticulture durable. Mais ils exercent une pression sur la ressource plus faible, car ils récupèrent davantage l'eau de pluie », précise Arnaud Descôtes.

« Au niveau de la consommation d'énergie (fuel, gaz, électricité), là encore, les exploitations en viticulture bio et durable sont en avance sur la moyenne, puisqu'elles en économisent respectivement 15 % et 10 % environ », ajoute Arnaud Descôtes.

RÉSULTAT : Avantage au bio.

Qui traite le mieux les effluents viticole et vinicole ?

Pour mesurer le taux de traitement des effluents phytosanitaires, le CIVC suit plusieurs indicateurs dont le taux de pulvérisateurs en service dotés d'une cuve de rinçage embarquée. Ce dispositif permet de faire du rinçage à la parcelle et donc d'éliminer comme il faut les fonds de cuve. En moyenne dans la région, les deux-tiers des pulvérisateurs en sont équipés. Dans son enquête, le CIVC montre que les bios font un peu mieux puisque 70 % de leurs appareils ont une cuve de rinçage. Mais les exploitations conduites en viticulture durable ont une avance considérable puisque leur taux d'équipement avoisine les 100 %.

On constate la même chose pour les effluents vinicoles : 75 % des établissements sont équipés en Champagne (pour 93 % des volumes traités), 93 % des vignerons bios et 100 % en viticulture durable.

RÉSULTAT : Avantage aux viticulteurs en raisonné.

Qui valorise le mieux les déchets

En Champagne, les bios et les viticulteurs en raisonné font plus attention à l'élimination de leurs déchets (cartons, plastiques, verre, ferraille, déchets d'emballages…) que leurs confrères. L'enquête du CIVC montre qu'ils passent par des filières spécialisées à 80 % contre 75 % pour la moyenne en Champagne.

RÉSULTAT : Les deux.

Qui a le meilleur bilan carbone ?

Le CIVC a pris comme critère l'intensité carbone. Il s'agit d'un indicateur qui décrit les émissions de CO2 en fonction du chiffre d'affaires. L'interprofession l'a calculé à partir des informations qu'elle a recueillies au cours de son enquête auprès de 28 exploitations. Par rapport à la moyenne de la région, cet indicateur est plus performant en viticulture biologique et raisonnée.

« Ces exploitations créent davantage de valeur avec des flux d'énergie et de matière réduits, précise Arnaud Descôtes. Celui des bios est même légèrement meilleur, car ils ont une empreinte carbone un peu moindre, ce qui est lié principalement à un plus faible volume d'activité, conséquence d'un rendement inférieur d'environ 25 %. Les bios bénéficient aussi d'une niche commerciale leur permettant de mieux valoriser leurs produits. »

RÉSULTAT : Avantage au bio.

Quatre essais en France et un en Suisse

En Champagne, le CIVC suit depuis 1998 une parcelle de l'Aube conduite en viticulture biodynamique et en raisonnée. Il y compare les paramètres agronomiques et la vie des sols. En 2002, il a démarré le programme « biofilière » consistant à suivre cinq couples de parcelles, l'une en bio et l'autre en raisonnée. Ces parcelles sont situées côte à côte, plantées la même année avec le même cépage et le même porte-greffe. Rendement, état sanitaire et qualité des vins sont notés. En 2009, le CIVC a aussi réalisé une enquête auprès de 28 viticulteurs : 14 certifiés bio et 14 engagés depuis longtemps dans la viticulture raisonnée, qu'il appelle maintenant durable.

En Bourgogne, la chambre d'agriculture de Saône-et-Loire a mis en place, en 2005, un essai sur une parcelle de chardonnay du lycée de Mâcon Davayé, avec l'université de Rennes I et l'Inra de Bourgogne. Elle y compare la viticulture biologique, la viticulture raisonnée (durable) et la viticulture « Ecophyto 2018 », suivant quantité de paramètres dont la vie des sols, la qualité de la récolte et le rendement.

En Beaujolais, la Sicarex compare depuis 2003 la viticulture conventionnelle, la viticulture raisonnée (cahier des charges Terra vitis) et la viticulture biologique sur une parcelle de gamay. Là aussi, de nombreux paramètres agronomiques, le rendement et la qualité sont suivis.

En Gironde, l'Inra de Bordeaux a comparé de 2001 à 2004 la viticulture biologique et la viticulture intégrée sur son domaine de Couhins.

En Suisse, la Station de Changins-Wädenswil a comparé de 1998 à 2004 la viticulture intégrée et la viticulture biologique sur une parcelle de chasselas.

Le Point de vue de

« Il faut reconnaître les bienfaits des deux modes de production »

Arnaud Descôtes, responsable environnement au Comité interprofessionnel du vin de Champagne

Arnaud Descôtes, responsable environnement au Comité interprofessionnel du vin de Champagne

« Aujourd'hui, la vision la plus courante reprise par tous les médias et les relais d'opinion est : la viticulture biologique constitue "le Graal" en terme de protection de l'environnement. Tous les viticulteurs doivent l'atteindre. La viticulture durable (ou raisonnée) est vue comme le passage obligé dans la quête de cet objectif. Notre vision est différente. Nous estimons que les deux modes de production ont des objectifs similaires. Ils sont complémentaires et peuvent se développer en parallèle. Toutes les expérimentations que nous menons depuis quinze ans montrent que leurs performances environnementales sont proches et supérieures à la moyenne de la Champagne. Les deux systèmes permettent d'améliorer la vie du sol par rapport à la viticulture traditionnelle. Les viticulteurs engagés dans l'une ou l'autre de ces démarches consomment moins d'eau et d'énergie. Ils sont en avance sur la mise en place de l'enherbement, la gestion des effluents phytosanitaires et vinicoles, la valorisation des déchets...

La seule différence se situe au niveau de la nature des fertilisants et des produits phytosanitaires qu'ils utilisent. Et encore, cette distinction ne repose pas sur un critère de dangerosité, mais sur le fait que ces produits sont naturels ou pas. Pour nous, la viticulture bio et la viticulture durable sont deux modes de production qu'il faut pousser sans états d'âme. A chaque viticulteur de faire son choix. »

Le Point de vue de

« Les chiffres sont pipés »

Bertrand Gautherot, président de l'Association interprofessionnelle des vins de l'agriculture biologique de Champagne © J.-C. GRELIER

Bertrand Gautherot, président de l'Association interprofessionnelle des vins de l'agriculture biologique de Champagne © J.-C. GRELIER

« Le CIVC dit que les vignerons en conduite raisonnée utilisent 20 % de produits phytos en moins que les bios. Nous ne sommes pas d'accord avec cette interprétation des chiffres. L'interprofession compare l'usage des produits de traitement en poids. Or, si l'on parle d'environnement, vaut-il mieux 15 kg de soufre ou 150 g de myclobutanil ? Rappelons que ce sont les produits de synthèse que l'on retrouve dans les eaux, pas les produits minéraux. Il vaudrait mieux comparer les indices de fréquence des traitements (IFT).

Là, on verrait que les viticulteurs en culture raisonnée sont au double ou triple des bios. Je regrette aussi que le CIVC ne tienne pas compte des incidences induites de l'utilisation des produits de synthèse. En Champagne, trois communes doivent déplacer leur point de captage des eaux, car ils sont pollués par les herbicides. Cela a un coût non négligeable. De même, il ne faut pas oublier que le bio a aussi une vocation sociale. Nous utilisons davantage de main-d'œuvre, nous faisons vivre plus de gens. Il faudrait en tenir compte. Mais je reconnais que nous ne sommes pas 100 % "verts". Nous utilisons du cuivre qui n'est pas complètement anodin. Et, nous avons tous usé de la chimie à un moment ou l'autre. Même si nous ne sommes pas d'accord avec les chiffres du CIVC, nous sommes contents qu'ils avancent sur les viticultures raisonnées et bio. Les viticulteurs en conduite raisonnée sont notre vivier de futur bio. »

Cet article fait partie du dossier Raisonné-bio : Le match

Consultez les autres articles du dossier :

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :