QualiBordeaux, en Aquitaine, et Icone, en Bourgogne, ont accepté d'ouvrir leurs portes à « La Vigne » pour suivre des dégustations de contrôle.
Fin mars, QualiBordeaux nous a reçus à la Maison des bordeaux, à Beychac-et-Caillau (Gironde), où l'organisme d'inspection réunissait une trentaine de professionnels. Le jour de notre venue, il avait convoqué six jurys - encore appelés commissions - de cinq dégustateurs.
Fin avril, ce fut au tour d'Icone de nous accueillir dans ses locaux, à Beaune (Côted'Or). L'organisme d'inspection bourguignon (OI) avait également convoqué six commissions, réparties sur deux horaires. Là, les dégustateurs étaient sept par jury. « C'est le minimum pour être représentatif au niveau statistique », note Cyril de Héricourt, président-directeur d'Icone.
Des dégustations dans le calme
En début de matinée, à Beychac, comme à Beaune, les organisateurs accueillent les participants. Tous ces dégustateurs ont obligatoirement suivi des formations auprès des ODG concernés. Ils ont été choisis parmi trois collèges : les porteurs de mémoire (vignerons ou négociants), les techniciens (œnologues, maîtres de chai et courtiers), les usagers du produit (cavistes, sommeliers, acheteurs et retraités de la filière). Dans chaque commission, au moins deux de ces collèges étaient représentés, avec au moins un porteur de mémoire. C'est la règle imposée par l'Inao.
Dès l'arrivée des dégustateurs, les OI les regroupent par jury, dans une salle spécialement conçue pour la dégustation. QualiBordeaux comme Icone veillent particulièrement au confort des dégustateurs, qui doivent évaluer les vins dans les meilleures conditions. Ils leur précisent les appellations qu'ils auront à déguster et leur rappellent quelques règles sur le déroulement de la séance : comment remplir les fiches, l'importance du calme dans la salle. « Vous ne devez pas communiquer entre vous », soulignent-ils. Ils seront entendus.
A Beaune, commence alors le service des vins, préparés la veille. La préparation des échantillons consiste à « anonymer » les bouteilles, en cachant tout signe distinctif avec une chaussette, à les numéroter et à les placer dans une cave à température adéquate. A notre arrivée, les bouteilles étaient déjà prêtes dans l'arrière-salle de dégustation. Tôt le matin, les organisateurs les avaient sorties et ordonnées. Et ils les ont débouchées quinze à trente minutes avant le début de la séance.
Au programme de cette matinée bourguignonne : beaucoup de grands crus. Chaque dégustateur a trois séries de fiches devant lui et un verre : des fiches de service, indiquant le numéro d'échantillon, l'appellation revendiquée, le millésime et s'il s'agit de vrac ou de vin conditionné ; des fiches de dégustation où noter les vins et des fiches de commentaire pour préciser les défauts.
Les deux responsables des échantillons servent le premier vin aux dégustateurs, en annonçant son numéro. Les jurés sont très calmes et sérieux. Chacun déguste individuellement, facilité par la séparation de la salle en boxes. Tous semblent habitués à cet exercice, car l'examen du premier échantillon s'achève rapidement. Les dégustateurs vident et rincent leur verre. Puis les autres échantillons se succèdent sans problème. Il faut dire que l'organisation est sans faille. Au final, la première session dure environ trente à quarante minutes, c'est-à-dire peu de temps par rapport aux heures passées à la préparation. Trois commissions viennent d'examiner soixante vins en tout. Trois autres commissions vont leur succéder pour faire juger soixante autres échantillons.
Icone a le droit de faire déguster vingt échantillons à une commission, à condition qu'il y ait au moins cinq blancs. Donc, quinze vins rouges au maximum.
Des pauses obligatoires
QualiBordeaux, de son côté, commence par soumettre deux échantillons témoins (un blanc et un rouge) aux jurys. Ceux-ci notent les vins sur une fiche descriptive commune. « Ils peuvent ainsi habituer leur palais », justifie Hugues Amerdeil, œnologue de QualiBordeaux. L'animatrice fait alors le point sur les notes attribuées par la salle : elle demande aux dégustateurs de lever la main quand elle annonce la note qu'ils ont donnée à un descripteur sensoriel. « Cela leur permet d'évaluer leur sensibilité par rapport aux autres, par exemple de voir s'ils ont tendance à sous-noter ou surnoter l'acidité ou l'amertume… Les dégustateurs se calent sur les perceptions de la salle », ajoute Hugues Amerdeil.
Ce calage effectué, le responsable des échantillons distribue les bouteilles à chaque jury. Elles sont munies d'une étiquette avec leur numéro d'anonymat , l'appellation revendiquée, le millésime et le type de conditionnement(vrac ou conditionné). Les dégustateurs se servent autant de fois que nécessaire. Au cours d'une matinée de trois heures, les membres d'une commission peuvent déguster jusqu'à quarante vins. Mais ils le font par session de dix échantillons maximum pour une même appellation. « Ils ne pourraient pas être aussi performants sur quarante vins. Nous leur imposons donc des pauses de quinze minutes entre les sessions », précise Hugues Amerdeil.
La décision finale se prend à la majorité simple
Là aussi, chaque juré déguste seul les échantillons. S'il juge qu'un vin n'est pas acceptable pour l'appellation revendiquée, il doit indiquer pourquoi, en notant l'intensité des défauts relevés.
Les dégustateurs sont consciencieux. Ils ne communiquent pas entre eux, malgré l'absence de boxes de séparation. Ils remplissent assez vite leurs fiches. Le service est aussi très méthodique, pour ne pas perdre de temps et éviter les erreurs.
Chaque session de dix vins dure environ 20 minutes. A la fin d'une session, le jury se regroupe. Chaque membre annonce son verdict : « conforme » ou « non conforme » pour chaque vin. La décision se prend à la majorité : à partir de trois avis « non-conforme », le vin est refusé. L'animatrice de Quali-Bordeaux remplit alors le procès verbal qui précise les numéros d'échantillons, le nombre d'avis conformes et non-conformes, la décision finale, les motifs de refus et l'intensité des défauts. Le rapport d'évaluation envoyé à l'opérateur notifie ces informations mais n'indique pas l'identité des jurés. La dégustation de contrôle est doublement anonyme, ce à quoi tiennent vraiment les dégustateurs. Pour preuve, ils n'ont pas souhaité être pris en photo. Quali-Bordeaux doit enfin rendre l'avis du jury au vigneron dans les trois jours qui suivent la dégustation.
A Beaune, à la fin de la séance, les dégustateurs ont la possibilité de goûter à nouveau un échantillon en cas de doute. Puis, le personnel d'Icone récupère toutes les fiches et saisit les données sur ordinateur. Un logiciel calcule le nombre d'avis de non-conformité pour chaque échantillon, et la majorité simple l'emporte. « Nous voudrions que la décision se prenne autrement, en suivant une règle statistique plus objective », précise Cyril de Héricourt. S'il y a un manquement, le vigneron est averti. Icone gère ensuite les demandes de premier recours et les possibilités de mesures correctrices.
En cas de non-conformité, que se passe-t-il ?
Un vigneron dont les vins ont été contrôlés reçoit toujours un rapport. Si ce dernier indique que le vin n'est pas conforme, il précise le nombre de jurés qui l'ont noté « non-conforme », ainsi que l'intensité du (ou des) défaut(s) relevé(s).
Si le vigneron accepte cet avis, il est sanctionné. En cas de défaut mineur, ou si c'est la première non-conformité, la sanction peut être un simple avertissement. Un défaut majeur implique des contrôles plus fréquents. Si le défaut est critique ou que la situation se répète, l'Inao peut demander le retrait de la commercialisation du lot dans l'appellation. Si, au contraire, le viticulteur n'est pas d'accord avec l'avis de non-conformité, il a droit à un recours.
Le vin repasse alors en commission parmi d'autres vins de l'appellation. Le jury ne sait pas qu'il le déguste pour la deuxième fois.
Face à un nouveau refus, le vigneron peut déposer un recours gracieux auprès de l'Inao. Dans certains cas, ce dernier accorde de diminuer le niveau du défaut invoqué (passage de majeur à mineur par exemple).
Les fiches de dégustation
A Bordeaux, les dégustateurs utilisent l'une ou l'autre des deux fiches ci-contre. Ils goûtent le vin et indiquent d'emblée, sur la fiche du haut, s'il est conforme à l'AOC considérée. Si le vin est non conforme, ils doivent remplir la fiche en notant les critères défectueux sur une échelle de 0 à 5. Avec la fiche du bas, le raisonnement inverse prévaut. Le dégustateur note d'abord le vin selon les critères listés. Pour chaque critère, le cadre noir délimite la zone de refus, par exemple une note 4 ou 5 pour la réduction au nez. En bas de la fiche, le dégustateur coche la case « conforme » ou « non conforme » en fonction du nombre de cases cochées dans la zone « inacceptable ». Chaque ODG a choisi parmi ces deux fiches, celle qui doit servir pour la dégustation de ses vins. Les dégustateurs et l'OI doivent s'y plier.
En Bourgogne, tous les ODG ont la même fiche, sauf Chablis. Il s'agit d'attribuer au vin la note A, B, C ou D : A en l'absence de défaut ; B pour un défaut mineur ; C pour un vin avec un défaut important, susceptible d'être corrigé ; D pour des défauts incorrigibles. Le vin est conforme si la note est A ou B. Il est non conforme, si la note est C ou D. Pour un C ou un D, le juge doit remplir la grille de dégustation et faire un commentaire précis sur le défaut relevé.