MOUTOVUN. Ce village pittoresque, perché sur une colline boisée entourée de vignes est un haut lieu touristique de l'Istrie. Ses forêts sont réputées pour leurs truffes. Les vignes alentours produisent des vins de teran, un cépage rouge légèrement poivré. © SIME/F.COGOLI/SIMEONE
SPECTACULAIRE. Beaucoup de vignes sont établies sur des sols très rouges, car riches en bauxite et en fer, qu'on ne peut pas manquer de voir. Ci-contre : des vignes sont encore attachées avec de l'osier.
DIMITRI BRECEVIC (ci-dessus), a quitté la France pour s'installer en Istrie. Pour l'instant, il doit se contenter d'acheter du raisin pour faire son vin.
GIORGIO CLAI (ci-contre), Italien de Trieste, s'est installé en Croatie. Il vinifie les rouges et blancs de la même façon. Il égrappe, puis encuve sans levurer et laisse macérer la vendange pendant trente jours dans des tonneaux. Après pressurage, le vin reste dix mois en fûts.
CHEZ MORENO DEGRASSI. Ce viticulteur produit 100 000 bouteilles par an. Il vinifie des petites cuvées de vins rares pour la région : des rosés de pinot noir, du petit verdot, du viognier. Dans sa salle de dégustation (photo du bas), il reçoit des groupes de touristes pour des soirées œnogastronomiques. © PHOTOS P. BOURGAULT
CHEZ MORENO DEGRASSI. Ce viticulteur produit 100 000 bouteilles par an. Il vinifie des petites cuvées de vins rares pour la région : des rosés de pinot noir, du petit verdot, du viognier. Dans sa salle de dégustation (photo du bas), il reçoit des groupes de touristes pour des soirées œnogastronomiques. © PHOTOS P. BOURGAULT
Forte de 4,4 millions d'habitants, la Croatie accueille chaque année près de dix millions de visiteurs, qui contribuent à 20 % de son PIB officiel. L'Istrie profite de cet afflux de visiteurs. Cette région donne sur la mer Adriatique, face à Venise. C'est une péninsule prospère, dont les vignerons ravitaillent les nombreux restaurants.
« Les touristes commandent les vins locaux qui sont excellents, affirme l'Autrichien Guido Schwengersbauer, qui dirige la Casa Romantica, à Buje. J'achète les bouteilles entre 6 et 9 euros. On ne trouve pas moins cher. Sur la carte, il ne faut pas dépasser 17 euros pour le blanc et 20 euros pour le rouge. »
Les clients apprécient les cépages croates emblématiques : malvasia (blanc) et teran, rouge légèrement acide et poivré évoquant le pinot d'aunis, avec plus de puissance et de soleil.
Les vignerons savent parler aux étrangers. Et pour cause : en moins d'un siècle, l'Istrie a endossé successivement quatre identités. Elle était austro-hongroise avant la première guerre mondiale, italienne jusqu'à la seconde puis yougoslave. Et depuis 1992, elle fait partie de la Croatie indépendante. Pas étonnant donc que l'on rencontre beaucoup de polyglottes ou de débrouillards !
Des subventions pour planter des cépages locaux
Les touristes cherchent des spécialités typiques que les vignerons s'ingénient à fournir, encouragés par les subventions de la région et de l'Etat. Franko Radovan vient de planter de la malvasia, « car il faut se distinguer avec les cépages autochtones. La région paie 50 % du prix des plants. L'Etat subventionne les plantations à 4 000 €/ha et rembourse 50 % des investissements en cave. » Franko Radovan cultive les deux tiers de son domaine en blanc (malvasia, chardonnay) et un tiers en rouge (teran, merlot, cabernet-sauvignon) et embouteille la majorité de sa production (35 000 cols par an).
Autre produit local prisé des touristes, au titre de souvenir typique : la grappa paysanne, l'eau-de-vie de marc aromatisée par macération à l'anis, à la cannelle, à la gentiane, au fenouil ou au gui. Chez les Rossi, c'est le grand-père Federico qui la distille. Et c'est Marino et Inès qui la servent dans la confortable salle de dégustation qu'ils ont aménagée pour accueillir les visiteurs. Ce couple de vignerons vient même de bâtir une maison d'hôtes « afin qu'amis et clients puissent rester dormir après les dégustations ».
Le même sens de l'accueil anime Moreno Degrassi qui vend une partie de sa production directement aux touristes dans son bar à vins-restaurant. Curieux, il ne se limite pas aux cépages autochtones subventionnés, mais expérimente des variétés exotiques en Istrie, tels le viognier, le petit verdot ou le pinot noir, dont il obtient un rosé après une macération de huit heures. « J'aime essayer des cuvées », explique-t-il.
Un touriste italien devenu vigneron
Moreno Degrassi possède 50 ha à Basanija, dont 10 ha de nouvelles vignes et il envisage de planter 15 ha avant l'entrée de la Croatie dans l'Union européenne. Il produit 100 000 bouteilles par an, vendues à la restauration locale, exportées en Serbie, en Bosnie et vers l'Europe (Belgique, Autriche, Italie), dont il attend la levée prochaine des frontières douanières. Parmi ses clients de l'étranger, de nombreux touristes ont déjà apprécié son vin en Croatie. Il refuse de fournir la grande distribution.
Parfois, le touriste devient vigneron, comme Giorgio Clai. Restaurateur pendant longtemps à Trieste, en Italie, il appréciait de se balader en Croatie. En 2001, il s'y installe, avec sa famille, sur 6,5 ha près de l'Adriatique. Peu à peu, fort de son charisme, il devient l'un des professionnels les plus médiatiques de Croatie. Il vend ses vins bio deux à trois fois plus cher que les autres vignerons.
Son portrait trône chez Cok, le grand restaurant de poissons de Novigrad. Il cultive trois cépages blancs (malvasia, pinot gris, sauvignon) et trois rouges (teran, cabernet, merlot) en bio, « car je veux laisser une terre saine à mes petits-enfants et qu'ils mangent tout ce qu'ils veulent ». Giorgio Clai obtient à peine 20 000 bouteilles par an, « quand tout va bien », vendues de 16 à 25 euros la bouteille à la cave. Trop cher pour les restaurants locaux, la moitié part donc à l'export.
« Chaque année, il y a davantage de touristes, mais qui réduisent leurs dépenses, déplore Moreno Degrassi qui ressent la crise économique internationale. En 2009, on a dû travailler davantage pour le même résultat. Les incidents de paiement et les restaurateurs en faillite se multiplient. »
Retour aux sources pour des Français
Autre conséquence de l'affluence touristique : la hausse du foncier. Dimitri Brecevic la subit. En 2006, ce Français récupère la coopérative de Buzet (village croate homonyme de Buzet en France), avec son père et son frère. « L'été, je venais ici en vacances, chez ma grand-mère », explique-t-il. Un retour aux sources donc, pour ce jeune œnologue formé à Bordeaux, convaincu de « l'excellent potentiel viticole de la région ».
A son arrivée, la cave était devenue une réserve d'eau potable pour le village. Il l'a rendue à sa vocation première. Mais il n'a pas pu acheter de terre, un hectare planté se vendant entre 20 000 euros pour les vieilles parcelles où la vigne est mêlée à d'autres cultures, et 70 000 euros pour les vignes productives et bien palissées. Pour l'instant, il achète du raisin. Il a ainsi vinifié sa première cuvée dès son arrivée. Mais, « le raisin est cher, de 0,45 à 0,90 €/kg, et mon vin ne bénéficie d'aucune appellation. Je veux planter ma vigne. »
Désormais, la principale difficulté des vignerons vient du tourisme qui fait grimper le prix des propriétés et des terres.