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L'Inra relance son essai OGM saccagé l'an dernier

Clara de Nadaillac - La vigne - n°221 - juin 2010 - page 14

L'Inra de Colmar vient de regreffer son essai de porte-greffes transgéniques en plein champs. Le but est de trouver un moyen pour protéger les ceps du court-noué.
UN ESSAI SOUS HAUTE SURVEILLANCE. Les porte-greffes transgéniques, au centre de la parcelle, sont entourés d'une première bordure de plants de vigne non OGM, d'une zone de jachère et d'une seconde zone de bordure de plants non transgéniques. Une bâche microporeuse est installée dans le sol pour isoler l'essai du reste de la parcelle. Le site est entouré d'un grillage empêchant l'entrée d'animaux sauvages. © C.MAITRE/INRA

UN ESSAI SOUS HAUTE SURVEILLANCE. Les porte-greffes transgéniques, au centre de la parcelle, sont entourés d'une première bordure de plants de vigne non OGM, d'une zone de jachère et d'une seconde zone de bordure de plants non transgéniques. Une bâche microporeuse est installée dans le sol pour isoler l'essai du reste de la parcelle. Le site est entouré d'un grillage empêchant l'entrée d'animaux sauvages. © C.MAITRE/INRA

GREFFAGE. Dans le trou au premier plan, ce qu'il reste d'un plant OGM saccagé l'an dernier. L'homme agenouillé se prépare à le greffer d'un bourgeon de pinot meunier. Il l'entourera ensuite d'une bande de protection et le badigeonnera d'un mastic de cicatrisation. © C. DE NADAILLAC

GREFFAGE. Dans le trou au premier plan, ce qu'il reste d'un plant OGM saccagé l'an dernier. L'homme agenouillé se prépare à le greffer d'un bourgeon de pinot meunier. Il l'entourera ensuite d'une bande de protection et le badigeonnera d'un mastic de cicatrisation. © C. DE NADAILLAC

En ce jeudi 3 juin, le greffage de plants de vigne transgéniques bat son plein à l'Inra de Colmar. L'opération vise à relancer un test de résistance au court-noué sur porte-greffes génétiquement modifiés. Elle se déroule dans une parcelle expérimentale de cinquante-quatre ares. Le site est entouré d'une clôture grillagée. Il est sous vidéosurveillance. On sent de suite qu'il s'agit d'un essai à fort impact émotionnel et à enjeu scientifique important.

Lorsqu'on pénètre à l'intérieur, on passe d'abord dans une première zone de ceps classiques, c'est-à-dire non modifiés. Puis on traverse quelques mètres sans plantation, dits de jachère, et à nouveau quelques rangées de pieds classiques. Enfin, on arrive au cœur du site, dans un carré presque nu, d'où ne sortent de terre que de petites souches coupées au raz du sol : ce sont les soixante-dix porte-greffes transgéniques. Il s'agit de clones 41 B, dans lesquels les chercheurs ont inséré un gène du virus du court-noué.

Cinquante de ces ceps sont plantés dans de la terre contenant des nématodes du court-noué. Les vingt autres, ainsi que tous les ceps non transgéniques, sont sur de la terre saine. Une toile géotextile sépare les deux types de sols pour éviter que les nématodes ne se propagent.

Depuis la veille, un prestataire de service tente de « sauver » les porte-greffes, en leur greffant un bourgeon de pinot meunier, prélevé sur des bois « normaux ». Mais pourquoi une telle opération ? Petit retour sur une histoire mouvementée.

Les portes-greffes transgéniques les plus prometteurs contaminés en deux ans

Les essais en plein champs de porte-greffes génétiquement modifiés débutent en 1996, en Champagne. Ils sont brutalement stoppés en 1999, pour des questions d'image. Mais les premiers résultats semblent montrer que trois lignées OGM protègent du court-noué.

Les expérimentations reprennent à partir de 2005, à l'Inra de Colmar. A ce moment-là, l'Institut a une autorisation pour quatre ans, c'est-à-dire jusqu'à fin 2009. Elle est assortie d'un certain nombre de conditions, dont la surveillance de l'essai par un comité local de suivi, regroupant chercheurs, professionnels et membres de la société civile. Ce comité impose, par exemple, de supprimer toutes les inflorescences avant floraison pour éviter tout risque de diffusion de gènes.

Mais en septembre 2009, coup de théâtre ! Un militant anti-OGM, Pierre Azelvandre, vandalise la parcelle. Il sectionne les soixante-dix plants transgéniques, au raz du sol, ne laissant que le porte-greffe. De suite, l'Inra prend des mesures de « sauvegarde », en buttant les porte-greffes pour éviter qu'ils ne meurent. Ils passeront la fin de l'année 2009 et le début de 2010 sous terre.

Durant les quatre ans d'expérimentation, l'Inra a obtenu quelques résultats : en l'espace de deux ans, les porte-greffes transgéniques, qui semblaient les plus prometteurs en Champagne, ont été atteints par le court-noué. Pour Olivier Lemaire, chargé de l'essai à Colmar : « Le virus se comporte différemment en Alsace et en Champagne. Il contourne plus vite la résistance ici. La modification transgénique ne fait que retarder l'infection de deux ans, au mieux. Pour contrer le virus, il faudra certainement empiler plusieurs niveaux de résistance. »

D'où l'importance de poursuivre les essais. Pour ce faire, l'Inra a besoin d'une nouvelle autorisation du ministre de l'Agriculture, Bruno Le Maire. Courant avril, l'Institut obtient un avis favorable d'expérimentation du Haut conseil des biotechnologies.

Dans la foulée, il lance une consultation publique sur internet. A la lumière de ces avis, et fort de l'accord du ministre de l'Environnement, le 17 mai dernier, Bruno Le Maire signe l'autorisation de reprise de l'essai pour quatre ans, à compter de la date de signature.

Le temps est compté. Pour que les plants sectionnés aient une chance de survivre, il faut les greffer sur place au plus vite. Fin mai, les techniciens les débutent. Début juin, le regreffage peut commencer.

« Nous testons aussi d'autres méthodes de lutte »

Les chercheurs vont continuer à étudier de nombreux paramètres, certains à la demande des membres du comité local de suivi. « L'essai consiste à comprendre comment fonctionne la résistance au court-noué, pour ensuite pouvoir s'en servir, insiste Jean Masson, président du centre de Colmar. Quel est le seuil de température au-dessous duquel la résistance ne fonctionne plus ? Quelle est sa durée dans le temps ? Nous analysons également les flux entre le porte-greffe et le greffon pour voir s'ils communiquent au niveau génétique. Nous recherchons s'il y a des transferts de gènes vers la microflore du sol. Nous travaillons aussi sur des méthodes de lutte alternatives aux OGM. Nous venons par exemple de débuter un essai de lutte biologique contre le court-noué, en plantant des jachères nématicides. »

Même si début juin n'est pas la meilleure période pour réaliser des greffages, les chercheurs espèrent que la reprise sera bonne. « En règle générale, le taux est de 82 %, explique le prestataire qui réalise l'opération. Là nous allons prendre un maximum de précautions. Nous mettons des manchons de protection et nous installerons un film protecteur pour éviter le rayonnement solaire direct. Mais nous ne connaîtrons le taux de reprise que d'ici à trois semaines. » Rendez-vous fin juin, pour le verdict.

Les essais OGM, dans le monde

Peu d'expérimentations se déroulent actuellement dans le monde sur des vignes génétiquement modifiées. Selon Olivier Lemaire, de l'Inra de Colmar, il y en aurait aux Etats-Unis et peut-être aussi en Amérique latine. Toutes porteraient sur la résistance au court-noué. Mais aucun chercheur n'a encore réalisé de publication sur le sujet, à l'exception de l'équipe française.

Le Point de vue de

Jean-Pierre Van Ruyskensvelde, directeur général de l'Institut de la vigne et du vin

« Oui, pour aider la sélection clonale et la création variétale »

Jean-Pierre Van Ruyskensvelde, directeur général de l'Institut de la vigne et du vin

Jean-Pierre Van Ruyskensvelde, directeur général de l'Institut de la vigne et du vin

« A l'heure actuelle, il y a un consensus national et international de la filière viticole, pour ne pas utiliser de variétés génétiquement modifiées.

Néanmoins, le secteur doit régler certains problèmes, dont ceux posés par les maladies et le changement climatique. Il faut que la création variétale apporte des éléments de réponse notamment en terme de réduction des phytos. Il faut trouver des clones résistants aux maladies et adaptés aux changements climatiques. Or, lorsque nous souhaitons tester de nouvelles variétés par rapport à leur résistance, c'est bien d'avoir des témoins scientifiques OGM résistants, auxquels nous pouvons les comparer, même si ces OGM ne sont pas voués à être cultivés.

De mon point de vue, il est donc indispensable que la recherche française puisse poursuivre ses travaux, et ce d'autant plus que nous avons les meilleurs chercheurs au monde dans ce domaine. Même si nous n'avons pas l'usage actuellement de ces OGM, c'est une bonne base pour comparer la sélection clonale et variétale. »

Le Point de vue de

Anne-Claude Leflaive, présidente de l'association Terre et vin du monde

« Non, car la viticulture ne veut pas des plants OGM »

Anne-Claude Leflaive, présidente de l'association Terre et vin du monde

Anne-Claude Leflaive, présidente de l'association Terre et vin du monde

« Notre Association s'est clairement positionnée contre les OGM. Nous ne pouvons pas jouer aux apprentis sorciers avec la nature et la manipuler à notre guise. Les recherches en laboratoire sont une chose et la pratique sur le terrain en est une autre. Pour les viticulteurs qui travaillent au quotidien sur le terrain, l'objectif est de respecter le rythme naturel de la plante et son environnement. Les pratiques viticoles en biologie et biodynamie se sont largement développées ces dernières années dans les plus grands domaines viticoles du monde. Nul besoin de « violer » le cœur de la cellule en voulant la modifier génétiquement pour la rendre résistante au virus du court-noué.

Vingt ans d'expérience d'une pratique respectueuse du terrain ont montré une très bonne adaptation de la vigne au virus, sans besoin de l'arracher. J'avais notamment une parcelle de trente ans en 1990, très atteinte du court-noué. Il fallait l'arracher. Je l'ai passée à la biodynamie et, à présent, c'est une parcelle qui va très bien. Les vins issus de cette vigne sont magnifiques, ils sont là pour nous montrer du l'ignorance de l'être humain face aux mystères de la nature et nous enseigner le respect et l'obéissance à ses lois. »

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Consultez les autres articles du dossier :

REPÈRE

La procédure d'obtention d'une autorisation d'essai OGM

L'organisme de recherche dépose une demande d'autorisation.

Le Haut conseil des biotechnologies rend son avis, en prenant en compte les recommandations du comité scientifique et du comité économique, éthique et social.

Le ministre de l'Agriculture ouvre une consultation publique.

Il demande l'accord du ministre de l'Environnement.

Il donne son autorisation.

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :