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ACTUS - POUR OU CONTRE

Faut-il supprimer le droit de préemption des Safer ?

Aude Lutun - La vigne - n°221 - juin 2010 - page 26

La question suscite toujours de vifs débats.

Pour mettre du piment dans une conversation entre exploitants agricoles ou viticoles, il existe une recette infaillible : évoquer le droit de préemption des Safer ! Instauré en 1962, ce droit ne laisse pas indifférent. Certains y sont très attachés, d'autres le jugent exorbitant. « Le droit de préemption est exercé par la profession sous le contrôle de l'Etat, rappelle Robert Levesque, directeur du bureau d'étude du groupe Safer, à Paris. C'est une correction à la marge qui permet d'orienter les terres vers le meilleur usage et le meilleur utilisateur. » Mais le favoritisme et le renvoi d'ascenseur sont souvent pointés du doigt. « Je me sers, tu te sers, nous nous servons, ironise Bruno de la Roche Saint André, président de la Fédération nationale de la propriété privée rurale. Le droit de préemption et de révision des prix est un des outils de spoliation. Les Safer ont été créées pour favoriser le développement agricole et éviter le gaspillage du foncier.

Ces missions ont-elles été remplies ? Non ! » Michel Desilets, avocat à Villefranche-sur-Saône (Rhône), constate : « les Safer jouent sur du velours, car les tribunaux ne peuvent examiner que la forme et non le bienfondé de leurs décisions ».

Certains viticulteurs sont toutefois satisfaits.

« Je n'aurais jamais pu étendre mon exploitation sans la Safer, témoigne un Champenois. Et pourtant, je n'y connais personne. »

Le Point de vue de

CONTRE

« Non. Il nous permet de défendre l'intérêt collectif »

Francis Massé, viticulteur et président de la Safer Aquitaine Atlantique © Ph. ROY

Francis Massé, viticulteur et président de la Safer Aquitaine Atlantique © Ph. ROY

« En Aquitaine, seulement 3 % des transactions font l'objet d'une préemption. Ce n'est donc pas une pratique courante de la Safer de s'opposer à un accord entre deux parties. Certains qualifient ce droit d'exorbitant. Ils oublient que la décision est prise par une communauté qui représente l'ensemble du territoire, à la différence du droit de préemption urbain. J'invite ceux qui parlent de copinage à demander, au législateur, la possibilité de siéger à nos comités techniques, au même titre que les syndicats minoritaires.

Notre objectif est de privilégier l'intérêt de la profession et du territoire. Quand cinq personnes sont candidates à l'achat d'une propriété et que nous n'en retenons qu'une, il y a quatre mécontents. Mais pour l'intérêt de la profession et du territoire, il faut préempter certaines exploitations. On peut ainsi y installer un jeune, qui autrement ne pourrait pas, ou garder l'unité des exploitations. Le droit de préemption permet aussi de faire barrage à certains gros investisseurs qui ont d'autres objectifs, comme la construction de maisons secondaires ou la spéculation immobilière. Il faut que la terre reste à l'agriculture et aux agriculteurs. Ce qui est très important, c'est de débattre en amont dans les commissions locales d'aménagement foncier et ensuite d'expliquer les décisions. »

Le Point de vue de

POUR

« Oui. Ce droit génère trop d'injustices »

Bernard Mandeville, avocat au barreau de Paris, spécialiste en droit rural

Bernard Mandeville, avocat au barreau de Paris, spécialiste en droit rural

« Le droit de préemption des Safer génère de nombreux contentieux. On dénombre au moins 1 260 procès depuis l'instauration des Safer en 1962. Soit près de deux procès par an par Safer ! Le but affiché du droit de préemption était de faciliter le remembrement pour rendre le paysage agricole français plus fonctionnel. Le remembrement est quasiment terminé depuis des années et le droit de préemption est toujours là.

Mais je pense qu'il va disparaître tôt ou tard sous la pression de la société, très attachée au droit de propriété. Depuis 1999, les Safer ont obtenu la possibilité de se faire consentir des promesses unilatérales de vente et de substituer ensuite un acquéreur sans avoir à payer le prix de vente. C'est un outil pratiquement aussi efficace que le droit de préemption, alors pourquoi ne pas abandonner ce droit qui génère de nombreuses injustices et qui s'opère avec un manque de clarté ? Pourquoi ne pas maintenir les Safer sans le droit de préemption ? Les présidents de Safer argumentent qu'ils en font rarement usage. Peut-être, mais nous n'avons aucune statistique pour le vérifier. De plus, le droit de préemption exerce une grande pression sur les propriétaires. La menace de la préemption est souvent brandie pour leur faire accepter une vente qui convient à la Safer du coin. Il serait préférable que les Safer agissent par contrat, conformément à l'esprit de la loi de modernisation agricole et non par la contrainte. »

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