Qui n'a jamais eu la mauvaise surprise en ouvrant une bonne bouteille, que le vin soit bouchonné ? Fut un temps, cet accident se répétait trop souvent. Un temps pas très éloigné. Au début des années 2000, la filière viticole mettait en place le Suivi aval qualité (SAQ) pour contrôler les vins finis. « Le goût de bouchon a été le premier défaut relevé », note Isabelle Thomas, en charge du SAQ de la vallée du Rhône.
En Bourgogne, le bureau interprofessionnel des vins indique qu'entre 2000 et 2002, ce défaut a touché 5 à 10 % des vins dégustés par le SAQ. Dans 95 % des cas, il était dû à la présence de trichloroanisoles ou TCA, les molécules responsables de l'odeur de moisi-bouchon.
Moins de 2 % de vins bouchonnés en 2009
Mais aujourd'hui, les experts s'accordent à dire que la situation s'est nettement améliorée. Ainsi, le BIVB observe « qu'en dix ans, le pourcentage de vins identifiés comme présentant un goût de bouchon a été réduit de moitié, selon les observations du SAQ ».
Gérard Michel, cogérant du laboratoire Vect'Oeur, spécialisé dans l'analyse des défauts du vin, et situé à Savigny-lès- Beaune (Côte-d'Or), estime ce pourcentage à « moins de 2 % en 2009 ».
Dans le Bordelais, Catherine Chassagnou est responsable technique de la Cellule qualité bouchage, à la chambre d'agriculture de la Gironde. Elle contrôle environ deux mille lots de quatre-vingts bouchons en moyenne par an à la demande de viticulteurs, de négociants ou de bouchonniers. « La pollution par les TCA concerne beaucoup moins de lots qu'il y a cinq ou dix ans », constate-t-elle. Elle note que les quantités de TCA mesurées dans les bouchons jugés défectueux sont bien plus faibles : « Ces lots contiennent moins de 10 ng/l de TCA, alors qu'avant c'était plutôt 50 ng/l et jusqu'à 100 ng/l. » Quand le défaut subsiste, il est donc moins marqué qu'avant.
Dans la vallée du Rhône, Isabelle Thomas confirme que le problème est devenu accidentel : « Sur plus de mille références prélevées en 2009, seules trois avaient des teneurs vraiment élevées en TCA (16, 43 et 121 ng/l). » Pour la majorité des vins contaminés par le bouchon, la mauvaise odeur est même difficile à percevoir pour le consommateur. Des dégustateurs formés perçoivent le goût de bouchon si les TCA se situent au-dessus de 4 ng/l, voire 2 ng/l pour les plus habitués. Or, en 2009, 58 % des vins jugés bouchonnés par les dégustateurs du SAQ de la vallée du Rhône contenaient moins que ce seuil critique de 4 ng/l de TCA. Si l'on avait demandé à des amateurs de juger ces vins, ils n'auraient certainement rien perçu. En effet, « en dessous de 5 ng/l de TCA, la plupart des consommateurs ne sentent pas le défaut, explique Isabelle Thomas. Aujourd'hui, on n'atteint ce seuil que très rarement. »
Par ailleurs, sur les bouchons que les fournisseurs garantissent « sans défaut », c'est-à-dire en général les bouchons techniques, le SAQ de la Vallée du Rhône n'a constaté aucun vin bouchonné en 2009.
« Les bouchonniers ont fait de sérieux efforts », admettent les responsables des laboratoires. Il faut dire qu'ils n'ont pas eu d'autres choix. Il y a une dizaine d'années, la concurrence a commencé à sévir. Capsules à vis et bouchons synthétiques ont su garantir le « zéro défaut » que n'apportait pas le liège. Ils ont grignoté des parts de marché. La filière liège, qui avait longtemps ignoré ses problèmes, a dû se remettre en question.
Plus de rigueur, dès la récolte
Les fabricants ont adopté de nouveaux procédés. « Nous fiabilisons toutes les étapes de la production : depuis la forêt jusqu'à l'expédition des commandes », explique Jean- Philippe Allilaire, directeur commercial d'Amorim France, filiale du leader mondial du bouchon en liège naturel.
Cela passe d'abord par une sélection plus stricte du liège. « Nous ne gardons pas les écorces du pied de l'arbre, parce qu'elles ont été longtemps en contact avec la terre », précise Jean-Philippe Allilaire. En effet, il faut éviter tout développement de moisissures, responsables de la formation de TCA dans le liège. Ainsi, Amorim stocke les piles d'écorce sur des palettes inox, et non directement au contact de la terre, comme c'était le cas auparavant. De même pour Bourrassé, numéro deux en France, qui place ces palettes inox sur un sol de granite en pente, afin d'éviter que l'eau ne stagne.
Les techniques de bouillage, étape d'assainissement des planches de liège, ont également évolué. Amorim a élaboré un procédé qui permet de ne traiter que deux tonnes de liège par bouillage, au lieu de quinze auparavant. La décontamination est plus uniforme. Le bouillage ne dure plus que trois jours au lieu de trois semaines, ce qui diminue le risque d'apparition de moisissures.
Vers des bouchons exempts de TCA
Dans les usines de Bourrassé, « l'eau du bac est mise en mouvement grâce à l'injection de vapeur d'eau par des générateurs », explique Jean-Francis Troccard, directeur général du groupe. Ce système facilite l'extraction de composés indésirables dans le liège.
« Ce travail préventif est essentiel, souligne-il. Puis nous faisons appel à des procédés curatifs complémentaires. » Pour éliminer les TCA résiduels dans les bouchons, les fabricants ont développé une batterie de techniques : hydrodistillation, traitement à la vapeur d'eau… Celles-ci s'appliquent essentiellement aux bouchons techniques, mais se développent aussi sur le liège naturel.
Le groupe Œneobouchage, précurseur dans la lutte anti-TCA, a recours au CO2 supercritique pour nettoyer ses bouchons, composés de farine de liège agglomérée. « Nous éliminons jusqu'à 450 molécules odorantes, précise Dominique Tourneix, directeur général de la société. Nos clients sont plus que satisfaits. »
Enfin, des contrôles rigoureux sont réalisés pendant la fabrication et dans les laboratoires des fournisseurs, avant expédition des bouchons à leurs clients. « Le liège a de l'avenir, estime Gérard Michel, du laboratoire Vect'Oeur. Car les industriels travaillent vraiment pour l'améliorer. »
Beaucoup moins de vins bouchonnés dans les concours internationaux
Au Concours mondial de Bruxelles, 6 624 bouteilles ont été débouchées en trois jours en avril 2010. Le liège prédomine largement parmi les solutions de bouchage. « Cette année, les présidents de commission ont refusé 120 bouteilles défectueuses », note Jonathan Quique, responsable des relations presse du concours.
Un comité d'experts a dégusté tous les vins rejetés pour trouver leur défaut. « Soixante-huit échantillons étaient marqués par des goûts de bouchon, soit à peine 1,03 % du total, précise-t-il. Les autres refus étaient liés à une seconde fermentation en bouteille ou à d'autres problèmes de nature microbiologique. » En 2009, ce chiffre était de 0,8 %, et il n'avait jamais été inférieur à 1 % avant. C'est le signe que le défaut recule peu à peu. De son côté, James Goode, journaliste britannique, observe les défauts rencontrés lors de l'International Wine Challenge, la plus importante compétition mondiale, où concourent plus de dix mille vins du monde entier. Lors du Lallemand Tour 2009, le journaliste a fait part de ses constats. Il a indiqué que sur les 6 % des vins rejetés par les dégustateurs en 2009, 30 % l'étaient à cause d'un goût de moisi-bouchon. On peut donc estimer que ce défaut n'a touché que 2 % des vins présentés au concours. « Ce problème tend vraiment à diminuer », considère Jamie Goode.
Le Point de vue de
Géraud-Pierre Aussendou, directeur qualité de la Maison Bouchard Père et Fils, à Beaune (Côte-d'Or)
« Fidèles au liège, en prenant beaucoup de garanties »
« Nous sommes fidèles au liège, car c'est un matériau noble qui a toujours répondu à nos attentes. Nous contrôlons les bouchons depuis plus de vingt ans.
Nous testons d'abord les échantillons que nous envoient les fournisseurs. Puis, à réception des commandes, nous faisons un lot pour chaque appellation de vins à embouteiller. Nous prélevons vingt bouchons sur chaque lot. Nous les coupons et « sniffons » le cœur du liège. Cela permet aussi de vérifier l'homogénéité de la structure. Si nous percevons une odeur de moisi, nous prélevons vingt autres bouchons sur le lot. Nous envoyons le tout à un laboratoire qui fait macérer les bouchons et analyse les TCA par chromatographie. Les niveaux de TCA mesurés sont en nette baisse. En même temps, nos cahiers des charges sont de plus en plus restrictifs. Nous exigeons désormais que nos fournisseurs nous garantissent que chaque bouchon présente un risque strictement inférieur à 0,5 ng/l de TCA. Avant, le seuil était fixé à 4 ng/l. Le niveau moyen de TCA a baissé, c'est vrai. Mais les accidents arrivent toujours, car le liège est un matériau hétérogène. On ne pourra arriver au risque zéro sur le liège naturel que lorsque l'on pourra analyser le risque TCA dans chaque bouchon individuellement. C'est un nouveau challenge pour les bouchonniers. »
Le Point de vue de
Xavier Ranc, directeur technique de la cave Bandol La Roque, à la Cadière-d'Azur (Var)
« Aucun faux goût avec le synthétique »
« Nous avons eu de gros problèmes de goûts de bouchons avec du liège, il y a quelques années. Il y a deux ou trois ans, nous avons donc opté pour le synthétique sur 60 à 70 % de nos volumes, à savoir sur environ 800 000 cols de blancs et rosés. Nous voulions un maintien optimal des qualités organoleptiques de ces vins, avec une bonne fraîcheur des arômes. Le synthétique nous permet aussi de maintenir des teneurs correctes en SO2 libre. Nous utilisons un haut de gamme de Nomacorc. Depuis que nous l'avons choisi, nous n'avons eu aucun retour négatif : aucun client ne nous a signalé de faux goûts, ni de problème esthétique.
Nous sommes donc satisfaits. Ce bouchon nous coûte plus cher que certains lièges, par exemple les techniques. Malgré cela et même si les goûts de bouchon sont devenus rares avec le liège, nous ne souhaitons pas revenir au liège sur les gammes bouchées au synthétique.
Seuls nos rouges et certains rosés haut de gamme restent bouchés avec du liège. Mais c'est seulement par rapport à l'approche du consommateur, et non pour la qualité. Pour éviter les problèmes, nous avons des cahiers des charges de plus en plus exigeants pour tous nos bouchons. Nous faisons contrôler les synthétiques par l'ICV. Dès qu'ils présentent le moindre défaut, le fournisseur les reprend. »