Quel est le rôle de l'eau ?
C'est un constituant essentiel des cellules. Elle hydrate les tissus. « Elle intervient dans la photosynthèse, qui fournit son énergie à la plante, et dans celui de la transpiration, qui lui permet de réguler sa température », rappelle Cornelis Van Leeuwen, de l'Enta de Bordeaux, en Gironde. L'eau, principal composant de la sève, assure aussi la circulation des éléments nutritifs indispensables au fonctionnement des différents organes. Elle est absorbée par les racines et rejetée par les feuilles au niveau des stomates, lors de la transpiration.
De quelles réserves la vigne dispose-t-elle ?
La quantité d'eau que la vigne peut puiser dans le sol dépend des pluies, mais aussi de l'aptitude du sol à les stocker. « La réserve utile des sols viticoles varie entre 50 et 350 mm, et se situe le plus souvent autour de 200 mm », précise Cornelis Van Leeuwen. Cette réserve se remplit et se vide en fonction du climat. Elle est d'autant plus grande que la vigne est enracinée dans un volume de terre important et qu'elle a développé d'abondantes radicelles. « Seules les radicelles émises dans l'année absorbent l'eau, les racines plus âgées n'ont qu'un rôle de transport », relève Emmanuel Rouchaud, de la chambre d'agriculture de l'Aude.
Quels sont ses besoins au cours du cycle ?
Sur l'ensemble du cycle, la vigne consomme 350 à 500 mm d'eau. « Elle en a besoin dès le débourrement, pour assurer la croissance des rameaux et des radicelles », explique Hernan Ojeda, de l'Inra de Pech Rouge, dans l'Aude. Les besoins augmentent ensuite avec le développement de la surface foliaire et la montée des températures, qui accroît l'évapotranspiration. Entre la floraison et la véraison, ils sont à leur maximum.
Après la véraison, la croissance végétative s'arrête. Les besoins en eau baissent. Mais celle-ci reste nécessaire pour assurer le bon fonctionnement de la photosynthèse jusqu'à la fin de la maturation.
Après la récolte, la vigne a besoin d'un feuillage en état pour reconstituer ses réserves. « Une sécheresse marquée provoquant une chute précoce des feuilles peut entraîner une mortalité des bois durant l'hiver suivant. Cela s'est produit en 2003 », rappelle Emmanuel Rouchaud.
Quelle est la période critique pour le rendement ?
Elle se situe entre la fin de la floraison et le début de la véraison. Si les besoins en eau ne sont pas couverts juste après la floraison, le taux de nouaison peut être diminué. Après la nouaison, le manque d'eau réduit la croissance des cellules qui conditionne la taille des baies. A la véraison, cette taille est déterminée. L'alimentation en eau jusqu'à la récolte conditionne leur remplissage plus ou moins complet. « Le potentiel de rendement ne peut plus augmenter, mais en revanche, il peut diminuer si le manque d'eau entraîne un flétrissement des baies », précise Jean-Christophe Payan, de l'IFV Rhône Méditerranée.
Et pour la qualité ?
Selon des recherches récentes, les moins bons millésimes à Bordeaux lors de ces trente dernières années ont été les millésimes les plus arrosés et non les plus frais. L'explication est simple : si les besoins en eau de la vigne sont complètement couverts après véraison, elle donne des vins herbacés, dilués et acides. En dehors de la production de moûts concentrés ou de jus de raisin, c'est une situation à éviter !
Pour les autres types de productions, une contrainte hydrique modérée est nécessaire. En clair, la vigne doit manquer d'eau. « Le niveau de contrainte hydrique souhaitable dépend du profil de vin recherché », explique Hernan Ojeda. « Si cette contrainte démarre un peu avant véraison, elle permet de réduire la taille des baies. Elle favorise ensuite l'arrêt de la croissance végétative et l'accumulation de sucres et de polyphénols dans les baies. Cela contribue à la qualité des vins rouges », souligne Cornelis Van Leeuwen.
A l'inverse, si la contrainte hydrique devient trop sévère, elle peut conduire à un blocage de la maturation et à une perte de qualité. Pour économiser l'eau, la plante ferme alors ses stomates, ce qui stoppe la photosynthèse. « Sur les cépages blancs, la contrainte hydrique doit être plus modérée que pour les rouges. Trop forte, elle nuirait à l'élaboration des arômes comme les thiols. C'est la même chose pour les rouges fruités ou les rosés. Pour les rouges concentrés, la contrainte hydrique pourra être plus forte, mais là encore avec une limite, si on veut éviter d'obtenir des tanins trop durs », ajoute Hernan Ojeda.
Comment évaluer l'alimentation en eau ?
La méthode de référence reste la mesure du potentiel foliaire de base et du potentiel tige au moyen d'une chambre à pression. Elle permet de caractériser l'intensité de la contrainte hydrique que subit la vigne. Mais elle est difficile à mettre en œuvre pour piloter l'irrigation de la parcelle au quotidien.
La méthode du bilan hydrique proposée par l'IFV et l'Inra s'appuie sur des données climatiques pour une zone donnée. « Complétée par une observation de la croissance des apex, cette méthode permet de décider du déclenchement de l'irrigation », précise Jean-Christophe Payan. Le suivi des mouvements de l'eau dans le sol par des tensiomètres ou des sondes peut aussi être utilisé dans ce but, « à condition de bien positionner les appareils par rapport aux racines », relève Emmanuel Rouchaud.
Comment agir sur la contrainte hydrique ?
Cela commence à la plantation. Mieux vaut éviter les sols à trop faible réserve utile dans un climat sec, et les privilégier au contraire dans un climat plus humide. Des porte-greffes vigoureux comme le R 110 ou le R 140 assurent un meilleur enracinement dans un climat sec, alors que le Riparia gloire convient mieux aux climats plus humides. Les cépages comme le cinsaut ou le carignan s'adaptent mieux que le grenache ou la syrah à la sécheresse. La densité et le mode de conduite interviennent également. Le gobelet, avec un tronc court et une surface foliaire réduite, s'adapte bien en climat sec et ce d'autant plus qu'il est planté à une faible densité pour limiter la concurrence entre les ceps. Une fois la plantation réalisée, les moyens d'action se réduisent. Au cours du cycle, lorsque l'eau manque, réduire la surface foliaire ou faire tomber des grappes peuvent aider à rétablir un équilibre plus satisfaisant pour mener à bien la maturation. Mais cela suffit rarement. L'irrigation offre alors une solution pour moduler la contrainte.
Qu'apporte l'irrigation ?
Lorsque l'eau est un facteur limitant, l'irrigation permet d'augmenter le rendement, mais uniquement jusqu'à la véraison. « Après, elle n'agit que sur la qualité », souligne Emmanuel Rouchaud. Pour l'instant, elle n'est pas autorisée à cette période. Mais elle permettrait d'éviter les blocages de maturation et donc, d'améliorer la concentration en sucres et en acidité. L'irrigation peut diluer un peu la couleur, ce qui ne pose pas de problèmes pour les rosés ou les rouges légers. « L'essentiel est de bien piloter les apports en fonction de ses objectifs, et d'adopter un itinéraire cohérent à la vigne et à la cave. L'eau n'est qu'un des facteurs parmi de nombreux autres qui agissent sur le profil gustatif des vins », rappelle Jean-Christophe Payan.
Raisonner en terme de contrainte hydrique selon le profil de vin souhaité
Ces besoins varient au cours du cycle végétatif. Pour assurer le rendement, la vigne ne doit pas manquer d'eau en début de saison. Pour donner des vins de qualité, elle doit subir un manque après la véraison dont l'importance dépend du style de vin recherché.
Les indicateurs visuels
APEX BIEN AU-DESSUS DES FEUILLES Vigne en pleine croissance : pas de contrainte hydrique. PHOTOS : B. RODRIGUEZ LOVELLE, W. TRAMBOUZE et O. JACQUET
APEX À LA HAUTEUR DES PLUS JEUNES FEUILLES Signe d'une contrainte hydrique légère à modérée. PHOTOS : B. RODRIGUEZ LOVELLE, W. TRAMBOUZE et O. JACQUET
APEX DESSÉCHÉ OU TOMBÉ Une contrainte hydrique modérée à forte s'est installée. PHOTOS : B. RODRIGUEZ LOVELLE, W. TRAMBOUZE et O. JACQUET