OBSERVATION Luc Bauer, (à gauche) et Romain Le Guillou, (à droite) examinent une parcelle de gamay que Yannick De Vermont (au centre) veut convertir en bio. Les deux techniciens l'avertissent qu'il sera difficile de passer au travail du sol, parce que la parcelle est en dévers et que les ceps sont vieux. © C. STEF
Mardi 11 mai, Luc Bauer et Romain Le Guillou m'emmènent au château de Grandmont, à Blacé, (Rhône). Dans leur sacoche, leur diagnostic du projet de conversion de Grandmont en bio. Luc Bauer est chargé de mission à l'Ardab, l'association des producteurs bio du Rhône et de la Loire. Romain Le Guillou occupe un poste équivalent à la chambre d'agriculture du Rhône. Tous deux étudient la faisabilité des projets des viticulteurs pour les informer des changements et des coûts du passage au bio.
Bien équipé pour le travail du sol
Ils étaient déjà venus au château le 15 avril. Yannick De Vermont, le régisseur, leur avait fait visiter les lieux. Ils avaient pris des notes. Aujourd'hui, ils reviennent pour rendre leurs conseils et leurs observations. « Vous disposez de deux enjambeurs. C'est un atout, relèvent les auditeurs. Vous pourrez en dédier un au travail du sol et l'autre aux traitements. » En revanche, le pulvérisateur est un canon oscillant. « Ce n'est pas l'idéal pour la localisation des traitements. Il faudra bien le régler et effectuer régulièrement des tests avec des papiers hydrosensibles », conseille Romain Le Guillou. « A l'avenir, il est possible que j'investisse dans un matériel plus adapté », répond Yannick De Vermont.
Pour le travail du sol, le vigneron possède déjà ce qu'il faut : un intercep mécanique pourvu de lames, un butoir, un débutoir (cavaillonneuse et décavailloneuse) et des rasettes. De plus, il envisage de s'équiper d'interceps hydrauliques, pour un investissement de 6 000 à 10 000 euros HT.
Un danger : la baisse des rendements
Romain Le Guillou aborde ensuite « la plus grande difficulté technique » : la fertilisation et l'entretien des sols. Il souligne que les sols sont plutôt sableux et pauvres en matière organique, situation aggravée par la présence, entre tous les rangs, d'un enherbement très concurrentiel à base de fétuque. De ce fait, les rendements de l'exploitation sont bas. Il ne faudrait pas que l'introduction du travail du sol sous le rang les fasse descendre sous le seuil de rentabilité qui est de trente-cinq hectolitres par hectare. Pour ça, Romain Le Guillou conseille de remonter le taux de matière organique en apportant, par exemple, du compost de fumier de bovins. Il conseille aussi de réduire la bande enherbée, voire de la détruire, puis de la remplacer par du pâturin.
Ensuite, il passe à la lutte contre les maladies et les ravageurs. Sur ce point, Yannick De Vermont ne devrait pas rencontrer trop de difficultés. Seul le black-rot l'inquiète. Aucun produit utilisable en bio n'est efficace contre cette maladie. Romain Le Guillou ne peut que lui recommander de sortir les grappes touchées par la maladie des parcelles une fois les vendanges terminées.
L'embauche d'un salarié est nécessaire
Pour finir, nos deux techniciens présentent les comptes. Luc Bauer explique qu'il y aura une augmentation des charges due au travail du sol, mais une baisse du poste intrants. Il évalue le surcoût à 380 €/ha et par an dans les parcelles plantées de 10 000 pieds/ha et à 48 €/ha et par an dans les vignes à 2 m et à 5 500 pieds/ha. Ces chiffres incluent les frais fixes de mécanisation (investissement, amortissement, entretien du matériel) et les charges opérationnelles (main-d'œuvre, fuel, produits phyto). Mais surtout, il annonce une augmentation des temps de travaux de 15 heures/ha dans les vignes à 10 000 pieds et de 10 heures/ha dans celles à 5 500 pieds. L'exploitation compte huit hectares de beaujolais village, un de beaujolais et 1,5 de morgon. « Il faudra embaucher un salarié », précise Luc Bauer.
Pas une grande amélioration des marges
« Si l'on prend en compte une baisse de rendement de 10 %, et une augmentation du prix moyen de la bouteille de 30 %, on arrive à une augmentation du chiffre d'affaire de l'ordre de 26 000 euros par an », poursuit Luc Bauer. « Cela servira juste à rémunérer le salarié supplémentaire », remarque Yannick De Vermont. Bref le passage au bio n'améliorera pas beaucoup les marges. « Ce n'est pas une surprise. Je pensais même que les coûts seraient plus importants », ajoute-il.
Juste avant cette restitution en salle, nous avions visité les parcelles situées à Villié-Morgon que le domaine a acquises l'an passé et que Luc Bauer et Romain Le Guillou n'avaient pas pu voir lors de leur première visite. En chemin, Yannick De Vermont m'a expliqué sa démarche. « Dès mon embauche, le propriétaire m'a fait part de son souhait de convertir le domaine en bio. Sur le moment, je suis resté très prudent. Puis, j'ai rencontré des producteurs bio. Je me suis rendu compte que j'avais déjà un peu travaillé dans cet esprit en pratiquant le travail du sol. J'ai décidé de franchir le pas. Mais je vais le faire de manière très progressive. Cette année, je vais convertir une parcelle de blanc de 50 ares que je viens de planter. A partir de l'an prochain, je vais convertir les parcelles de gamay. J'ai jusqu'à 2016 pour passer tout le vignoble en bio. » Arrivés à Villié-Morgon (Rhône), Yannick De Vermont nous expose ses soucis : « Ces parcelles sont éloignées du domaine. Si je les convertis, il faudra que je trouve quelqu'un pour faire le travail du sol. »
Pour passer au travail du sol, il faudra aussi reformer les souches, car il n'y a que des vieilles vignes conduites en gobelet. Sur la première parcelle que nous visitons, Romain Le Guillou et Luc Bauer constatent que « les ceps sont âgés et très bas. Il y a beaucoup de dévers. Le travail du sol semble difficile à mettre en œuvre. »
Sur une autre parcelle, l'introduction du travail du sol paraît possible, car le terrain est moins pentu. Puis, les techniciens soulignent un détail : « Votre parcelle est contiguë à celle du voisin, ce qui risque de poser des problèmes de contamination. Il va falloir arracher les rangs de bordure ou demander au voisin s'il accepte que vous traitiez ses premiers rangs. » Encore un détail à régler pour être bio !
Des coûts variables selon les régions
Plusieurs organismes font des diagnostics de conversion à la viticulture bio. Ces diagnostics peuvent se substituer à l'étude de débouchés demandée aux exploitants qui veulent des aides « MAE conversion ». En Beaujolais, l'Ardab et la chambre d'agriculture en ont déjà fait une vingtaine cette année. Deux techniciens font un tour des parcelles et s'entretiennent avec le viticulteur pendant une demi-journée. Puis, ils viennent rendre leurs conclusions durant deux heures. La région Rhône-Alpes subventionne l'opération dont le coût n'est que de 80 € TTC pour les exploitations de moins de 15 ha, de 100 € pour les moins de 50 ha et de 150 € pour les autres. La chambre d'agriculture de Gironde et les Civam proposent aussi des diagnostics dans le cadre du contrat d'accompagnement vers la conversion en bio. La région Aquitaine les finance à hauteur de 50 %, avec un plafond éligible de 500 €. Le conseil général des Landes, de la Gironde et des Pyrénées-Atlantiques le cofinance à hauteur de 30 %.
Et le GABB Anjou réalise des diagnostics gratuits depuis l'an passé.