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Magazine - Etranger

Cambodge : Le premier vin khmer

Thierry Joly - La vigne - n°221 - juin 2010 - page 88

Chan Thai Chhoeung, le premier vigneron du Cambodge, produit des vins honorables en dépit du climat et de faibles moyens. Depuis que le roi et le Premier ministre du pays les ont goûtés et appréciés, il voit l'avenir en grand et rêve d'exportation.
LENG CHANTHOL, nous présente le vin produit par son mari, le seul viticulteur du Cambodge. Cette cuvée s'appelle Prasat Phnom Banon, en référence à un temple située à proximité.

LENG CHANTHOL, nous présente le vin produit par son mari, le seul viticulteur du Cambodge. Cette cuvée s'appelle Prasat Phnom Banon, en référence à un temple située à proximité.

UN FILET protège les grappes des oiseaux qui viennent les dévorer lorsqu'elles arrivent à maturité.

UN FILET protège les grappes des oiseaux qui viennent les dévorer lorsqu'elles arrivent à maturité.

UNE SALARIÉE porte de l'eau pour arroser les jeunes vignes plantées en remplacement des manquants.

UNE SALARIÉE porte de l'eau pour arroser les jeunes vignes plantées en remplacement des manquants.

LE VIN EST LOGÉ dans ces cuves, le temps qu'il se clarifie. Tout le matériel de cave est à leur image : de bric et de broc. Il n'y a même pas de climatisation. © PHOTOS T. JOLY

LE VIN EST LOGÉ dans ces cuves, le temps qu'il se clarifie. Tout le matériel de cave est à leur image : de bric et de broc. Il n'y a même pas de climatisation. © PHOTOS T. JOLY

CHAN THAI CHHOEUNG contrôle l'état sanitaire de ses vignes. Il emploie quatre salariés, mais il se charge lui-même des tâches délicates.

CHAN THAI CHHOEUNG contrôle l'état sanitaire de ses vignes. Il emploie quatre salariés, mais il se charge lui-même des tâches délicates.

Inutile d'en chercher un autre, Chan Thai Chhoeung est le seul vigneron du Cambodge. Mais, voyant son succès, plusieurs de ses voisins se lancent dans la viticulture avec l'idée de lui vendre des raisins. Le signe qu'une petite filière viticole devrait voir le jour dans ce pays, comme en Thaïlande ou au Vietnam. Riziculteur et producteur d'oranges à l'origine, Chan Thai Chhoeung est devenu vigneron en deux étapes, toujours avec le dessein de se diversifier et d'améliorer ses revenus. En 2000, il a planté du raisin de table. Puis, en 2004, lorsque les importations de Thaïlande ont fait chuter les prix, il a décidé de se lancer dans la vinification. « J'ai été séduit par l'aspect festif qui va avec le vin », avoue-t-il. Autodidacte, il a appris la culture et la vinification en lisant des livres et en visitant des exploitations viticoles thaïlandaises.

Situé près de Battambang, la seconde ville du Cambodge située à 290 km au nord-ouest de Phnom Penh, son domaine compte 2,5 ha de vignes sur une demi-douzaine de parcelles. Plantées à 4 000 pieds/ha, elles sont encépagées en syrah, en cabernet-sauvignon, en kyoho, en black queen et en black opal. Des cépages qu'il a acquis en Thaïlande ou qui lui ont été envoyés de France. Il a aussi tenté de planter du chenin blanc, mais il n'a pas survécu au climat local.

Mouches et oiseaux s'attaquent aux raisins

A Battambang, l'année comprend deux saisons : une saison sèche de mi-novembre à mai et une saison des pluies le reste de l'année. C'est alors que survient le principal problème sanitaire, avec des mouches qui pondent des vers dans les raisins. Un ou plusieurs traitements sont nécessaires pour les combattre. « Il faut aussi protéger les grappes avec un filet lorsqu'elles approchent de la maturité car sinon les oiseaux les dévorent. »

Durant la saison sèche, les vignes doivent être irriguées au goutte-à-goutte, car il n'y pas la moindre pluie pendant des mois. En revanche, ce climat permet une croissance rapide des pieds et autorise deux récoltes par an - en janvier et en février, puis en juillet – voire trois pour les raisins de table. « La récolte du début d'année donne les meilleurs raisins car, en décembre et janvier, les températures sont moins élevées, autour de 25 °C, et les nuits plus fraîches. » Celà dit, il fait rarement moins de 18 °C, car le domaine est situé en plaine.

Afin de rentrer les raisins les plus frais possibles, les vendanges ont toujours lieu très tôt le matin. Elles sont entièrement manuelles, comme tous les travaux dans les vignes. Chan Thai Chhoeung recrute des voisins pour donner un coup de main aux quatre salariés qu'il emploie à temps partiel. Cependant, comme ils sont peu qualifiés, il exécute lui-même les tâches les plus délicates comme la taille.

Après pressurage, la récolte est mise à fermenter dans des bidons en plastique placés dans des bacs remplis de sable humidifié. Faute de moyens de refroidissement, c'est la solution trouvée par Chan Tai Chhoeung pour maintenir la température en dessous de 30 °C. « Dans le village, nous n'avons pas d'alimentation électrique, c'est un gros handicap », déplore-t-il.

Débrouillard et ambitieux

Autre handicap : la difficulté à s'approvisionner en fournitures et en matières sèches. Mais Chan Tai Chhoeung a de la ressource. Le pH-mètre vient de France. La pompe, la filtreuse et les levures viennent du Canada. Les bouteilles sont achetées en Thaïlande à une entreprise qui les importe de France. Les bouchons sont importés d'Italie… Seules les étiquettes sont fabriquées localement par un imprimeur de Battambang.

Après vingt-cinq jours, le vin est soutiré dans des cuves en inox. Le rosé y reste le temps de se clarifier. Le rouge, assemblage à parts égales de syrah et de cabernet-sauvignon, reste quatre à six mois au contact de copeaux de bois.

La production avoisine les 10 000 bouteilles par an, 5 000 de rosé et 5 000 de rouge. Notre viticulteur transforme le reste de la récolte en jus de raisin et en brandy. Compte tenu des difficultés, les coûts de revient ne sont guère compétitifs. Et les vins affichent des prix de vente élevés : 6 $ la bouteille de rosé, 15 $ celle de rouge à la cave.

Ce handicap est compensé par le dynamisme et le sens du marketing de Leng Chanthol, l'épouse du viticulteur. Son coup de maître, c'est d'avoir fait goûter le vin de son mari au roi et au Premier ministre du pays qui l'ont apprécié. Depuis, le couple est invité gratuitement sur des salons et il bénéficie d'une exonération de taxes de la part du gouverneur de la province.

Mais surtout, les nouveaux riches cambodgiens veulent goûter ces vins qui ont plu au roi, d'ailleurs 20 % des bouteilles sont ainsi vendues à la propriété. Le reste est écoulé auprès de supermarchés de Phnom Penh et de Siem Reap, la ville située aux portes du site archéologique d'Angkor. « Nous n'avons pas assez de vin pour nous attaquer à la restauration, estime Leng Chanthol, qui aimerait bien accroître la production. Nous avons du terrain, mais nous manquons de moyens pour investir, car il faut installer un réservoir d'eau, le goutte-à-goutte et acheter les plants. » D'où l'idée d'acheter des raisins à des voisins. « Par ailleurs, nous souffrons de la concurrence de sociétés étrangères qui peuvent se permettre de faire de la publicité par affichage et même des jeux promotionnels à la télévision », ajoute-t-elle.

Une urgence : climatiser

Aucune de ces difficultés n'empêche l'énergique brin de femme de penser à exporter. Mais elle a encore du chemin à parcourir. Pour preuve, les touristes étrangers amenés par les chauffeurs de taxi et les guides achètent peu en raison du prix. De plus, le vin rouge est d'assez bonne qualité, mais faute d'être conservé à bonne température, il vieillit vite. Climatiser le chai sera donc indispensable, comme planter des cépages adaptés à la production de blanc et de rosé.

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