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VIN

Quand les vins rouges vieillissent prématurément

Marine Balue - La vigne - n°222 - juillet 2010 - page 50

Pour la première fois, des chercheurs bordelais ont mis en évidence une molécule caractéristique des vins rouges vieillis précocement : la MND.
ÉVOLUTION DU VIN EN BOUTEILLE Les vins rouges de garde sont aptes à se bonifier au cours du temps. Mais certains présentent très tôt des notes de pruneau, d'anis ou de figue sèche. C'est le signe qu'ils ont évolué trop vite. © PH!. ROY

ÉVOLUTION DU VIN EN BOUTEILLE Les vins rouges de garde sont aptes à se bonifier au cours du temps. Mais certains présentent très tôt des notes de pruneau, d'anis ou de figue sèche. C'est le signe qu'ils ont évolué trop vite. © PH!. ROY

L'oxydation prématurée a longtemps été considérée comme un défaut des vins blancs. Mais il n'est pas rare que les vins rouges, eux aussi, vieillissent trop vite. Un problème de taille pour les vins dits « de longue garde ». Alors qu'ils sont encore jeunes, ces vins défectueux développent des notes de pruneau, de fruits cuits, ou encore des nuances anisées et de figue. Ces odeurs, plutôt caractéristiques des vieux vins rouges, finissent par masquer les autres arômes.

Des notes de pruneau, de fruits cuits et de compote de pomme

En 2009, l'Institut de la vigne et du vin et la faculté d'œnologie de Bordeaux ont publié les premiers résultats d'études sur le vieillissement prématuré des vins rouges. « Nous avons identifié les molécules aromatiques caractéristiques de ce type de vieillissement », explique Alexandre Pons, membre de l'équipe.

Tout d'abord, les chercheurs ont analysé une vingtaine de vins rouges. Ceux-ci étaient issus d'appellations bordelaises ou espagnoles, de millésimes récents. Tous les vins, sauf quatre, présentaient des notes de pruneau. Par des techniques d'analyse sophistiquées, les chercheurs ont étudié l'odeur des vins défectueux. Ils ont montré qu'elle se compose de trois « zones odorantes » : la première sent le pruneau, la deuxième rappelle les fruits cuits et la compote de pomme et la troisième les fruits cuits. Puis ils ont identifié la molécule responsable de chacune de ces trois odeurs.

La première de ces substances est la 3-méthyl-2,4-nonanedione, plus simplement nommée la MND. Son odeur va du pruneau au menthol ou à l'anis, selon sa concentration dans le vin. Pour l'identifier, les chercheurs ont eu recours à des analyses très fines. « C'est un vrai composé d'impact, souligne Alexandre Pons. Spécifique des rouges, elle est très souvent perceptible dans les vins au vieillissement défectueux. »

La deuxième zone odorante est due à la ß-damascenone. Pour préciser le rôle de cette substance dans le vieillissement prématuré, les chercheurs l'ont mesurée dans l'arôme de vins vieux. Ils l'ont dosée dans dix vins de Bordeaux des millésimes 1967 à 1984. Puis ils ont demandé à dix dégustateurs d'évaluer l'intensité de l'arôme de pruneau de ces vins. Aucune relation directe n'est apparue entre la concentration en ß-damascenone dans les vins et leur évolution oxydative. Cette substance à l'odeur de compote de pomme, n'est donc pas un marqueur du vieillissement normal ni prématuré. Tout au plus pourrait-elle intervenir en synergie avec d'autres molécules pour conduire aux notes de pruneau.

La surmaturation, un facteur favorisant

La troisième zone odorante correspond à la ϒ-nonalactone. Selon sa teneur, elle a une odeur de fruits cuits, de pêche ou de noix de coco. Pour préciser son rôle, le jury a dégusté neuf vins de Bordeaux. Un saintémilion dont le profil n'était pas du tout « évolué » a servi de témoin. Un des vins a été volontairement oxydé dans une cuve en vidange pendant plusieurs mois.

Le témoin contient le moins de ϒ-nonalactone. A l'opposé, le vin oxydé en renferme le plus. C'est d'ailleurs le seul où la molécule est nettement perceptible. Mais dans les vins produits en conditions normales, « les teneurs en ϒ-nonalactone atteignent très rarement le seuil de perception », indique Valérie Lavigne-Cruege, chercheuse rattachée à la faculté d'œnologie de Bordeaux. De plus, l'intensité de l'arôme de pruneau ne dépend pas de la concentration de cette molécule. Elle semble donc secondaire dans l'oxydation prématurée.

Que faire pour limiter ce phénomène dans les rouges ? Pour l'instant, les chercheurs ont peu de conseils à donner, hormis les règles habituelles de protection contre l'oxydation. Valérie Lavigne-Cruege note que « la présence de la ϒ-nonalactone est influencée par les conditions d'élevage oxydatives, en barriques par exemple, et par la surmaturation des raisins ».

De nouveaux travaux visent à déterminer les causes de la formation de MND. Cela permettra peut-être de donner des conseils plus précis et de juger davantage l'aptitude des vins rouges à vieillir.

Le sotolon, ennemi des vins blancs secs

L'étude du vieillissement prématuré des vins blancs secs a débuté il y a environ dix ans. Ce défaut se manifeste par l'apparition d'odeurs de miel et de cire (notes d'encaustique). Selon la faculté d'œnologie de Bordeaux, le composé le plus impliqué est le sotolon. Il est associé à des notes très intenses de curry et de miel. Son seuil de perception dans un vin blanc sec est de 7 μg/l. Il est formé à partir de l'acide α-cétobutyrique et de l'éthanal. « Pour prévenir l'oxydation prématurée, il faut limiter la formation d'éthanal », précise Valérie Lavigne-Cruege, chercheuse rattachée à la faculté de Bordeaux. Elle conseille donc de protéger les moûts de l'oxydation et d'éviter l'extraction de composés phénoliques. Ensuite, il faut veiller à ce que la fermentation alcoolique ne soit pas languissante.

Le temps entre les fermentations alcoolique et malolactique doit être le plus court possible, car le vin est fragilisé pendant cette phase. Les conditions d'élevage réductrices sont à privilégier : élevage sur lies, teneur en SO2 suffisante.

Enfin, il faut limiter la dissolution d'oxygène tout au long de la vie du vin, surtout lors de la mise en bouteille. Au vignoble, il faut une alimentation en azote suffisante. Valérie Lavigne-Cruege ajoute que le glutathion, un composé naturellement présent dans les moûts, a un rôle important. « Il suffit d'en maintenir de faibles quantités dans le moût (entre 5 et 10 mg/l) pour le protéger de l'oxydation », indique-t-elle. Mais, pour l'instant, l'ajout de ce produit n'est pas permis.

Le Point de vue de

Jean-Philippe Gervais, directeur du pôle technique du bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne

« Nous savons comment intervenir »

Jean-Philippe Gervais, directeur du pôle technique du bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne © BIVB

Jean-Philippe Gervais, directeur du pôle technique du bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne © BIVB

« L'oxydation prématurée des vins de Bourgogne est de moins en moins fréquente. D'après les observations du suivi aval qualité, elle est en nette diminution. Beaucoup de grands domaines et négoces se sont remis en question et ont travaillé là-dessus.

Désormais, nous savons comment intervenir. Tout d'abord, de gros progrès ont été faits sur le bouchage.

Ceux qui choisissent la capsule à vis ou le bouchon technologique n'ont presque plus de problèmes d'oxydation. En outre, la qualité des bouchons de liège est plus homogène et plus régulière. La gestion du couple O2/ SO2 a apporté une grande marge de progrès. Les audits d'oxygène et la vulgarisation des appareils de mesure d'oxygène dissous et gazeux permettent aux producteurs de cibler les points qui pêchent et de les améliorer.

Par exemple, ils gèrent beaucoup mieux la pénétration d'oxygène dans le vin à la mise en bouteille. Il semble également préférable de ne pas trop protéger les moûts dès le pressoir avec des sulfitages excessifs à la maie, ou trop d'inertage. En cuve, une vigilance accrue est requise, car nous avons de nombreux petits volumes. Il faut bien raisonner les apports de SO2

Aujourd'hui, il reste une question de fond : qu'est-ce qui fait que selon les millésimes, le vin est plus ou moins sensible à l'oxydation, donc plus ou moins apte à vieillir? Des travaux sont initiés, notamment sur le rôle des polyphénols dans la maturité des raisins selon les millésimes. »

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