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Magazine - Etranger

Marsala : A la recherche du temps perdu

Mathilde Hulot - La vigne - n°222 - juillet 2010 - page 80

Située dans la plus grande région viticole de Sicile, l'appellation Marsala a perdu de sa superbe, ses vins oxydés et mutés n'étant plus dans l'air du temps. Quelques producteurs continuent d'entretenir la flamme. D'autres veulent revenir aux vins originels.
LE VIGNOBLE couvre 68 000 ha dont 70 % de raisins blancs. C'est le plus grand d'Italie. Mais seulement 2 200 ha sont consacrés à la production de marsala, le reste est destiné aux vins secs. © MAURITIUS/PHOTONONSTOP

LE VIGNOBLE couvre 68 000 ha dont 70 % de raisins blancs. C'est le plus grand d'Italie. Mais seulement 2 200 ha sont consacrés à la production de marsala, le reste est destiné aux vins secs. © MAURITIUS/PHOTONONSTOP

CANTINA SOZIALE BIRGI. Cette coopérative vinifie 30 0000 t de raisin dont 1 200 t pour le marsala. Elle les achète entre 0,24 et 0,30 €/kg.

CANTINA SOZIALE BIRGI. Cette coopérative vinifie 30 0000 t de raisin dont 1 200 t pour le marsala. Elle les achète entre 0,24 et 0,30 €/kg.

DOMENICO BUFFA (ci-dessus) persiste à produire des marsalas de qualité. A l'appui de son affiche, il explique que les uns se savourent en musique et que les autres accompagnent la méditation.

DOMENICO BUFFA (ci-dessus) persiste à produire des marsalas de qualité. A l'appui de son affiche, il explique que les uns se savourent en musique et que les autres accompagnent la méditation.

LUCIANO PARRINELLO défend la cause des marsalas originels, c'est-à-dire non mutés à l'alcool, comme le faisaient les Siciliens avant l'arrivée des Anglais. © PHOTOS M. HULOT

LUCIANO PARRINELLO défend la cause des marsalas originels, c'est-à-dire non mutés à l'alcool, comme le faisaient les Siciliens avant l'arrivée des Anglais. © PHOTOS M. HULOT

ENTRÉE ET CHAIS DE FLORIO (ci-dessus et à droite). Autrefois puissante, cette entreprise fait appel à la sagacité de ses visiteurs pour rebondir. Elle leur demande comment boire le marsala et quel slogan leur correspondrait.

ENTRÉE ET CHAIS DE FLORIO (ci-dessus et à droite). Autrefois puissante, cette entreprise fait appel à la sagacité de ses visiteurs pour rebondir. Elle leur demande comment boire le marsala et quel slogan leur correspondrait.

ENTRÉE ET CHAIS DE FLORIO (ci-dessus et à droite). Autrefois puissante, cette entreprise fait appel à la sagacité de ses visiteurs pour rebondir. Elle leur demande comment boire le marsala et quel slogan leur correspondrait. © PHOTOS M. HULOT

ENTRÉE ET CHAIS DE FLORIO (ci-dessus et à droite). Autrefois puissante, cette entreprise fait appel à la sagacité de ses visiteurs pour rebondir. Elle leur demande comment boire le marsala et quel slogan leur correspondrait. © PHOTOS M. HULOT

CHEZ DE BARTOLI. Cette cave regorge de trésors, notamment ses vins de grillo, un cépage blanc typique de la région à qui l'oxydation réussit parfaitement.

CHEZ DE BARTOLI. Cette cave regorge de trésors, notamment ses vins de grillo, un cépage blanc typique de la région à qui l'oxydation réussit parfaitement.

Nous sommes à la pointe occidentale de la Sicile, à Marsala. Florio est l'une des entreprises historiques de la région, créée en 1833. Les chais, immenses, sont entièrement restaurés. Ils renferment des rangées infinies d'énormes foudres, contenant jusqu'à 620 hl. La plupart sont vieux. D'autres, plus petits, sont en bois neuf. Tous sont remplis de marsalas doux ou secs.

« Marsala », un nom qui parle peu aujourd'hui, même aux Italiens. Il évoque un vin oxydé et sucré, muté à l'alcool, mais il rappelle surtout la cuisine de grand-mère, le marsala industriel ayant longtemps servi à la confection de mortadelle, de sauces ou de glace. Les Siciliens eux-mêmes trouvent que l'image de leur vin s'est dégradée suite à la production à outrance de « marsala all'uovo », c'est-à-dire à l'œuf.

En 1773, le marchand anglais Woodhouse découvre le marsala après s'être échoué sur la côte. Il décide d'en faire commerce vers l'Angleterre où les portos et xérès sont déjà à la mode. Il y ajoute de l'alcool pour les renforcer. Rapidement, d'autres marchands le suivent. Leurs vins vont alimenter Buckingham Palace et les navires de la Marine royale.

Une centaine de navires pour exporter aux quatre coins du monde

Au début du XXe siècle, pas moins de quarante sociétés produisent du vin. Les « cantine » (caves) sont installés le long des quais. Florio possède une centaine de navires marchands pour expédier ses caisses aux quatre coins du monde. En 1984, le marsala devient une dénomination d'origine contrôlée (Doc). Aujourd'hui, la réalité est bien moins glorieuse.

Plombés par une chute des ventes, les viticulteurs ne savent plus quoi faire de leurs vins mutés. Ils se lancent dans la production de vins secs avec les cépages de base du marsala : le grillo - un blanc - et le nero d'avola - un rouge. Ils les vendent sous la dénomination IGT Sicilia (Indicazione Geografica Tipica). Mais cela ne suffit pas à retrouver le lustre du passé.

Entre Palerme et Marsala, les paysages sont couverts de vignes. Des parcelles abandonnées alternent avec d'autres parfaitement tenues. En ce mois d'avril, la végétation est très en avance sur le vignoble français. Nous sommes dans la province de Trapani qui abrite le plus grand vignoble de Sicile et même d'Italie, avec 68 000 ha dont 70 % de raisins blancs. Les producteurs peuvent faire du marsala dans toute la province, sauf dans la région d'Alcamo. Mais 2 200 ha y seraient consacrés au maximum. Le reste est destiné aux vins secs.

Les vignes sont généralement plantées à 4 000 pieds/ha. Les cépages blancs grillo, catarratto, inzolia et damaschino servent à la production de marsala doré et ambré. Nero d'avola, pignatello, calabrese et nerello mascalese sont cultivés pour la production de marsala rubis.

A la « cantine soziale » de Birgi, l'une des quinze coopératives régionales, la situation est tendue. Forte de mille adhérents possédant 3 500 ha, elle produit 240 000 hl de vin, dont 8 000 hl de marsala. Hormis ces derniers, elles vendent 90 % de sa production en vrac et 10 % en bouteille sous les marques Tria et Birgi.

Les coopérateurs touchent 0,30 €/kg de grillo et 0,24 €/kg de cattarrato. Le vrac se vend 0,50 €/l. La cave mise sur la bouteille. Elle vend son grillo IGT Sicilia 3 €/col prix départ et le nero d'avolla à 4 €/col. « L'économie locale va mal, elle aussi, souligne Giacomo Manzio, 41 ans, œnologue de la cave. Autour de nous, les usines et les artisans ferment. Les gens continuent à acheter des pâtes, mais boivent moins de vin. » Dans la région de Trapani, on comptait une quarantaine de coopératives en 1970. Il n'en reste qu'une dizaine.

Mauvaise connotation

Malgré les difficultés, certains persistent dans la production de marsala de qualité. Domenico Buffa, 41 ans, installé au cœur de la ville, vend tous les ans ses 30 000 bouteilles au nord de l'Italie. Au caveau, il s'efforce d'expliquer les différences entre le « fine », le vin le plus jeune, aux arômes de fleurs sèches (17 % vol alc, 40 g de résiduel), le « superiore ambre », le « superiore riserva oro dolce » et le « vergine » à la robe sombre et aux notes fortes de rancio (19 % vol. alc). Sebastiano de Bartoli, 32 ans, poursuit l'œuvre de son père Marco. Avec 15 ha de cépage grillo, il veut mettre en avant le terroir et faire oublier le mot « marsala » tant la « connotation est mauvaise ». Il préfère mettre en avant « De Bartoli ». Il se bat contre les produits industriels et cherche à montrer le potentiel de la région « avant que les Anglais ne débarquent ». De ce fait, il refuse le mutage à l'alcool popularisé par ces derniers. Sa cave regorge de trésors représentatifs du grillo et qui témoignent d'une rare maîtrise de l'oxydation. Le « Vecchio Samperi », aux arômes de fruits secs et d'amande amère, est un « vino liquoroso secco », non muté, un assemblage qui comprend des vins de 20 ans d'âge.

Luciano Parrinello défend également la cause des marsalas originels. Œnologue à l'Institut de la vigne et du vin de Marsala, il a acheté un « baglio » en ruine, une cave située au cœur du vignoble qui surplombe la mer. Il l'a restaurée pour y faire un hôtel type « Relais et Châteaux ».

Le « père » du Marsala dort dans une cave

Luciano Parrinello propose à la carte de son restaurant un grillo et un nero d'avola à un prix très raisonnable (10 euros la bouteille). Sous la cuverie flambant neuve, des vins surprenant dorment dans des foudres récents.

« Ils viennent de l'île de Mozia, située dans la baie de Marsala, juste en face de la ville. Ils sont issus d'une vendange des années trente. Ils n'ont pas été mutés à l'alcool », explique-t-il. 95 hl aux notes de rancio et de fruits cuits avec un degré naturel de 16,5 %. « Ce vin est le père du marsala », lance-t-il fièrement espérant qu'il donnera le départ à une génération ressourcée.

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