MILDIOU : La maladie se disperse peu
En 2003, des chercheurs suisses avaient fait sensation en affirmant que les spores de mildiou voyagent peu, contrairement à ce que tout le monde pensait jusqu'alors. Peter Magarey, un scientifique australien, confirme leurs observations. Lors du symposium international sur le mildiou et l'oïdium de la vigne début juillet, à Bordeaux, il a précisé les choses. Selon lui, l'immense majorité des taches de mildiou trouve leur origine à quelques mètres de la feuille qu'elles parasitent.
Pour parvenir à cette affirmation, il a inoculé du mildiou au premier cep des trois premiers rangs d'une vigne non traitée, excluant le rang de bordure et se plaçant au bout exposé au vent dominant. Neuf jours plus tard, quantité de taches d'huile sont apparues, issues de ses inoculations. Puis, il a fallu attendre encore six jours pour qu'une petite pluie provoque d'abondantes fructifications de ces taches et les conditions de leur repiquage. Douze jours après cette pluie, une nouvelle génération de taches d'huile est ainsi apparue.
C'est alors que Peter Magarey a fait ses comptages. Sur les trois premiers ceps, toutes les feuilles présentaient au moins une tache. Huit mètres plus loin, seule la moitié des feuilles étaient atteintes. A vingt mètres du point de départ, seulement 12 % des feuilles étaient tachées, et entre 20 et 34 m - le bout de la parcelle - la fréquence des attaques était tombée à 1 %. L'intensité des attaques, c'est-à-dire le nombre de tâche par feuille, chute encore plus rapidement puisqu'on passe de cinquante-quatre taches par feuille sur les ceps de départ ( !) à sept taches par feuilles 4 m plus loin.
De ses observations, Peter Magarey déduit que seule une très faible quantité de spores se disperse à plus de 40 ou 50 mètres. Une forte attaque trouve donc forcément son origine dans la parcelle qui en est victime. Elle ne peut pas être imputée à un voisin qui protégerait mal ses vignes. Si un vigneron a une grosse attaque, c'est que sa protection phytosanitaire a fait défaut.
Un champignon stimule les défenses de la vigne
Trichoderma harzianum est réputé pour avoir un effet antagoniste contre divers pathogènes. Une équipe de chercheurs italiens menée par Michele Perazzolli (Iasma) a étudié la souche T-39 de ce champignon, vendue sous le nom de Tricodex. Ils ont travaillé sur des plants de pinot noir cultivés sous serre qu'ils ont infecté de mildiou. La pulvérisation de T. harzianum sur feuilles stimule leurs défenses naturelles. Les attaques de mildiou diminuent très nettement tout en restant un peu plus fortes que sur les plants traités à l'hydroxyde de cuivre, fongicide utilisé en comparaison. Trichoderma possède un effet systémique. Il n'a pas eu d'effet néfaste sur la croissance de la vigne. Mais les chercheurs soulignent que son efficacité est insuffisante pour qu'on l'utilise en conditions réelles.
Basta, un fongicide polyvalent
Le glufosinate d'ammonium est la matière active de Basta, un herbicide bien connu pour être capable de griller les vignes. Andréas Kortekamp, un chercheur allemand, a montré qu'il a un effet antimildiou, à une dose très faible, non toxique pour la vigne. Pour le prouver, il a pris des plants de riesling cultivés sous serre. Il a prélevé des disques foliaires et les a inoculés avec du mildiou. Un à trois jours après, il les a mis dans des boîtes de Pétri contenant du glufosinate d'ammonium à différentes concentrations. L'herbicide a empêché le mildiou de fructifier. Il est encore plus efficace contre le black-rot et P. expansum, le champignon à l'origine des goûts terreux dans les vins. Andréas Kortekamp s'est également lancé dans des essais au champ. Il a réussi à contrôler le mildiou avec des traitements à faible dose d'herbicide qui n'ont pas affecté la vigne, ni la récolte. A ne pas tester chez soi !
Plusieurs espèces aux Etats-Unis, une seule en Europe
François Delmotte, de l'Inra de Bordeaux, a prélevé des échantillons de mildiou aux Etats-Unis et en Europe. Ses analyses montrent qu'il en existerait quatre espèces aux Etats-Unis, spécifiques de l'espèce de vigne à laquelle elles sont inféodées. En revanche, en Europe, il n'a détecté qu'un seul groupe génétique. Nous n'aurions donc hérité que de l'espèce de mildiou spécifique de Vitis vinifera. Mais cela n'empêche pas la grande variabilité génétique des souches au sein de ce groupe.
OÏDIUM : Des souches agressives, d'autres moins
Il existe deux groupes génétiquement distincts d'oïdium : le A et le B. Le premier ne se reproduit que de manière asexuée. Il se conserve uniquement sous forme de mycélium dans les bourgeons de la vigne et ne produit que des drapeaux. Le second peut se reproduire par croisement sexué. Ce phénomène aboutit à la formation de cléistothèces qui sont des œufs dans lesquels le champignon se conserve durant l'hiver. Mais l'oïdium B peut également hiverner sous la forme de mycélium et former des drapeaux. L'Inra de Bordeaux vient de montrer qu'il est bien plus agressif que le A.
Fin avril 2007, des chercheurs ont prélevé des drapeaux dans trente-deux parcelles du Languedoc-Roussillon. Dans les parcelles où ces symptômes étaient causés uniquement par de l'oïdium A, les grappes étaient saines en septembre. A l'inverse, dans les parcelles où l'oïdium B avait provoqué tous les drapeaux printaniers, au moins 20 % des grappes étaient touchées par la maladie mi-septembre. Il serait donc utile, pour les vignerons du Midi, de savoir, dès le début de la saison, à quel parasite ils ont affaire. Ils pourraient adapter leur stratégie de lutte. Philippe Cartolaro et ses collègues de l'Inra ont également montré que l'oïdium A n'est pas celui qui domine dans le Languedoc-Roussillon. En début de saison, il colonise facilement les jeunes pousses parce qu'il produit beaucoup de spores. En cours de saison, il disparaît au profit du B dont les spores ont une capacité de germination et un pouvoir infectieux supérieur.
A. quisqualis, un mauvais antagoniste
Ampelomyces quisqualis est un champignon parasite de l'oïdium. Mais contrairement à ce dernier, il a besoin d'humidité, ce qui est un facteur limitant pour assurer une lutte biologique effiscace. Des chercheurs italiens de l'équipe d'Ilaria Pertot (Iasma) ont étudié l'efficacité d'une souche d'A. quisqualis vendue dans le commerce : AQ10. Pour faire des comparaisons, ils ont inoculé de l'oïdium à des plants âgés de deux semaines, puis ils les ont traité avec une solution d'AQ10. Ils ont traité d'autres plants avec d'autres micro-organismes (bactéries et levures), avec des substances naturelles (lait, sel de potassium, extraits de plantes…) et avec du soufre. Les résultats montrent une faible efficacité de la souche AQ10, contrairement à une bactérie et à une levure qui ont protégé les jeunes plants aussi bien que le soufre. Il faut donc trouver une souche plus efficace. C'est d'ailleurs le thème d'un projet de recherche européen mené par une autre équipe.
Les résumés des interventions seront disponibles sur le site : https://colloque.inra.fr/gdpm_2010_bordeaux
Un modèle évalue le coût d'une stratégie raisonnée
Pascal Leroy, de l'Inra d'Ivry-sur-Seine (Val de Marne), prépare un modèle bioéconomique qui permettra de choisir la stratégie de lutte contre le mildiou et l'oïdium selon le rendement visé et le climat. Ce modèle ne réalise pas encore de prévisions, mais Pascal Leroy s'en est déjà servi pour comparer la stratégie raisonnée mildium de l'Inra, face à la protection systématique contre le mildiou. Pour cela, il a fait tourner son modèle avec les données climatiques des vingt-et-une années, de 1988 à 2008. Résultat : la protection systématique procure une meilleure marge. Il faudrait payer les fongicides trois à sept fois plus cher pour que les deux stratégies donnent le même résultat. Ou alors, ceux qui appliquent la stratégie mildium devraient vendre leurs raisins 4 à 10 % plus cher. Le coût des observations et les pertes de récolte plombent mildium.
Le Point de vue de
Agnès Calonnec, de l'Inra de Bordeaux, coorganisatrice du symposium avec l'IFV
« Les viticulteurs devront combiner les approches »
LA VIGNE : Le sixième symposium international sur le mildiou et l'oïdium de la vigne a eu lieu à Bordeaux, du 4 au 9 juillet 2010. Pourquoi y a-t-il eu peu de présentations sur la lutte biologique ?
Agnès Calonnec : Lors de cette édition, 98 personnes se sont déplacées. Tous les continents étaient représentés. Effectivement il n'y a pas eu beaucoup de présentations sur la lutte biologique. Pourtant, les chercheurs testent de nombreuses substances : des stimulateurs des défenses naturelles des plantes, des champignons antagonistes… Mais souvent, ils obtiennent des résultats aléatoires ou avec une efficacité partielle. Certains produits ont une efficacité satisfaisante, mais leur mise en œuvre sur le terrain est problématique. Par exemple, dans le lait et le petit-lait, il existe une protéine qui inhibe la germination de l'oïdium. Mais comme il en faut 500 à 2 000 l/ha, le coût est prohibitif.
Quelles sont les nouvelles perspectives de lutte ?
A. C. : Les chercheurs travaillent plus sur des approches globales. Certes, les fongicides seront toujours nécessaires. Mais de plus en plus de travaux sont réalisés sur des stratégies de lutte utilisant le développement et la physiologie de la vigne. L'idée est de faire en sorte que la vigne soit dans des conditions défavorables aux champignons et de maximiser son potentiel de résistance. Les travaux sur la viticulture de précision permettront aussi de mieux connaître les parcelles à risque au sein des exploitations. Des travaux portent également sur la diminution de l'utilisation des fongicides grâce à la réduction des doses ou à l'élaboration de règles de décision comme Pod-mildium. D'autres recherches portent sur la stimulation des défenses naturelles de la vigne et sur la lutte biologique. A l'avenir, les viticulteurs devront combiner les approches.