Le traitement à la bentonite est le seul moyen pour stabiliser les vins blancs et rosés vis-à-vis de la casse protéique, en dehors de l'élevage sur lies. Dans beaucoup de régions, il s'effectue juste avant la mise en bouteille.
Or, « ces dernières années, les doses nécessaires à la stabilisation des vins n'ont pas arrêté d'augmenter. De plus, à ce stade, le traitement enlève une partie des arômes et de la couleur. Sans compter que l'on perd entre 5 et 10 % du volume du vin », regrette François-Xavier Sauvage, ingénieur à l'Inra de Montpellier (Hérault). En traitant les moûts, on évite ces désagréments. « Nous recommandons de procéder ainsi pour les cépages très instables, pour les millésimes où les risques de casse sont élevés et pour les vins qui sont soutirés juste après la fermentation. En revanche, nous le déconseillons pour les vins élevés sur lies, car ces dernières stabilisent les protéines », explique Eric Meistermann, de l'IFV de Colmar.
En Alsace, les viticulteurs privilégient le traitement des moûts, car selon Eric Meistermann : « On dépouille moins les vins. » Mais on a longtemps pratiqué des traitements systématiques. « Nous avons donc voulu développer des outils pour mieux raisonner les ajouts. Nous avons voulu savoir si la bentonite est nécessaire dans toutes les situations et si les tests utilisés pour évaluer la stabilité protéique des vins peuvent être transposés sur moût », poursuit le chercheur. De 2002 à 2006, il a donc piloté un groupe de travail national sur ces sujets (1).
Dans un premier temps, les chercheurs ont mis au point un test de stabilité des moûts. La méthode est simple : après débourbage, on clarifie et on centrifuge le moût, puis on mesure sa turbidité. Ensuite, on le chauffe à 80°C pendant trente minutes. Puis, on le laisse refroidir à température ambiante. Enfin, on mesure à nouveau la turbidité. « Si la différence est inférieure à 50 NTU, on peut considérer que le moût est stable, de même que le vin correspondant. A priori, il n'y a pas besoin de traitement à la bentonite. Mais il faudra quand même s'en assurer après la fermentation », explique Eric Meistermann.
La dose reste dictée par l'expérience
Pour autant, ce test n'est pas parfait. En effet, il peut indiquer qu'un moût est instable alors que le vin correspondant ne l'est pas. On risque donc d'effectuer des traitements inutiles, mais c'est le cas également après les tests sur vin dont certains révèlent une instabilité qui, dans les faits, ne se confirme pas même après plusieurs semaines de conservation à 35°C.
Dans un second temps, les chercheurs ont comparé l'effet d'une même dose sur moût et sur vin, utilisant la bentonite Electra. Les résultats montrent que sur vin « dès 50 à 60 g/hl de bentonite, le traitement provoque une perte d'arômes et une diminution de la structure en bouche, prévient Eric Meistermann, de l'IFV de Colmar (Haut-Rhin). Les traitements sur moût avant et en cours de fermentation n'ont, en revanche, pas d'impact sur la qualité du vin. »
De plus, les doses efficaces sur les moûts sont bien plus faibles que sur les vins. « Si après la fermentation alcoolique, il faut 60 g/hl pour stabiliser un vin, en cours de fermentation, le tiers peut suffire », indique Eric Meistermann. Comment déterminer la bonne dose à employer sur moût ? Pour l'instant, aucune règle ne permet d'apporter la réponse à cette question très pratique. « Nous avons essayé d'en établir une, mais les résultats sont aléatoires. La détermination de la dose sur moût reste donc basée sur l'expérience du vinificateur ou du laboratoire d'œnologie », reconnaît le chercheur.
A réaliser par saupoudrage au début de la fermentation
De son côté, François-Xavier Sauvage a voulu voir si le traitement des moûts a une incidence sur le déroulement des fermentations. En 2009, il a fait des essais d'apport de bentonite Electra sur des moûts de sauvignon lors du levurage, à un quart de la fermentation, à la moitié et à la fin. Il a testé deux doses : 40 et 80 g/hl. « Le fait d'ajouter de la bentonite n'a pas d'effet néfaste sur la vitesse de fermentation. Il ne provoque pas de retard. Il y a même une légère accélération, notamment pour les fermentations languissantes », note l'ingénieur.
Autre observation : « Plus la bentonite est mise tôt, plus le traitement est efficace. Ce constat est d'autant plus vrai que la dose de bentonite est élevée ». Pour l'IFV « l'idéal est de saupoudrer la bentonite sur moût, sans gonflement préalable, au cours d'un remontage à la pompe, au début de la fermentation alcoolique. » L'argile retardant la sédimentation, il ne faut pas l'ajouter avant le débourbage.
Cette année, François-Xavier Sauvage va poursuivre ses travaux en s'intéressant à d'autres cépages que le sauvignon blanc. Et il fera des analyses sensorielles des vins issus de moûts traités, pour bien vérifier qu'il n'y a pas d'impact négatif.
(1) Ce groupe de travail comprend l'IFV de Nantes, Bordeaux, Tours, Gaillac, Nîmes, Alsace et Narbonne, l'ICV, la chambre d'agriculture de Gironde et l'Inra de Montpellier.
Le Point de vue de
Francis Klee, œnologue, maison Kuehn, producteur-négociant à Ammerschwihr (Haut-Rhin)
« Nous raisonnons selon le cépage et le terroir »
« Nous vinifions environ 2 500 hl et produisons autour de 300 000 bouteilles.
Nous traitons les moûts à la bentonite depuis toujours. Jusque dans les années quatre-vingt-dix, nous le réalisions systématiquement sur tous les cépages à des doses comprises entre 80 et 100 g/hl de bentonite. En 93 et 94, nous nous sommes rapprochés des instituts techniques et des laboratoires départementaux. Grâce à leurs travaux, nous avons pu voir que le traitement était inutile dans plusieurs situations. Désormais, nous ne traitons que les moûts issus de cépages et de terroirs sensibles. Pour le riesling, qui est peu sensible à la casse protéique, nous n'effectuons plus de traitement hormis dans quelques terroirs sensibles. Pour les pinots moyennement sensibles, nous mettons des doses inférieures à 50 g/hl. Pour le sylvaner et le gewurztraminer qui en revanche sont très sensibles, nous démarrons à 50 g/hl sur les moûts. Pour ces deux cépages, après élevage sur lies fines, nous faisons un test à la chaleur pour vérifier la stabilité. Si le test met en évidence un risque de casse, alors nous refaisons un traitement sur vins finis à 50 g/hl. Pour traiter les moûts, nous utilisons une bentonite sodo-calcique.
Nous la préparons 24 heures à l'avance pour qu'elle gonfle bien. Et nous l'ajoutons juste après le débourbage au froid, au moment du transfert de cuve. Nous levurons un à deux jours après, une fois que les températures ont remonté. Depuis que nous procédons de la sorte, nous n'avons jamais eu de casse protéique à déplorer sur nos vins.
Le Point de vue de
Olivier Roustang, œnologue à Inter-Rhône
« Des doses divisées par deux »
« Nous préconisons le traitement à la bentonite en cours de fermentation alcoolique pour plusieurs raisons. D'abord parce que le moût est moins fragile que le vin, les arômes étant encore au stade de précurseurs. Il y aura donc moins de perte aromatique.
Ensuite, parce que la bentonite sert de support aux levures et permet une fermentation plus homogène. Elle sert également de support au dégagement du CO2. En plus, lors de la fermentation, le temps de contact avec la bentonite est long, souvent supérieur à dix jours. Elle adsorbe davantage de protéines. On a aussi un meilleur tassement des lies après la fermentation alcoolique et un gain de vin clair en volume. Enfin, le pH du moût est toujours plus bas que celui du vin fini. Or, plus le pH est élevé, plus il faut augmenter la dose de bentonite pour avoir la même efficacité. Les cépages peu acides comme le viognier méritent donc un traitement sur moût.
En vallée du Rhône, nous conseillons ce traitement pour le cinsault et le grenache noir vinifiés en rosés et pour la clairette, le grenache blanc et le bourboulenc, à la dose de 30 g/hl. Pour la roussane et la marsanne, nous recommandons à 30 à 40 g/hl, pour le viognier à 40 à 50 g/hl. C'est 1,5 à 2 fois moins que sur les vins finis. »