GORISKA signifie colline plantée de vignes. Brda est le nom d'une petite région. On peut donc traduire Goriska Brda par « le vignoble vallonné de Brda ». La route des vins passe par une dizaine de petits villages et hameau typiques comme celui de Ceglo, près de Dobrovo, ici en photo.
JUGEANT son nom imprononçable, la famille de Matjaz Cetrtic a préféré appeler son domaine Ferdinand afin que les étrangers le retiennent mieux.
ALES KRISTANCIC (ci-dessus) déborde d'idée. Il entonne des baies entières de raisins blancs dans ces barriques où elles fermentent en macération carbonique. Il tire un vin très cher de cette vinification originale.
Tout à l'ouest de la Slovénie, à la frontière avec l'Italie, Goriska Brda est un petit vignoble de 2 000 ha, essentiellement planté de blancs. Les vignerons qu'on y rencontre sont solides comme les chênes de leurs forêts. Ils ont vécu une histoire digne d'un guide de survie : Austro-Hongrois jusqu'en 1919, Italiens jusqu'en 1945, puis Yougoslaves et enfin Slovènes. L'empire, le fascisme, puis le communisme avant la démocratie et l'économie de marché.
Goriska Brda est aussi le jumeau du Collio frioulan en Italie. Au cours de l'histoire, ce vignoble a été coupé en deux, l'ouest restant en Italie et l'est passant sous le rideau de fer. La géopolitique a dicté les choix des cépages. « A l'époque austro-hongroise, la priorité était le vin rouge, car nous étions au sud de l'empire, sourit Toni Gomiscek, directeur de la Vinoteka Brda, la plus importante de la zone qui vend les vins d'une quarantaine de producteurs dans un caveau voûté où règnent la pierre et le bois. Ensuite, les Italiens ont imposé des cépages blancs. Logique : on était au nord du pays ! »
Aujourd'hui, la Slovénie appartient à l'Union européenne, sa monnaie est l'euro, mais l'esprit d'autarcie persiste dans ce pays prospère de deux millions d'habitants, grand comme trois départements français.
« Nous produisons 70 % de ce que nous cuisinons pour les touristes »
Dans le village touristique de Medana, les frères Alex et Uros Klinec font partie de ces jeunes vignerons qui ont quitté la coopérative pour créer leur étiquette et se lancer dans l'agrotourisme. Sur leurs 6 ha, ils produisent 23 000 bouteilles par an qu'ils vendent entre 12 et 25 euros pièce. Mais ce n'est pas leur seule activité. Uros élève des porcs, les découpe dans un petit abattoir maison aux normes européennes. Il vend jambons et salami.
« Nous produisons aussi des oies, des poules, des chèvres, de l'huile d'olive, du vinaigre balsamique, de la grappa, du miel… soit 70 % de la nourriture que nous cuisinons pour les touristes. C'est un grand travail, mais une grande satisfaction », se félicite Uros.
Les deux frères louent huit chambres doubles chacune à 82 euros la nuit, petit-déjeuner compris. La clientèle est essentiellement autrichienne, allemande et italienne. Alex et Uros Klinec exportent 40 % de leurs vins vers l'Italie. Suivant quelques traditions originales, ils affinent le rouge dans des fûts de cerisier ou de chêne, le blanc dans l'acacia ou le mûrier. « L'acacia donne un goût miellé, le mûrier un côté fruité », soutient Alex.
Le vignoble est cultivé en biodynamie et les fermentations sont spontanées. Les cépages : malvasia, rebula ou verduzzo pour le blanc, merlot, cabernet et cabernet-sauvignon pour le rouge. Autre passion : « L'art. Il est entré dans la maison par le vin. Nous organisons des expositions de peinture et nous invitons des peintres pendant une semaine, le temps de réaliser une œuvre qui restera à la cave. Nous donnons aussi des soirées poésie et vin. Cette forme d'agriculture va se développer. »
« C'est la crise du vin, donc il faut planter »
A quelques kilomètres vers l'est, Janko Stekar et son épouse Tamara ont aménagé six chambres d'agritourisme, avec piscine « où l'eau se purifie sans chlore, par des végétaux ». Ils ont planté un verger « afin que nos hôtes puissent goûter à tout ». Ils proposent des châtaignes, des confitures de vin et vingt-cinq variétés de grappa et d'eaux-de-vie.
Janko Stekar adore les expériences inédites, telles un merlot en vendanges tardives. « Si cela ne me plaît pas, on distille ! » Le père passe alors à l'alambic les tentatives du fils. Il y a dix ans, tous deux se contentaient de vendre les raisins de leurs 6 ha à la coopérative.
Chez Carga un autre producteur, la dégustation de vin s'accompagne de pain et de saucisson maison, avec le fromage et les olives du voisin. « En ce moment, il y a la crise du vin, donc il faut planter, assure Edbin Erzetic, affichant un bel optimisme. Bientôt, lorsque tout repartira, nos vignes seront en pleine production. »
Ales Kristancic est à la tête de Movia, une exploitation de 29 ha qui expédie 150 000 bouteilles chaque année. Bien qu'héritier d'une haute lignée de vignerons, il se veut aussi iconoclaste qu'un autodidacte. Cette star locale rafle des prix internationaux et exporte 80 % de sa production (Etats-Unis, Canada, Japon…). Son effervescent Puro, réalisé en méthode traditionnelle se vend bouchon en bas. Et pour cause : c'est au client d'effectuer le dégorgement, avec une clé spéciale ou un décapsuleur. « On m'avait dit que cela agacerait les sommeliers. En réalité ils adorent, cela les met en scène ! »
Autre production atypique de Movia : la cuvée Lunar. Les baies du cépage blanc rebula, égrappées mais non pressées, fermentent dans des barriques fermées. Six mois plus tard, le vin est embouteillé, sans ajout de sulfites, un jour de pleine lune. Le rendement en jus n'est que de 25 % pour cette méthode sans pressoir, mais les bouteilles partent à 30 euros.
Un effervescent pour réunir un terroir séparé en deux par l'histoire
Ales Kristancic travaill en biodynamie avec de la bouillie bordelaise et diverses infusions. « Un grand vin est un vin qui a pris des risques » assure-t-il.
Autre projet original, celui de Matjaz Cetrtic, du domaine Ferdinand, un nom qu'il a choisi, car plus facile à prononcer pour les étrangers. Ce viticulteur vient de fonder une entreprise avec des Italiens, pour assembler des raisins des deux côtés de la frontière. « Nous ferons un effervescent transfrontalier. Il sera bien sûr classé en vin sans indication géographique, mais on expliquera notre démarche sur l'étiquette. » Des vignerons vont réunir dans une même cuvée un terroir séparé par l'histoire.