JOËL BOUSCARLE accompagne Amandine Lernould, responsable vigne de la cave Sylla. Amandine vérifie que cette syrah destinée à produire de l'AOC Luberon haut de gamme est bien conduite selon le cahier des charges. Ce dernier impose une hauteur de végétation supérieure à 1,2 m et un rapport entre la surface foliaire exposée et le poids des grappes supérieur à 1,5 m2/kg. Elle effectue deux contrôles par an. © PHOTOS F. BAL
« J'ai fait des choix qui s'avèrent payants. » Joël Bouscarle, coopérateur de 34 ans à Saignon, dans le Vaucluse, dresse un bilan positif des décisions qu'il a prises depuis douze ans, la principale étant de se spécialiser à 100 % en viticulture. En plus de la vigne, ses parents produisaient du lavandin et des cerises de table et industrielles. Mais il était motivé par la viticulture.
En 1998, après un BTS viti-œno et un diplôme d'œnologue, il s'installe sur l'exploitation familiale qui compte alors 14 ha de vigne. Depuis, il a plus que doublé cette surface, la portant à 30 ha.
Comme ses parents, il livre la cave coopérative d'Apt, aujourd'hui membre du groupe coopératif Marrenon. Jusqu'en 2003, il plante 9 ha de vigne et renouvelle 4 ha. Il retient des cépages demandés par la cave : syrah, grenache, merlot, et plus récemment chardonnay et roussane.
Il plante toutes ses parcelles à 2,40 m entre les rangs alors que ses parents plantaient à 2 m. Avant cela, il a réalisé « un énorme travail d'aménagement du foncier ». Il regroupe les parcelles et enlève des talus. Il draine les sols, crée des fossés et des tournières. « Disposer de belles unités de travail est un gain de productivité », affirme-t-il.
« Entre 2003 et 2005, on ne vendait plus rien »
En 2004, il construit un hangar de 400 m2, « assez vaste pour accéder à chaque matériel sans avoir à tout déplacer ». Puis, il fait une pause dans son agrandissement, car une crise durable s'installe. « Entre 2003 et 2005, on ne vendait plus rien, confie-t-il. Nous avons dû vendre des AOC produits à 50 hl/ha au prix des vins de pays. »
La coopérative et le syndicat exigent une réduction de l'offre et une hausse de la qualité des AOC. Les rendements en rouge diminuent de 65 à 55 hl/ha. Les syrahs et les grenaches de moins de cinq ans sont exclus de l'AOC. Joël Bouscarle en subit les conséquences. « En 2003, je revendiquais 75 % de ma récolte en AOC, explique-t-il. En 2007, au plus bas de la demande, je suis descendu à 49 %. Pendant ce temps, mes revenus ont chuté de 15 %. »
Pendant la même période, la cave accélère la mise en place de sélections parcellaires en vue d'obtenir les vins demandés par le marché : des luberons et des ventoux rouges charpentés et aromatiques, des vins de pays du Vaucluse fruités, ronds, légers ; des rosés frais et pâles. Un cahier des charges correspond à chaque catégorie.
A partir de 2004, Joël Bouscarle réoriente 4 ha de vins d'appellation en vin de pays. Là, il vise entre 90 et 100 hl/ha. « Mieux vaut produire un bon vin de pays avec des rendements élevés, plutôt que de l'AOC générique », dit-il. Il choisit les parcelles situées sur des terroirs profonds et les jeunes vignes de grenache et syrah. Il les taille plus long et les fertilise davantage. « Ce sont les deux leviers les plus importants pour augmenter les rendements », précise-t-il.
En 2004 et 2005, il rehausse le palissage de ses 5 ha de syrah. Il conserve le fil porteur à 60 cm et la première paire de releveurs à 90 cm et rajoute une deuxième paire de releveurs à 1,20 m et un fil fixe à 1,50 m. « La végétation est moins entassée, plus aérée. J'obtiens plus facilement la maturité phénolique et de beaux tanins », souligne-t-il.
En 2007, les vins de pays repartent. En 2008 c'est au tour des AOC. Pour Joël Bouscarle, c'est une bonne nouvelle, car compte tenu de ses rendements, c'est avec les vins d'appellation qu'il réalise le meilleur résultat à l'hectare. En effet, ses parcelles de vins de pays plafonnent à 70 hl/ha, hormis les jeunes grenaches.
En 2009, il déclare à nouveau 60 % d'AOC. Et cette année, il renoue avec un maximum d'appellation. « On a redressé la barre, en gardant notre cap : produire de bons vins à la portée de tous », commente-t-il.
En 2008, il loue 7 ha et passe à 30 ha. Et il se remet à restructurer son vignoble. Cette année, il a arraché 3 ha pour replanter du chardonnay et de la roussanne, « à la demande de la cave ». Mais « le plus gros de la restructuration est derrière moi », souligne-t-il.
Depuis 2003, la cave produit le domaine le Tourrel. Le vin est issu de 4 ha de l'exploitation de notre viticulteur. Il est vinifié séparément et vendu en vrac au négoce avec le nom du domaine. La cave en vend elle-même 6 000 bouteilles (6,90 € TTC). « Le guide Hachette » et « La Revue du Vin de France » ont remarqué ce vin.
Pour Joël Bourscarle qui a effleuré un temps le rêve de vinifier sa récolte, c'est une grande fierté.
Et si c'était à refaire ? « Je recommencerais, mais un peu moins vite »
« J'aurai dû aller un peu moins vite et faire en quinze ans ce que j'ai fait en dix. Lors de mon installation en 1998, je me suis donné beaucoup d'objectifs à réaliser rapidement : plantations, aménagement foncier, repalissage. J'ai doublé la surface de vigne et j'ai construit un hangar. J'ai tout fait moi-même. J'ai attendu fin 2008 pour acheter un tracteur vigneron, avec une cabine climatisée qui me protège de la poussière et de la chaleur. Depuis, je suis moins fatigué. J'aurais dû l'acheter bien avant pour avoir ce confort de travail plus tôt.
Autre point : dans l'interrang, je ne pratique l'enherbement naturel maîtrisé que depuis deux ans. Avant, je travaillais le sol. J'aurais dû enherber avant pour réduire les coûts et concurrencer la vigne.
Car depuis, je maîtrise mieux leur vigueur, les parcelles sont plus homogènes. Il y a moins de problèmes d'entassement de végétation et de pourriture. Qualitativement, cela apporte un plus. »