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VIGNE

Taille et maladie du bois : des soupçons à confirme

Juliette Rouessard - La vigne - n°224 - octobre 2010 - page 36

Esca et eutypiose ne seraient pas seulement dues à des attaques de champignons dans le vieux bois. Elles proviendraient aussi des modes de taille qui favorisent la formation de nécroses au sein de la souche. A Sancerre, un organisme teste cette idée.
LA TAILLE GUYOT se réalise facilement avec un sécateur électrique. Selon certains experts, les tailleurs réfléchissent moins à la meilleure façon de tailler en raison de cette simplicité. © J.-C. GUTNER

LA TAILLE GUYOT se réalise facilement avec un sécateur électrique. Selon certains experts, les tailleurs réfléchissent moins à la meilleure façon de tailler en raison de cette simplicité. © J.-C. GUTNER

La taille aurait une influence directe sur l'esca et l'eutypiose. François Dal, conseiller viticole à la Sicavac (Service interprofessionnel de conseil en agronomie, vinification et analyses du Centre), à Sancerre (Cher), en est certain. Il estime que les champignons responsables des maladies du bois sont des colonisateurs s'installant dans les bois blessés ou affaiblis. Pascal Lecomte, ingénieur à l'Inra de Bordeaux (Gironde), soutient aussi cette idée. « Il y a de vraies différences liées au mode de conduite dans l'expression de l'esca et de l'eutypiose, d'une parcelle à une autre, explique-t-il. La vigne est une plante qui cicatrise mal. Or, une des principales sources de blessures traumatisantes est la taille d'hiver. »

« Le Guyot simple peut provoquer beaucoup de dégâts »

Le Guyot simple telle qu'il est pratiqué aujourd'hui par la majorité des viticulteurs est montré du doigt. « C'est une taille rapide, qui peut se réaliser facilement avec un sécateur électrique, reconnaît François Dal. Mais elle peut provoquer beaucoup de dégâts. » Pascal Lecomte ajoute que le tailleur réfléchit moins à la meilleure façon de tailler du fait de cette mécanisation. « Ce qui peut conduire à des mauvais choix de trajets de sève et à la réalisation de grosses plaies de tailles inutiles », poursuit-il.

François Dal critique aussi la taille à ras des bourgeons ou des embranchements, car il se forme alors un cône de dessèchement dans le cep. Or, ce cône de bois sec est sujet à la colonisation par les champignons des maladies du bois. Il explique que l'on peut éviter cela en taillant un centimètre au-dessus de la branche ou du bourgeon que l'on veut garder. Ainsi, le cône de dessèchement ne descend pas dans la partie vivante du cep. Depuis cinq ans, la Sicavac suit quatre essais : deux dans des vignes qui avaient une dizaine d'années au départ et deux autres dans de nouvelles parcelles. Le but est de comparer le taux de maladies du bois entre la taille Guyot classique et la taille Guyot Poussard, que la Sicavac prône.

Préserver les flux de sève

Le Guyot Poussard est une taille en Guyot simple à deux bras. Chaque bras porte un courson tous les ans et la baguette un an sur deux. Le courson doit toujours être inférieur à la baguette et doit être taillé sur un œil bas. Si l'on respecte cette règle, seule la partie supérieure des bras sera mutilée au fur et à mesure des années de taille. La partie inférieure ne portera pas de plaies de taille. Le courant de sève y circulera sans interruption. Dans ces conditions, les maladies du bois affecteront peu le cep. C'est du moins ce que pense François Dal. « Le fait de toujours tailler le courson sur un œil bas permet de préserver un flux de sève continu dans la partie basse des bras et de situer les plaies de tailles au-dessus », explique le conseiller. Les premiers résultats sur les vignes d'une dizaine d'années vont dans le sens de l'hypothèse de la Sicavac. En 2008, les vignes ayant subi la taille la moins agressive ne présentent que 0,5 % de cep exprimant des symptômes d'esca, contre 3 à 4 % dans les parcelles ayant subi la taille Guyot classique, plus mutilante. En 2009, les parcelles ont été grêlées : impossible d'observer les maladies du bois.

En 2010, les résultats sont mitigés. Dans l'une des parcelles âgée de dix ans, les vignes taillées en Guyot Poussard ont moins d'esca que les autres. Mais dans l'autre parcelle, c'est l'inverse. « Toutefois, sur les trois années, la taille respectueuse exprime moins de symptômes. En raison de la variabilité des résultats, il est nécessaire d'attendre pour conclure », explique François Dal.

Gare aux nécroses en tête de tronc

L'Inra de Bordeaux démarre aussi des observations sur l'impact des modes de conduite dans l'Entre-deux-Mers et, prochainement, du Gers. « Les premiers résultats tendent à montrer que plusieurs facteurs agronomiques pourraient influencer considérablement le développement de l'esca, explique Pascal Lecomte. Ainsi, un excès de fertilisation, des plantations dans des sols humides et très fertiles, ainsi que des systèmes de conduite avec des bras trop courts qui favorisent la formation très rapide d'une nécrose en tête du tronc, apparaissent comme très favorables à l'esca. » Ces observations doivent encore être confirmées.

Le Point de vue de

Philippe Larignon, en charge des maladies du bois à l'Institut français de la vigne et du vin

« Les essais ne montrent pas d'effet sur l'esca »

« Actuellement, on amalgame des problèmes dus à une mauvaise taille à ceux provoqués par les maladies du bois. Par exemple, certains attribuent la bande brune localisée dans le bois de printemps du cerne nouvellement formé aux difficultés de circulation de la sève provoquée par des tailles blessantes. Mais en fait, cette bande brune est un symptôme caractéristique du BDA (Black dead arm). C'est une réaction de la plante face à ses agresseurs fongiques. Pour l'instant, les essais menés dans différentes situations et régions n'ont pas montré d'influence de la taille sur l'esca et le BDA. Cette influence n'a été démontrée que pour l'eutypiose. En effet, on sait que la taille en cordon, par exemple, entraîne plus d'eutypiose que la taille en Guyot. »

Le Point de vue de

Jean-Max Roger, vigneron à Sancerre (Cher)

« Il faut encore attendre plusieurs années pour voir l'intérêt de la technique »

Jean-Max Roger, vigneron à Sancerre (Cher) © J.-P. ROBIN

Jean-Max Roger, vigneron à Sancerre (Cher) © J.-P. ROBIN

« Cela fait cinq ans que je convertis mes vignes en taille Guyot Poussard. Dans ce but, je forme tous les ans mon personnel avec l'appui de la Sicavac. Il faut d'abord éliminer la partie des ceps où il y a une mauvaise circulation de la sève pour démarrer la nouvelle taille sur du bois neuf. Finalement, la taille en Guyot Poussard n'est pas très compliquée : l'idée est de respecter les flux de sèves en bannissant les coupes rases et en laissant des chicots où vont se former les cônes de cicatrisation. Le fait de laisser deux bras permet aussi de se rattraper au cas où il y aurait des champignons dans l'un des deux. J'évite aussi d'ébourgeonner le bas du pied de manière à pouvoir recéper en cas de soucis. Cette année, alors qu'il y avait beaucoup d'esca, mes vignes n'ont pas été plus atteintes que d'habitude, voire moins. Il faut encore attendre plusieurs années pour voir l'intérêt réel de la technique. Certes, elle prend un peu plus de temps, mais si elle permet d'éviter de remplacer les pieds de vignes, cela compense le temps supplémentaire de taille. »

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