Retour

imprimer l'article Imprimer

VIN

Barriques neuves : le goût de la polémique

Marine Balue - La vigne - n°224 - octobre 2010 - page 44

Un laboratoire girondin affirme que des barriques neuves peuvent donner un goût de moisi aux vins. Il soutient que les tonneliers sous-estiment ce problème.
GOÛT DE BOUCHON. En dégustant des vins en barriques, des œnologues ont repéré des odeurs de « moisi », qu'on identifie comme des « goûts de bouchon ». C.WATIER

GOÛT DE BOUCHON. En dégustant des vins en barriques, des œnologues ont repéré des odeurs de « moisi », qu'on identifie comme des « goûts de bouchon ». C.WATIER

On connaît très bien le problème du vin bouchonné dû à un défaut du bouchon de liège. Fin août, le laboratoire de recherche et d'analyses Excell, à Mérignac (Gironde), a signalé que le bois des barriques neuves peut transmettre cette même odeur de moisi aux vins. Dans un communiqué de presse, il affirme que le phénomène est en croissance et que les tonneliers sous-estiment son ampleur. Faits que conteste la Fédération française des tonneliers, dans un autre communiqué sorti le 2 septembre. Depuis, les deux parties affichent ouvertement leur désaccord.

Retour sur l'apparition du « goût de bouchon » en barrique… « Les premiers cas ont été signalés en Australie, relate Pascal Chatonnet, qui dirige le laboratoire Excell. Lors de dégustations de vins en barrique, des œnologues ont constaté un goût de bouchon dans plusieurs fûts de chêne de fabrication française. »

Du TCA sur quelques douelles

Convaincus que les fûts de chêne étaient responsables de cette pollution, les producteurs australiens ont porté réclamation auprès de leurs tonneliers. Ces derniers ont rapatrié les fûts suspects et ont fait appel à l'expertise de plusieurs laboratoires, dont Excell, pour trouver l'origine du problème.

« Nous avons d'abord supposé que les fûts étaient contaminés lors du transport, poursuit Pascal Chatonnet. Mais de nouveaux cas sont apparus en Espagne, puis en France. Les conditions de transport étant toutes différentes, elles ne pouvaient être en cause. »

Le laboratoire a alors démonté les barriques polluées et a analysé le bois, douelle par douelle. Sur quelques barriques, des douelles contenaient un contaminant très particulier : le TCA. La même molécule qui pollue le vin via le liège !

Pascal Chatonnet rappelle que c'est une des molécules les plus importantes qui transmet le caractère « moisi » au vin. De très faibles concentrations suffisent pour marquer fortement un vin. Les recherches du laboratoire Excell visent maintenant à trouver la source du TCA dans le bois des barriques. « Le fait qu'on détecte la pollution très tôt, dès les parcs de séchage, suggère une source microbiologique plutôt que chimique », expose Pascal Chatonnet.

Une pollution aléatoire

« Les résultats des analyses sur les douelles sont inquiétants », souligne-t-il encore. La zone polluée par le TCA se limite toujours à une tache de quelques dizaines, voire quelques centaines de cm2. C'est très peu par rapport à la surface interne totale d'une barrique, qui est de 2 m2 environ.

« Cette pollution a un caractère très aléatoire au sein d'un lot de barriques, mais aussi dans le bois d'un même fût. Elle est toujours très localisée, ce qui la rend difficile à détecter par les prélèvements de bois qu'effectuent certains tonneliers », résume Pascal Chatonnet. Selon cet expert, il vaut mieux analyser l'eau utilisée lors du test d'étanchéité des fûts, que pratiquent tous les fabricants.

« Nous ne sommes pas du tout négligeants ! s'oppose vivement Michel Hovart, membre de la Fédération des tonneliers de France. Il explique qu'un travail collectif a été engagé dès 2002 pour lutter contre ce problème. « Nous avons créé une commission technique consacrée au TCA dès l'apparition des premiers cas, insiste-t-il. Nous nous sommes entourés de laboratoires performants pour déterminer comment le TCA peut affecter les barriques, à quelle étape de la fabrication, dans quelles conditions… »

Ces travaux ont contribué à rédiger le « Guide des bonnes pratiques de la tonnellerie », édité en 2007 et régulièrement mis à jour. Le guide recommande par exemple aux tonneliers de faire des recherches de TCA dans tous leurs entrants. Ou encore, de veiller à ce que l'eau utilisée pour les tests d'étanchéité des barriques ne les contamine pas. Pour le tonnelier, les huit ans de travail sur le TCA ont permis à son secteur de faire d'énormes progrès : « Nous avons une bonne connaissance du risque de contamination, ce qui nous permet de bien le maîtriser. C'est comme pour une épidémie : on ne peut pas garantir le risque zéro, mais on fait tout pour s'en rapprocher. »

Seulement 86 fûts pollués en 2009

La fédération collecte les analyses TCA dans les barriques réalisées par les laboratoires avec lesquels elle travaille : des milliers de données, d'après Michel Hovart. Celles-ci constituent l'observatoire du TCA, grâce auquel les tonneliers s'assurent que le risque de pollution reste faible. « En 2009, on nous a signalé 86 fûts ayant transmis un goût de bouchon au vin en élevage, soit seulement 0,03 % de la production annuelle, note Michel Hovart. La collecte de fûts pollués nous montre que le problème ne tend pas à augmenter. »

Il ajoute que sur les cas signalés, certains n'impliquent finalement pas les fûts : « Il y a mille causes possibles pour qu'un vin en barrique contienne du TCA, comme l'environnement du chai, les conditions de stockage, le lavage des fûts… » Il rappelle l'importance d'une traçabilité bien tenue, seul moyen de cibler l'étape à laquelle le vin a été pollué.

Qu'est-ce que le TCA ?

Le TCA ou 2,4,6-trichloroanisole, est une molécule appartenant à la famille des chloroanisoles. Ces derniers communiquent de fortes odeurs de moisi. Le seuil de perception du TCA est très bas, autour de 2 ng/l. Dans le secteur du vin, il est surtout connu pour sa capacité à polluer les bouchons de liège. Il se forme à partir du 2,4,6-trichlorophénol, ou TCP, sous l'action de moisissures. Des champignons, des levures ou des bactéries peuvent combiner les phénols naturellement présents dans le liège à du chlore pour donner le TCP. Ce chlore est en général issu de pesticides, d'eaux de lavage ou de pluie, ou du traitement des bois. Il existe une autre source de TCP. A partir de glucose, la moisissure penicillium peut synthétiser des phénols, qui aboutissent à du TCP en présence de chlore. Dans certains cas, la contamination au TCA est aérienne : il se forme au niveau de la lignine de bois présent dans la cave et mis en contact avec de l'eau de javel par exemple.

Enfin, il apparaît parfois dans l'atmosphère de la cave, si des eaux chlorées se combinent à des phénols.

Comment contrôler une barrique neuve

Lors d'une livraison de barriques, le producteur a peu de chances de repérer une contamination par le TCA, car l'odeur ne se perçoit pas, sauf pour les personnes extrêmement sensibles à cette molécule. « Ces vérifications se font à la fabrication. Tout est mis en œuvre en amont pour repérer les contaminations, explique Pierre-Guillaume Chiberry, directeur marketing de la tonnellerie Radoux. Il donne tout de même quelques conseils pour apprécier l'état général des barriques à la réception :

regardez l'état externe du fût et contrôlez qu'il n'y a pas eu de dégâts pendant le transport, au niveau des têtes de douelle notamment ;

vérifiez que les bondes sont bien restées en place, pour éviter les contaminations ;

introduisez une lumière dans le trou de bonde pour voir l'état interne : assurez-vous de l'absence de cloques ;

remplissez la barrique d'eau pour tester son étanchéité.

Cet article fait partie du dossier

Consultez les autres articles du dossier :

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :