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VENDRE - Observatoire des marchés

Patrick Aigrain, chef du service évaluation, prospective et analyses transversales à FranceAgriMer « Le marché mondial reste excédentaire »

Propos recueillis par Aurélia Autexier - La vigne - n°224 - octobre 2010 - page 60

LA VIGNE : Pour la première fois depuis 2002, le marché mondial du vin paraît en équilibre. Qu'en est-il exactement ?

Patrick Aigrain : L'Organisation internationale de la vigne et du vin évalue la production mondiale de vin à 267 millions d'hl en 2009. Si on retranche les usages connus, c'est-à-dire la consommation qui est estimée à 237 millions d'hl et les usages industriels du vin (vinaigre, vermouth, distillation…) que l'on évalue autour d'une trentaine de millions d'hl, nous sommes effectivement proches du point d'équilibre. En clair, l'an dernier, les besoins mondiaux ont absorbé la production.

Est-ce synonyme d'une prochaine reprise sur le marché du vin ?

P. A. : Attention ! Toutes les formes d'excédents n'ont pas disparu pour autant… Entre le début de la décennie et les années récentes (moyenne 2007-2009), la production de moûts est passée de 36 à 46 millions d'hl (équivalent moûts frais). Cela représente tout de même une petite récolte française de vin ! Et cette production de moûts dépasse les besoins.

A combien évaluez-vous l'excédent de moûts au niveau mondial ?

P. A. : On estime la consommation mondiale de jus de raisin à environ 11 millions d'hl (Mhl). Les usages industriels de moûts (confiturerie, alimentation animale…) représentent, quant à eux, environ 7 millions d'hl. Il reste après à évaluer le volume de moûts nécessaire pour approvisionner le marché des moûts concentrés utilisés pour leur pouvoir sucrant. Selon nos calculs, ce stock-outil représenterait 12-13 Mhl. La somme de tous ces débouchés connus ou potentiels représente 31 Mhl. Si on retranche ce volume, des 46 Mhl produits l'an dernier, on se retrouve avec un excédent de 15 Mhl. Or, en début de décennie, ce « surstock » de moût sous toutes ces formes n'était que de 8 Mhl en équivalent moût frais.

Les excédents de vin ont donc été remplacés par ceux de moûts…

P. A. : Exactement. Parmi les autres formes d'excédents à l'amont il y a aussi les raisins non récoltés. Ce sont des vignes non vendangées, le plus souvent pour des raisons économiques. Il y en a, par exemple, en Australie. On évalue ce « potentiel » à 1,5 Mhl. Si je tiens compte des « surstocks » en moûts, des raisins non récoltés et de l'assainissement sur le marché du vin, je me retrouve au final avec un excédent de 10 Mhl.

C'est quand même mieux que les 15 Mhl du début de décennie…

P. A. : Oui. Mais ces 10 Mhl, même s'ils ne sont pas très apparents, pèsent sur le marché du vin… Cela explique en partie pourquoi, malgré les dernières petites récoltes, les prix ne repartent toujours pas…

Quels sont les pays producteurs de moûts ?

P. A. : L'Argentine en produit entre 6 et 8 millions d'hl, les Etats-Unis à peu près autant. Après, viennent les pays européens qui, tous réunis, représentent un peu plus de 10 millions d'hl.

Comment expliquer l'augmentation récente de la production de moûts ?

P. A. : En Europe, jusqu'ici notre politique de gestion des marchés a consisté à réguler après coup : une fois les vins vinifiés, on distillait les éventuels excédents… Sur le continent américain et en Afrique du Sud, on ramasse le raisin, on le pressure, mais on ne le vinifie pas si on n'a pas de marché. En Australie, quand la demande est en panne, les producteurs ne récoltent pas.

Quels risques ces excédents font-ils peser ?

P. A. : Il s'agit à ce stade de risques potentiels… Ce qui pourrait se passer c'est que les pays qui les détiennent exercent une pression pour les vinifier afin de les rentabiliser.

Comment est-ce possible ?

P. A. : En Australie, il existe de grands centres de conservation des moûts réfrigérés. Ces moûts peuvent être vinifiés au fur et à mesure de la demande des marchés. On peut ainsi vinifier six mois après la vendange…

C'est permis ?

P. A. : Bien sûr, puisque c'est du moût de raisins frais. La définition internationale du vin fait référence à des produits alcooliques tirés du raisin ou des moûts de raisins frais.

Et les moûts concentrés ?

P. A. : Eux, ils ne peuvent revenir sur le marché du vin que via l'enrichissement. En Europe, cette pratique est très encadrée. Par exemple, l'ajout de MCR ne peut pas conduire à une augmentation de plus de deux degrés du titre alcoométrique, en France. Par ailleurs, l'augmentation maximale du volume produit après enrichissement est limitée à 6 %. Aux Etats-Unis, on ne voit pas les choses ainsi. Dans certains Etats, on peut augmenter le volume final jusqu'à 30 %. Chez nous une telle pratique serait assimilée à du sucrage-mouillage.

Les statistiques d'exportation en 2009 montrent que la France a plongé tandis que l'Italie s'en est bien sortie. Pourquoi ?

P. A. : La France et l'Espagne ont reculé notamment parce qu'elles ont maintenu la part des bouteilles dans leurs exportations. A l'inverse, le Chili et l'Australie ont joué la carte du vrac et ont progressé. L'Australie a ainsi retrouvé son niveau record d'exportations de 2007. L'Italie, dans une moindre mesure, a fait le même choix et a également progressé.

Comment expliquer cette vogue pour le vrac ?

P. A. : En 2009, on estime que sur les 96,4 millions de vins échangés sur le marché mondial, environ 37 % l'ont été sous forme de vrac. Le marché du vin est très internationalisé. Presque quatre litres de vin sur dix consommés dans le monde ont passé une frontière. Or, qui dit produit importé en bouteille, dit produit cher. Quand il y a une crise, ces produits souffrent les premiers. Les pays qui ont eu une stratégie « vrac » ont vendu leurs vins moins cher.

De tels vins peuvent-ils se retrouver chez nous ?

P. A. : Non. Actuellement les vins américains ne peuvent pas être importés en Europe si leur volume a augmenté de plus de 10 % après enrichissement par des MCR.

Mais à l'avenir, la question pourrait être soulevée si les Américains souhaitaient voir augmenter ces seuils. Cela devrait se faire dans le cadre de négociations globales sur les pratiques œnologiques.

Mais ils ont aussi accepté de laisser une partie de la valeur ajoutée aux pays consommateurs puisque l'embouteillage s'est fait sur place.

La France a-t-elle eu tort de ne pas jouer cette carte du vrac ?

P. A. : Pas forcément. Certes, à court terme, nos exportations baissent alors que celles de l'Italie, par exemple, progressent. Mais à long terme, on peut penser qu'il va être difficile de revenir en arrière pour ceux qui ont opté pour la stratégie vrac. Car un client a toujours du mal à accepter de perdre la valeur ajoutée qu'il a acquise lorsqu'il était en situation favorable…

L'engouement pour le développement durable joue-t-il aussi dans l'essor du vrac ?

P. A. : Oui, cela a joué et jouera certainement encore… La stratégie qui vise à rapatrier la valeur ajoutée dans le pays de consommation passe beaucoup mieux lorsqu'elle est présentée avec un argument « vert »…

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FOCUS

Agronome titulaire d'une thèse en économie, il dirige le service « évaluation, prospective et analyses transversales » (EPAT) de FAM.

Détaché à l'OIV, il participe à l'élaboration des statistiques mondiales du secteur.

Professeur associé à Montpellier SupAgro, il est aussi membre de l'IHEV (Institut des hautes études de la vigne et du vin) et du conseil scientifique de l'IFV (Institut français de la vigne et du vin).

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