SITUÉE À 2 200 MÈTRES au-dessus de la mer, la bodega Colomé a ouvert un hôtel de luxe avec neuf chambre de très grand standing. Malgré la beauté des lieux, les conditions de travail sont rudes. « Un œnologue de cinquante ans ne survivrait pas dans les montagnes », affirme-t-on sur place. © PHOTOS A. MONTOYA
LA ROUTA 40, la plus haute et la plus longue route d'Argentine, traverse le vignoble de Cafayate et ses magnifiques paysages.
JOSÉ EDUARDO NANNI (ci-dessus) est l'héritier de la plus ancienne bodega appartenant toujours à la famille qui l'a fondée. « Tout le vignoble pourrait être en bio », dit-il, tellement la pression parasitaire est faible.
À 75 ANS, Juan de la Cruz Rodriguez dirige la bodeguita, la petite bodega. Il vient d'acheter un fouloir et des cuves en inox. « Mon père me disait : je n'ai jamais raté un vin, j'espère que tu feras de même. »
UN CHAI destiné à la production de vins haut de gamme. Les cuves sont bien équipées pour le contrôle des températures.
On arrive à Cafayate après deux heures de route depuis Salta, la capitale de la province du même nom, en traversant un paysage de cactus et de formations rocheuses sculptées par le vent. La ville, de 12 000 habitants, s'étend à 1 700 m d'altitude et à 1 600 km au nord-ouest de Buenos Aires. Elle embrasse le vignoble le plus important de la province de Salta. Tout ici rappelle que l'on vit du vin. En ville, on trouve même des glaces au torrontès, un cépage blanc venu d'Espagne et caractéristique de cette vallée des contreforts des Andes.
Au XVIe siècle, les jésuites ont introduit les premiers pieds de vignes. Aujourd'hui, on se bat pour savoir qui possède le chai le plus ancien. Mais c'est surtout à qui possède le vignoble le plus haut. Pour quelques mois encore, c'est Raul Davalos qui détient le record avec ses 10 ha de la Bodega Tacuil, plantés à 2 567 m d'altitude.
Mais il est talonné par le Suisse Donald Hess. En 2007, cet héritier d'une famille de brasseurs de Berne plante 25 ha de vignes, surtout du pinot noir et du malbec, à 3 111 m d'altitude sur un terrain stratégiquement dénommé… Altura Maxima (altitude maximale). L'entrée en production est prévue en 2012. A ce moment-là, Donald. Hesse demandera l'inscription de son vignoble au « Livre Guinness des Records » comme le plus haut du monde. « Altura Maxima, c'est son projet de prestige, raconte Caspar Eugster, le gérant de la bodega. Il est obsédé de faire ce que personne d'autre n'a fait jusqu'à maintenant. »
Malbec et cabernet-sauvignon, deux variétés phares
Outre Altura Maxima, Donald Hess possède un domaine de 39 000 ha qu'il a acheté en 2001 à Raul Davalos. On y accède par la mythique route 40, une piste non goudronnée, difficilement praticable. Sur cette immense propriété, Donald Hess exploite un second vignoble, bodega Colomé, de 72 ha. Toutes les vignes sont franches de pied et certaines ont cent cinquante ans. Et tout est en biodynamie, ce qui n'est pas difficile, car les maladies sont pratiquement inexistantes, grâce à la sècheresse et au vent.
En deux ans, le groupe Hess Family a installé une turbine hydroélectrique, une réserve d'eau pour l'irrigation et un hôtel avec neuf luxueuses chambres. En 2009, la revue « Wine Spectator » a noté l'un de ses vins, un malbec, comme le meilleur d'Argentine.
En raison de l'altitude, l'amplitude thermique est immense : en été, la température peut monter à 35°C en pleine journée et dégringoler à 10°C la nuit. Ces conditions climatiques sont très favorables à l'expression aromatique des cépages. Longtemps, le torrontès, un blanc muscaté, est resté largement prédominant. Aujourd'hui, le malbec et le cabernet-sauvignon sont devenus les deux autres variétés phares de la région.
Trente neuf bodegas répertoriées
Salta est aussi très aride. Il y pleut moins de 200 mm par an. « Toute la viticulture pourrait être biologique, assure José Eduardo Nanni, héritier de la seule entreprise dont les vignobles et le chai sont certifiés organiques. Nous avons un vignoble à 10 km de Cafayate où il pleut moins de 50 mm par an. Tous les jours, nous avons deux ou trois heures de vent très fort. Résultat, nous n'utilisons jamais de fongicide. »
Après les jésuites, de grands propriétaires comme Etchart, Lavaque ou Torino ont écrit l'histoire de la viticulture de la région. Mais avec les crises économiques successives, certaines de ces familles ont abandonné leurs exploitations. Puis en 1996, Pernod Ricard acquiert la bodega Etchart et embarque l'œnologue Michel Rolland dans l'aventure. C'est un moment charnière. Depuis, d'autres familles argentines ou de grands groupes internationaux sont venus acheter des terres.
Actuellement, l'Institut national de vitiviniculture (INV) répertorie trente neuf bodegas dans la région de Salta. Elles exploitent 3 000 ha et ont récolté 27 millions de kilos en 2010, ce qui représente moins de 2 % de la production nationale.
De grosses maisons familiales argentines, comme Domingo Hermanos ou Nanni, la seule entreprise encore exploitée par la famille d'origine depuis sa création en 1890, rivalisent avec des multinationales comme Hess Family ou Pernod Ricard. Tout en bas de l'échelle de petits producteurs tentent de survivre. Pour tenir tête aux géants qui leur achètent leurs raisins, ils ont formé une coopérative en l'an 2000 qui se charge de négocier les prix. Cinq ans plus tard, ils ont commencé à produire leur propre vin, sous la marque Trassoles (Travail, solidarité, effort).
Encore 20 000 kg de raisin foulés au pied
Ces petits producteurs dénoncent une connivence entre les gros propriétaires et les dirigeants de Salta. Ces dirigeants, qui sont souvent eux-mêmes exploitants, mettent en vente des terres publiques. Et les indigènes accusent les grosses exploitations de clôturer leurs terres ancestrales et de les en déloger. Ils craignent aussi la pollution des nappes phréatiques, à cause du forage de puits pour capter l'eau.
L'un des coopérateurs, Juan de la Cruz Rodriguez, détient la Bodeguita, au nord de Cafayate. Malgré ses 75 ans et ses 50 hl par an, il s'est modernisé en achetant un égrappoir et un fouloir. Il veut aussi investir dans des cuves en inox et de quoi monter un petit laboratoire. Il souhaite rester un artisan du vin, tout en se modernisant.
De l'autre côté de Cafayate, à Tolombon, Antonio Cabezas est devenu célèbre depuis qu'il est passé dans le documentaire Mondovino. Lui, ne veut pas entendre parler de technologie. Ses 20 000 kg de raisin, il continue de les fouler au pied. « Ce que les autres font en une heure, moi je prends quarante jours, souligne-t-il. Mais autrement, ce ne serait plus mes vins. »
En février prochain, le tout nouveau musée de la Vigne et du vin ouvrira ses portes au centre de Cafayate. Il rappellera que « Salta est la province de la poésie, de la terre, du folklore, s'enthousiasme l'homme de théâtre, Hector Berra, concepteur du musée. A la fin du parcours, les visiteurs écouteront le vin expliquer qu'il s'est installé à Cafayate et qu'il y vit très heureux ».