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Magazine - Etranger

Québec Le vignoble de l'extrême

Evelyne Malnic - La vigne - n°225 - novembre 2010 - page 120

Défiant des hivers glacials, des entrepreneurs téméraires et passionnés ont décidé de faire pousser toutes sortes de cépages et d'hybrides dans la Belle Province. Leurs vins de glace commencent à briller dans les concours internationaux.
VENDANGES au domaine Sainte-Pétronille, situé sur l'île d'Orléans, en plein milieu du fleuve Saint-Laurent. Au fond, on aperçoit les chutes de Montmorency hautes de 83 mètres. Elles attirent beaucoup de touristes. © VIGNOBLE SAINTE-PÉTRONILLE

VENDANGES au domaine Sainte-Pétronille, situé sur l'île d'Orléans, en plein milieu du fleuve Saint-Laurent. Au fond, on aperçoit les chutes de Montmorency hautes de 83 mètres. Elles attirent beaucoup de touristes. © VIGNOBLE SAINTE-PÉTRONILLE

LE BUTTAGE ou « renchaussement », comme disent les Québécois, est indispensable pour protéger les vignes contre les grands gels hivernaux. © DOMAINE DE L'ORPAILLEUR

LE BUTTAGE ou « renchaussement », comme disent les Québécois, est indispensable pour protéger les vignes contre les grands gels hivernaux. © DOMAINE DE L'ORPAILLEUR

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CHARLES-HENRI DE COUSSERGUES est arrivé au Québec de ses Costières de Nîmes natales en 1982. Copropriétaire du domaine de l'Orpailleur, c'est un pionnier de la viticulture québécoise. Il n'a cessé d'œuvrer pour la mise en place de la certification « Vin du Québec », une garantie d'origine et de respect de l'environnement qui a vu le jour cette année. © PHOTOS DOMAINE DE L'ORPAILLEUR

CHARLES-HENRI DE COUSSERGUES est arrivé au Québec de ses Costières de Nîmes natales en 1982. Copropriétaire du domaine de l'Orpailleur, c'est un pionnier de la viticulture québécoise. Il n'a cessé d'œuvrer pour la mise en place de la certification « Vin du Québec », une garantie d'origine et de respect de l'environnement qui a vu le jour cette année. © PHOTOS DOMAINE DE L'ORPAILLEUR

LA RÉCOLTE se termine fin octobre. C'est alors que l'on ramasse les raisins surmûris dans des filets posés au sol (à gauche). © M. FOREMAN

LA RÉCOLTE se termine fin octobre. C'est alors que l'on ramasse les raisins surmûris dans des filets posés au sol (à gauche). © M. FOREMAN

PUIS ON ACCROCHE ces filets au palissage afin que les raisins se concentrent sous l'action du froid sec. En janvier, ils sont pressés par -10°C pour donner des vins de glace. Avec 100 kilos de vendange, on obtient seulement 12 à 15 litres de moût renfermant jusqu'à 40 % de sucre. Le vin de glace peut être rouge ou blanc et doit contenir au moins 125 g/l de sucres résiduels. © VIGNOBLE SAINTE-PÉTRONILLE

PUIS ON ACCROCHE ces filets au palissage afin que les raisins se concentrent sous l'action du froid sec. En janvier, ils sont pressés par -10°C pour donner des vins de glace. Avec 100 kilos de vendange, on obtient seulement 12 à 15 litres de moût renfermant jusqu'à 40 % de sucre. Le vin de glace peut être rouge ou blanc et doit contenir au moins 125 g/l de sucres résiduels. © VIGNOBLE SAINTE-PÉTRONILLE

Cette année, le vignoble québécois souffle ses trente bougies. Pourtant, rien n'était écrit. Depuis le XVIe siècle et les débuts de la Nouvelle France, les colons ont voulu cultiver la vigne. Pendant très longtemps, tous leurs essais se sont soldés par des échecs. Il a fallu attendre 1980 pour que l'aventure recommence avec la création des domaines des Côtes d'ardoise et de l'Orpailleur, au sud-est de Montréal (Canada). En dépit des rigueurs de l'hiver québécois, ils ont trouvé, dans les contreforts des Appalaches, un relief et un sol schisteux favorables.

Aujourd'hui, on recense quelque soixante-dix vignobles dans la Belle Province. Ils sont concentrés principalement dans les cantons de l'Est, dans le Montérégie, le sud des Laurentides, l'île d'Orléans et jusqu'en Gaspésie (Nord-Est). Grâce au programme de subventions mis en place par la province en 2003, un ou deux nouveaux domaines se créent tous les ans.

Contrairement à l'enthousiasme, la rentabilité est rarement au rendez-vous

A quelques exceptions près, ils sont tous fondés par des personnes sans attaches avec la vigne. Jacques Papillon, chirurgien plasticien, a lancé les Côtes d'ardoise. Le Ridge est né de la volonté de Denis Paradis, avocat et homme politique. Les Brome ont vu le jour grâce au professeur d'université et banquier Léon Courtille et le Plein d'amour grâce à l'informaticien Denis Leduc. Tous partagent une même et folle passion : faire du vin. Le vignoble de la Belle Province totalise près de 300 ha. Les exploitations font 5,3 ha, en moyenne. L'Orpailleur, le plus grand de tous ces domaines, cultive près de 21 ha. Il se distingue également par le fait qu'il est l'un des rares à avoir été créé par des hommes du métier : Charles-Henri de Coussergues et Hervé Durand, deux vignerons français qui se sont associés à deux Québécois.

Avec une moyenne de 15 000 à 20 000 bouteilles par domaine, la rentabilité est rarement au rendez-vous. Seuls quelques-uns vivent de leurs vignes. Qu'à cela ne tienne ! L'enthousiasme est de rigueur, attisée par le sentiment de participer à une grande aventure. Au Québec, tout est possible, tout est réalisable. « Nous sommes en situation expérimentale pour de nombreuses années encore. Nous n'avons aucun historique et donc une grande liberté. L'histoire de la vigne s'écrit au présent », se félicite Charles-Henri de Coussergues, directeur du domaine de l'Orpailleur. Montréal est située à la même latitude que Bordeaux. Mais cela ne veut surtout pas dire que le climat y ressemble. Ici, la vigne doit faire face à des conditions climatiques extrêmes. Les hivers sont longs et froids avec des températures pouvant descendre à moins 35°C et la saison végétative est très courte. Le travail de la vigne est concentré sur quelques mois, de mi-avril à mi-septembre. Les vendanges sont « une véritable course contre la montre » estime Simon Baud, du domaine de la Bauge.

A l'abri du gel, sous quelques dizaines de centimètres de terre

Pour que la vigne survive aux gels profonds, les Québécois pratiquent le « buttage » (ou « renchaussement »). La technique a été mise au point par le domaine de l'Orpailleur avec l'aide d'un ampélographe de l'université de Montpellier, le professeur Galet. Elle est inspirée de celle utilisée par les pépiniéristes pour les rosiers. Il s'agit d'enfouir les pieds de vigne sous une grosse butte, afin de les mettre à l'abri du gel sous quelques dizaines de centimètres de terre.

Le buttage s'effectue début novembre. Le débuttage a lieu au printemps. Un travail long, fastidieux et coûteux. Mais c'est cette technique qui a permis le démarrage de la viticulture. Aujourd'hui, on utilise aussi le paillage avec des végétaux et des toiles géotextiles, ou des canons à neige pour la protection hivernale.

Parallèlement, les vignerons sont aussi de plus en plus nombreux à recourir à des cépages résistants aux très basses températures : des hybrides de cépages européens et nord-américains mis au point avec l'université du Minnesota, aux Etats-Unis, et des pépiniéristes.

Pour l'heure, buttage et culture d'hybrides coexistent, parfois au sein d'un même domaine. « Je renchausse le riesling et le vidal, mais pas le de Chaunac, un hybride français qui supporte jusqu'à moins 25° sans geler », explique Jacques Papillon.

Quant à Simon Baud, il attend de voir. « Je garde encore les vignes buttées, mais je les arracherai définitivement quand on aura trouvé le cépage qui supporte le gel et offre les parfums que l'on recherche. »

En tout, plus de cinquante cépages sont cultivés dans la Belle Province. En raison du froid, les hybrides dominent. Mais, les yeux tournés vers l'Europe, on plante de plus en plus de vitis vinifera : riesling, chardonnay, gamay, pinot noir. Avec des résultats variables selon les vignobles. Fort de cet encépagement extrêmement divers, le Québec produit, dans la plus totale liberté d'assemblage et de vinification, toutes sortes de vin : des rouges, des blancs, des rosés, des vins fortifiés, des effervescents, des mistelles, des vendanges tardives et des vins de glace. La qualité est de plus en plus souvent au rendez-vous.

Deux médailles d'or pour un vin de glace

Certains vins parviennent même à une reconnaissance internationale. Ainsi, le vin de glace du domaine de l'Orpailleur a remporté deux médailles d'or en 2009 (Vinalies internationales et Mondial de Bruxelles). Et si les vins de glace étaient la niche prometteuse ? Pour les promouvoir, un label « Vin certifié du Québec » vient de voir le jour. Avec en ligne de mire : l'exportation vers la France. Un objectif qui impressionne d'autant moins les Québécois que le réchauffement climatique leur ouvre de nouvelles et belles perspectives.

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