« J'ai démarré la taille mécanique en 2003, explique Jean-Pierre Allemand, viticulteur installé sur 35 hectares dont 25 en vins de pays, à Jonquières, dans le Vaucluse. A l'époque, je voulais réduire le coût de la taille de 50 % sans modifier mon vignoble et sans perdre en qualité », explique-t-il. Les seules vignes qu'il peut tailler mécaniquement sont celles destinées à élaborer les vins de pays. Elles sont relativement récentes : vingt ans pour les plus âgées et sept à huit ans pour les plus jeunes. Elles sont palissées et conduites en cordons de Royat double qui ne sont pas parfaitement rectilignes. Mais pas question de reprendre les souches pour faciliter le passage de la machine. Il va falloir composer avec l'existant. Un vrai challenge que notre viticulteur relève.
Avec l'aide de CGC Agri, un constructeur basé à Orange, il crée un prototype de tailleuse mécanique. Cette dernière se compose de quatre scies circulaires. Deux sont horizontales et effectuent une coupe rase au-dessus du cordon. Deux autres sont verticales et réalisent une coupe latérale. L'ouverture au piquet est automatique. Le suivi du cordon latéral également. Toutes les commandes sont électriques. La machine travaille entre 1,5 et 2 km/h.
Le réglage de la coupe latérale est plus délicat
Jean-Pierre Allemand soutient que la conduite de la tailleuse est relativement simple. La prise en main est rapide. Le conducteur doit seulement ajuster la hauteur de coupe horizontale pour être au plus près de deux yeux.
Le plus délicat est le réglage de la coupe latérale, surtout dans les parcelles où les cordons ne sont pas bien rectilignes. Cela demande une petite formation au départ, « sinon le conducteur ne fera qu'une prétaille grossière ou à l'inverse coupera trop de bois », rapporte Jean-Pierre Allemand.
Ses vignes sont conduites en cordon double. « Au niveau du V, lorsque les bras ne sont pas bien rectilignes, la machine peut accrocher la souche et sectionner un bras. C'est pourquoi, il vaudrait mieux un vignoble en cordon unilatéral », conseille notre viticulteur.
Après la taille mécanique, il faut effectuer une reprise manuelle. « Il ne faut surtout pas négliger cette étape », insiste Jean-Pierre Allemand notre viticulteur. Il s'agit de couper les quelques sarments oubliés par la machine et surtout de nettoyer le tronc et le pied. En moyenne, cette opération lui prend 14 h/ha. Pour le grenache, 8 h/ha suffisent, mais il faut jusqu'à 20 heures pour le merlot qui produit beaucoup de rejets.
L'aspect visuel des vignes au moment de la taille peut impressionner le néophyte. Mais en saison, à première vue, il est impossible de faire la différence entre les quelques rangs encore taillés manuellement et ceux réalisés mécaniquement (voir encadré ci-contre). Ses vignes ne sont pas plus buissonnantes que les autres. Et pas plus attaquées par les maladies et les ravageurs.
La taille mécanique présente même certains avantages. « Comme les chantiers sont plus rapides, dans les zones gélives, je peux tailler au dernier moment pour retarder le départ en végétation, observe Jean-Pierre Allemand. Second avantage, avec la taille mécanique, les sarments sont plus nombreux, mais ont un diamètre plus petit. Ils sont moins sensibles à la casse due au vent. Cette année, j'ai bien vu la différence. J'ai une parcelle de syrah que je taille manuellement, car j'y ai beaucoup de manquants. J'ai également une parcelle de grenache trop âgée pour y effectuer de la taille mécanique. Elles ont subi plus de dégâts dus au vent que les vignes taillées mécaniquement. »
Des vins fruités, médaillés à Orange
Et qu'en est-il des rendements ? « Depuis trois ans, je tourne autour de 80 hectolitres en moyenne par hectare, continue le Vauclusien. Si je voulais 120 hl/ha, il me suffirait de passer plus haut avec la tailleuse. Mais dans ce cas, le profil des vins serait différent. A chacun de faire son choix. Au niveau de la maturité, je constate un léger retard d'environ une semaine pour le même degré d'alcool. Mais comme j'attends toujours la maturité phénolique pour vendanger, cela ne pose aucun problème. Cela me permet de revenir à des dates de récolte classiques. »
Et la qualité ? « Personne n'est capable de faire la différence lors de la dégustation », rapporte-t-il. Ce que confirment les suivis réalisés par la chambre d'agriculture du Vaucluse. De plus, Jean-Pierre Allemand décroche des médailles. Son vin de pays de Méditerranée cuvée Côté Cour 2009, médaille d'argent au concours des vins d'Orange 2010, est fruité puissant et agréable à boire.
Lorsque le viticulteur évoque la taille mécanique avec ses clients, ces derniers ne s'en plaignent pas. « Aucun n'a refusé d'acheter mon vin. De toute façon ce qui les intéresse c'est le rapport qualité prix. » Bref pour Jean-Pierre Allemand, le pari est réussi. Il a atteint tous ces objectifs, puisqu'il a réduit ses coûts de 40 à 45 %. « Cela m'a permis de retrouver un souffle d'air. »
« Au départ, les gens me prenaient pour un fou »
Fort de son expérience, il participe à de nombreuses démonstrations, pour promouvoir la taille mécanique.
« Au départ, beaucoup m'ont pris pour un fou. Je me rappelle d'une fois où quatre viticulteurs sont arrivés avec des sécateurs manuels et m'ont dit : “On va vous apprendre à tailler.” Aujourd'hui les viticulteurs qui viennent me voir sont convaincus de l'intérêt de la technique. Ils posent moins de questions sur la qualité du produit, car ils ont intégré qu'il n'y avait pas d'impact. En fait, ils s'interrogent plus sur la possibilité d'adapter leur vignoble à la taille mécanique, l'aspect des vignes et l'impact sur les maladies du bois. Je propose à ceux qui souhaitent se lancer, de tailler en prestation de service quelques-unes de leurs parcelles. Une fois qu'ils ont commencé, ils ne reviennent plus en arrière. »
Pour autant, des freins subsistent. « Encore beaucoup de vignobles ne sont pas assez bien établis : les souches sont mal formées, mal attachées, le palissage pas assez soigné, regrette Jean-Pierre Allemand. Et surtout les trésoreries sont dans un état catastrophique. Même si la tailleuse que j'ai mise au point ne coûte pas plus cher qu'une prétailleuse sophistiquée, les gens n'ont plus d'argent à investir. »
Ses bons conseils
Posez un palissage solide : « Lorsque les fils ne tiennent pas ou que les piquets sont couchés, il faut oublier la taille mécanique. L'idéal est d'avoir un fil porteur de diamètre suffisant pour éviter les phénomènes de fléchissement des piquets. Pour ma part j'utilise du n°18, c'est le minimum. »
Commencez par des parcelles jeunes : « Aucun cépage ne pose de problème particulier, sauf peut-être le chasan, dont les sarments partent vers le bas. En revanche, l'âge de la vigne est important. Je conseille d'essayer la taille mécanique sur les vignes jeunes et bien installées. »
Choisissez le cordon unilatéral enroulé sur le fil de fer et attaché avec un lien souple. « Cela permet d'avoir des bras plus rectilignes. Le cordon doit passer au-dessus du piquet, sinon la machine risque d'accrocher ce dernier. Au niveau distance, je conseille 90 cm à 1,10 m entre les pieds et 2,20 à 2,50 m entre les rangs. »
Bannissez les tuteurs en fer pour les complants : « La machine et le chauffeur ne les détectent pas. Or, ils abîment les scies. Mieux vaut des tuteurs en bambou ou en plastique. »
Ayez un sol plat : « Mon vignoble est enherbé en totalité, mais ce n'est pas une obligation. Ce qu'il faut c'est un sol relativement plat. Il faut éviter les ornières, sinon la tailleuse risque d'accrocher les souches et le palissage. La présence de cailloux n'est pas rédhibitoire, il faudra juste adapter la vitesse d'avancement. De même si les vignes sont en coteaux. »
Soignez l'ébourgeonnage : « J'ébourgeonne mes vignes au printemps chimiquement, ce qui permet de réduire le temps de reprise manuelle. »
L'évolution de la vigne sur une année En hiver
Les vignes de Jean-Pierre Allemand sont conduites en cordon de Royat double. Le fil porteur est situé à 70 cm du sol, le suivant à 40 cm au-dessus du fil porteur. La machine taille rase à un ou deux yeux maximums, il faut ensuite passer avec un sécateur pour couper les sarments oubliés. Au fil du temps, il se forme des sortes de petites têtes de souche sur les bras d'où partent quantité de coursons.
L'évolution de la vigne sur une année Au printemps
Après le débourrement, les vignes prennent un aspect un peu buissonnant. « Cela peut choquer les néophytes », avoue Jean-Pierre Allemand. Mais une fois la végétation en place, il faut écarter les sarments pour voir la différence entre une vigne taillée manuellement et une vigne taillée mécaniquement.
L'évolution de la vigne sur une année A la véraison
Avec la taille mécanique, les grappes sont plus petites et plus lâches. La zone fructifère est plus homogène, car les grappes sont toutes situées dans un espace de 30 à 40 cm. « Lorsque l'on réalise des traitements localisés avec des insecticides ou des antibotrytis, cela permet de mieux cibler les grappes », explique Jean-Pierre Allemand. Sur le plan sanitaire, notre vigneron n'a observé aucune différence entre les vignes taillées mécaniquement et celles taillées manuellement.
L'évolution de la vigne sur une année A l'automne
Visuellement, de loin il est impossible de faire la différence entre une vigne taillée mécaniquement et une autre taillée manuellement. En revanche, lorsque l'on s'approche des pieds, on voit que les vignes taillées mécaniquement ne sont pas aussi propres. Certains bourgeons n'ont pas débourré. Le bois a séché, d'où la présence de nombreux chicots de bois morts sur les cordons.