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VIN

Le service du champagne revisité

Gérard Liger-Belair et Guillaume Polidori de l'université de Reims Champagne-Ardenne - La vigne - n°226 - décembre 2010 - page 58

Contrairement à une pratique d'usage dans la restauration, mieux vaut servir le champagne dans une flûte inclinée, cela afin de préserver l'effervescence le plus longtemps possible. Cette règle vaut pour tous les effervescents.
DÉGAGEMENT DE CO2. A l'aide d'une caméra infrarouge, les chercheurs de l'université de Reims ont filmé, pour la première fois, le dégagement de dioxyde de carbone lors du versement du champagne dans une flûte. Ce sont les volutes colorées que l'on voit s'échapper du verre et retomber le long des parois. Ces photos montrent clairement que le dégagement de CO2 est bien plus important à gauche où le verre est en position verticale, qu'à droite où il est incliné comme un verre à bière. © UNIVERSITÉ DE REIMS CHAMPAGNE-ARDENNE

DÉGAGEMENT DE CO2. A l'aide d'une caméra infrarouge, les chercheurs de l'université de Reims ont filmé, pour la première fois, le dégagement de dioxyde de carbone lors du versement du champagne dans une flûte. Ce sont les volutes colorées que l'on voit s'échapper du verre et retomber le long des parois. Ces photos montrent clairement que le dégagement de CO2 est bien plus important à gauche où le verre est en position verticale, qu'à droite où il est incliné comme un verre à bière. © UNIVERSITÉ DE REIMS CHAMPAGNE-ARDENNE

Suite à la seconde fermentation en bouteille close, une bouteille de champagne de 75 centilitres contient presque cinq litres de dioxyde de carbone dissous, piégés sous le bouchon. On comprend dès lors qu'elle soit sous pression, puisqu'elle retient, en plus du précieux liquide, un volume de CO2 gazeux six fois supérieur au sien !

Au moment du débouchage, la pression dans la bouteille chute brutalement. L'équilibre physique du gaz carbonique dissous dans le champagne est rompu. La bouteille doit évacuer les cinq litres de CO2 qu'elle contient maintenant en excès.

200 000 bulles en plus lorsqu'on verse dans une flûte inclinée

Ce gaz carbonique forme les bulles qui dansent dans la flûte et chatouillent vos papilles. Sans bulles, le champagne perdrait tout son caractère, toute son âme… Or, l'effervescence est d'autant plus généreuse que le champagne est riche en gaz carbonique dissous. Il convient donc d'en perdre le moins possible au moment du versement.

Le service du champagne est une étape critique en ce qui concerne le gaz carbonique dissous. En effet, le versement dans les flûtes génère des turbulences qui accélèrent considérablement la fuite du gaz hors du vin. Plus on perd de CO2 à cette étape, moins il en restera pour produire des bulles lors de la dégustation.

Afin d'assurer une longue effervescence dans la flûte, il convient donc de servir le champagne de la façon la plus douce possible.

Nous avons testé deux façons de servir :

soit en versant directement au centre d'une flûte en position verticale, comme il est d'usage dans la restauration,

soit en versant le long des parois d'une flûte inclinée, à la façon dont les barmen remplissent un verre de bière.

Nous avons ensuite mesuré la quantité de gaz carbonique dissous dans la flûte. Le résultat est sans appel. Le champagne qui a été servi dans une flûte inclinée contient plus de gaz carbonique dissous que celui qui a été servi dans une flûte verticale.

En inclinant la flûte au moment du service, le champagne coule de façon naturellement plus douce que dans une flûte verticale. On perd donc moins du précieux gaz dissous en le servant comme une bière. De ce fait, on préserve un peu plus longtemps son effervescence. On estime que le gain de gaz carbonique dissous équivaut à une centaine de cm3, soit environ 200 000 bulles supplémentaires par verre.

Plus le champagne est froid, moins il perd de gaz carbonique

Le gaz carbonique qui s'échappe lors du débouchage d'une bouteille est bien entendu totalement invisible à l'œil nu, car parfaitement transparent à la lumière visible. Ce gaz absorbe cependant une longueur d'onde bien spécifique comprise dans le spectre de la lumière infrarouge.

Ainsi, en filmant à l'aide d'une caméra dotée d'un capteur sensible à l'infrarouge, on peut visualiser les volutes de gaz carbonique qui s'échappent lors du versement. On voit très bien qu'elles sont plus abondantes lorsqu'on sert dans une flûte en position verticale. On remarque aussi que ce gaz, nettement plus lourd que l'air, s'écoule le long des parois de la flûte.

Nous avons également testé l'influence de la température du champagne. La encore, le résultat est très clair. Plus le vin est froid, moins on perd de gaz carbonique au moment du service. Ce phénomène est dû au fait que la viscosité du champagne est d'autant plus élevée qu'il est froid. Or, plus il est visqueux et plus les turbulences liées au service dans un verre disparaissent rapidement.

Cependant, il faut modérer ce résultat. En effet, on sait bien que plus un champagne est froid et moins il exprime ses arômes. Même s'il est souhaitable de préserver le gaz carbonique dissous, il convient de ne pas le servir trop froid. La température idéale de dégustation dépend bien entendu du goût de chacun, mais il semblerait qu'elle se situe entre 8 et 12°C.

L'effervescence exhale les arômes d'un vin

Projection des gouttelettes de champagne au-dessus d'un verre. Pour visualiser ce phénomène, les chercheurs ont utilisé la tomographie laser. Cette technique consiste à envoyer un faisceau de lumière laser juste au-dessus du verre. En le traversant, les gouttelettes réfléchissent cette lumière et deviennent visibles. Pour visualiser leur trajectoire, il suffit alors de prendre une photo avec un long temps de pause (une seconde en l'occurrence) © UNIVERSITÉ DE REIMS CHAMPAGNE-ARDENNE

Projection des gouttelettes de champagne au-dessus d'un verre. Pour visualiser ce phénomène, les chercheurs ont utilisé la tomographie laser. Cette technique consiste à envoyer un faisceau de lumière laser juste au-dessus du verre. En le traversant, les gouttelettes réfléchissent cette lumière et deviennent visibles. Pour visualiser leur trajectoire, il suffit alors de prendre une photo avec un long temps de pause (une seconde en l'occurrence) © UNIVERSITÉ DE REIMS CHAMPAGNE-ARDENNE

Des centaines de bulles naissent, puis éclatent chaque seconde au cours des quelques minutes qui suivent le remplissage d'une flûte. Ces bulles projettent des milliers de gouttelettes au-dessus de la flûte, sous la forme d'un « aérosol » de champagne qui rafraîchit agréablement le visage et dégage quantité d'arômes.

Avec un laboratoire spécialisé à Munich, en Allemagne, nous avons en effet démontré que les gouttelettes sont beaucoup plus concentrées en plusieurs dizaines de molécules aromatiques – jusqu'à plus de trente fois pour certaines – que le champagne du cœur de la flûte. Parmi ces molécules, on retrouve des acides gras, des composés terpéniques, des esters et d'autres molécules impliquées dans l'arôme des vins, comme des précurseurs de la bétadamascénone, décrite comme responsable d'une note florale. Les bulles qui montent dans la flûte se comportent donc comme autant de petits ascenseurs pour les molécules aromatiques présentes dans le champagne. Peu à peu, ces molécules se concentrent à la surface du vin, puis sont littéralement projetées en l'air sous forme de microgouttelettes par les bulles qui éclatent. En définitive, l'éclatement des bulles provoque bien la mise en suspension, au-dessus du verre, d'un nuage de très fines gouttelettes chargées d'arômes. Ce phénomène contribue à faire de la dégustation du champagne une expérience sensorielle à nulle autre pareille.

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