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VIGNE

Forte tension sur le marché des plants

Christelle Stef - La vigne - n°228 - février 2011 - page 24

Dans le Midi, des variétés manquent. A Bordeaux et à Cognac, des assemblages entre clones et porte-greffes sont déjà épuisés. Les pépiniéristes ont subi les aléas du climat en 2010 et n'ont pas prévu la hausse de la demande due à la restructuration.
PLANTATION DE GREFFÉS-SOUDÉS. Avec la pénurie de plants, certains viticulteurs devront repousser leurs plantations à l'an prochain. Ceux qui ne le pourront pas devront changer de variétés. © C. WATIER

PLANTATION DE GREFFÉS-SOUDÉS. Avec la pénurie de plants, certains viticulteurs devront repousser leurs plantations à l'an prochain. Ceux qui ne le pourront pas devront changer de variétés. © C. WATIER

« Tous les jours, des viticulteurs m'appellent pour me dire qu'ils ne trouvent pas de plants. Ils vont être obligés de repousser leur plantation à l'an prochain », confiait, au début du mois de janvier, Didier Viguier, de la chambre d'agriculture de l'Aude. « Nous sommes en situation de très forte pénurie et ce n'est pas de gaieté de cœur que nous refusons des commandes », avoue Didier Gillibert, pépiniériste à Orange, dans le Vaucluse, et président du syndicat des producteurs distributeurs de la pépinière viticole.

« Il nous faudrait 100 000 à 150 000 plants de cinsault »

C'est un fait dans le Midi, la demande en plants est très forte. En cause : deux facteurs. D'abord la restructuration. Les plans collectifs du Languedoc-Roussillon et des Côtes-du-Rhône stimulent les projets. Ensuite, « beaucoup de viticulteurs ne sachant pas si les primes vont se maintenir veulent planter cette année », explique Didier Viguier.

En parallèle, l'offre est limitée. Les pépiniéristes n'ont pas greffé plus que de raison. Ils ont manqué de matériel certifié pour multiplier certains cépages qui, jusqu'à présent, étaient peu demandés. Le matériel standard pourrait couvrir la demande mais, dans ce cas, les viticulteurs ne touchent pas les primes à la restructuration. A cela s'ajoute une moindre reprise des plants. « L'an dernier, le mois de mai a été froid et humide, avec du vent. Le taux de reprise a été inférieur de 5 à 7 % par rapport au taux habituel qui est de 60 à 65 % », rapporte Didier Gillibert.

Résultat : au début du mois de janvier, les viticulteurs manquaient de cinsault, de grenache blanc, de roussanne, de carignan, mais également de grenache noir, de colombard, de mourvèdre et de syrah.

« Depuis deux ans, il y a un regain d'intérêt pour le cinsault, car les rosés marchent bien, mais aussi parce que c'est un cépage qui garantit des rendements réguliers », explique Didier Viguier. « En temps normal, nous produisons 20 000 plants de cinsault. Pour répondre à la demande, il faudrait que nous en greffons 100 000 à 150 000 », renchérit Didier Gillibert. Malheureusement, pour cette variété, le parc de vignes mères de greffons n'est pas suffisant. La pénurie va donc continuer en 2012.

« La production d'un plant démarre 14 à 16 mois avant sa vente »

« Les viticulteurs engagés dans des plans collectifs doivent réaliser leurs programmes de restructuration, car ils ont pris des engagements financiers. Or, certains ne pourront pas être servis. Ils devront certainement changer de variété, par la force des choses. Ceux qui démarrent leur plan pourront reporter leurs plantations à l'an prochain », prévient Didier Gillibert, qui en profite pour dénoncer le manque de concertation entre la viticulture et les pépiniéristes lors de la mise en place des plans collectifs.

« On oublie trop souvent que la production d'un plant de vigne démarre 14 à 16 mois avant sa mise en vente. Or, les autorités qui décident des aides prennent leurs décisions tard, après les greffages, et sans en aviser les pépiniéristes. La demande n'est pas prévue et le matériel standard pour les variétés dont nous manquons de greffons certifiés n'est pas toléré », complète Matthieu Lerch, des pépinières Guillaume, à Charcenne (Haute-Saône).

Guilhem Vigroux, le président du comité RQD en Languedoc-Roussillon, s'étonne de ces déclarations. « Aujourd'hui, nous n'avons pas de soucis. Sur deux mille adhérents, un seul s'est manifesté pour dire qu'il avait des dificultés à s'approvisionner en variété qu'il souhaitait. Mais il a trouvé la solution en changeant de cépage », nous confiait-il le 17 janvier.

Philippe Pellaton, le président du syndicat des vignerons des Côtes-du-Rhône, rapporte que la situation s'est effectivement tendue début janvier. Mais « elle concerne uniquement les viticulteurs qui ont commandé trop tardivement, explique-t-il. Nous les rassurons en leur disant que tout ce qui ne pourra pas être planté cette année pourra l'être l'an prochain ».

Pour préparer la campagne 2012, le syndicat devait rencontrer les pépiniéristes au début de février pour leur « faire part des intentions de plantation des viticulteurs, afin qu'ils greffent en conséquence». Et de préciser : « J'espère juste que cette situation n'est pas due à une spéculation des pépiniéristes pour faire monter les prix, ces derniers ayant grimpé de 15 %. »

A Cognac, les assemblages avec RSB vont manquer

Gilbert Jenny, le président de la FFPV, certifie que non. « Les prix, qui avaient bien chuté ces dernières années du fait de la crise, sont juste revenus au niveau des années 2004 et 2005 », justifie-t-il.

Dans le Bordelais, la demande de plants est également soutenue. Mais la situation est moins catastrophique que dans le Sud-Est. « Le marché des greffés-soudés sera déficitaire. Tous les cépages blancs et tous les assemblages avec les porte-greffes fortement préconisés par les techniciens (101-14, 3309, gravesac, fercal et riparia) vont manquer», reconnaît David Amblevert, des pépinières du même nom à Sainte-Florence (Gironde) et président du syndicat régional. « Mais nous pourrons satisfaire la demande par des plants en pot », assure-t-il.

Marché également tendu à Cognac. « Nous aurons les volumes voulus. Mais certains assemblages vont manquer», indique Didier Jallet, pépiniériste à Nercillac (Charente). Ce sera notamment le cas des plants greffés sur RSB. Au printemps dernier, ils ont subi les mauvaises conditions climatiques et les soudures ne sont pas solides. Ils cassent lors du triage. La perte oscille entre 50 et 70 %. Des difficultés d'approvisionnement concerneront également les plants greffés sur 333 et R 140.

Les vignobles septentrionaux échappent à ces difficultés. Seul bémol : la Bourgogne qui pourrait manquer de pinot noir. Fin décembre 2009, la région a subi un gel d'hiver. A Gevrey-Chambertin, le thermomètre est tombé à -20 °C. Bilan, les vignes situées dans la partie basse du village ont gelé, certaines jusqu'à 50 %. Les viticulteurs ne se sont aperçus de l'étendue des dégâts qu'en mai 2010. Les pépiniéristes avaient déjà effectué les greffages pour les plantations 2011 à la quantité habituelle. Ils n'ont pas prévu de surplus. « En fin de campagne pour les commandes trop tardives, nous risquons de ne pas pouvoir fournir de pinot noir », prévient Matthieu Lerch.

Les plants en pot : une solution de secours

 © PÉPINIÈRES AMBLEVERT

© PÉPINIÈRES AMBLEVERT

Tous les plants sont un assemblage d'un porte-greffe et d'un greffon. Cette opération a lieu courant mars. Ensuite, les plants passent dans une chambre chaude et humide afin que le greffon se soude au porte-greffe. A la mi-avril, une partie des plants est mise en pot pour subir un forçage sous serre pendant six semaines, le reste est mis en plein champ pendant six mois et donnera les greffés-soudés traditionnels. Les plants en pot peuvent permettre de satisfaire une demande imprévue. Les viticulteurs peuvent les commander tardivement (en janvier pour une plantation en juin-juillet), alors que les greffés-soudés traditionnels se commandent dix-huit mois avant la plantation. Ils peuvent les planter au vignoble dès juin-juillet à condition de les entourer de beaucoup de soins. « Comme ils sont en pleine croissance, il faut faire attention, lorsqu'on les manipule, explique David Amblevert, des pépinières du même nom en Gironde. A la plantation, il faut les arroser abondamment, et recommencer régulièrement si le temps est sec. De même, il faut bien les protéger contre les maladies cryptogamiques. »

Le Point de vue de

Serge Labat, directeur technique d'Univitis (Gironde), 135 ha de vignes

« Toutes nos plantations se feront avec des plants en pot »

Serge Labat, directeur technique d'Univitis (Gironde), 135 ha de vignes

Serge Labat, directeur technique d'Univitis (Gironde), 135 ha de vignes

« Il est vrai que le marché des plants est aujourd'hui relativement tendu. Cette année, nous allons planter 4,5 à 5 ha de vignes : du merlot sur 3309, et un peu de malbec sur 101-14. Ces porte-greffes sont très demandés dans la région. Comme nous avons des contacts réguliers avec notre pépiniériste, dès juin 2010, nous savions que nous risquions d'avoir des difficultés d'approvisionnement en greffés-soudés cette année. Nous avons donc décidé de réaliser toutes nos plantations avec des plants en pot. Nous les avons commandés en décembre dernier et nous serons livrés en juin. Le gros avantage des plants en pot est que nous pouvons prendre la décision des assemblages beaucoup plus tard. Et, nous pouvons choisir nos clones, ce qui est important pour maintenir la diversité. Avec les greffés-soudés, à moins de les commander dix-huit mois à l'avance, nous n'avons pas cette possibilité. Ce n'est pas la première fois que nous optons pour des plants en pot. Nous n'avons pas vu de différence de reprise par rapport aux greffés-soudés traditionnels. En revanche, il faut en prendre soin. Après la plantation, nous les arrosons avec 5 litres d'eau par pied. Et, nous repassons si l'année est sèche. »

Le Point de vue de

Pierre Cros, viticulteur à Badens (Aude), 50 ha dont 22 ha de vignes

« Je n'ai pas trouvé de cinsault, ni de piquepoul noir »

Pierre Cros, viticulteur à Badens (Aude), 50 ha dont 22 ha de vignes

Pierre Cros, viticulteur à Badens (Aude), 50 ha dont 22 ha de vignes

« Cette année, je voulais planter 7 hectares, mais finalement je n'en planterai que 3 à 4. J'ai réalisé ma commande de plants il y a deux mois auprès de mon pépiniériste habituel. Mais j'avais déjà discuté avec lui cet été de mes projets. Cet automne, j'ai effectué les analyses de sol, pour raisonner le choix des porte-greffes. Au final, j'ai pu obtenir les assemblages de syrah, grenache noir et mourvèdre que je souhaitais. Mais je n'ai pas eu de cinsault, ni de pique-poul noir, car je m'y suis pris un peu tard. Je voulais implanter ces cépages dans les zones les plus sèches, pour m'assurer un minimum de récolte, car ils résistent mieux au manque d'eau. J'ai alors contacté Didier Viguier, de la chambre d'agriculture de l'Aude, pour lui demander si je pouvais trouver des plants ailleurs. Il m'a répondu que non. J'ai donc laissé tomber. Je remettrai ces plantations à l'an prochain, car là, c'est sûr, j'aurai les plants. C'est dommage, car ce sont ces cépages qui m'intéressaient le plus pour planter rapidement. Et surtout, je regrette que beaucoup de viticulteurs plantent uniquement lorsqu'ils ont des subventions… »

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